BuddyRainbow a écrit :Zouzouspetals,
Par souci de clarté, je propose de réorganiser les idées exprimées, qui se noient dans vos caricatures et autres digressions, en synthétisant vos réponses, et celles des autres intervenants sur ce fil, et en leur opposant quelques-uns des arguments développés jusque ici.
Dans son livre
The Revelation of John, William Barclay, universitaire et théologien, observe : "
Hallelujah est un mot très commun dans le vocabulaire religieux (…) Hallelujah signifie littéralement Louange à Dieu. Il est dérivé de halal, qui signifier louer, et Jah, qui est le nom de Dieu". Dans leur livre
Revelation, les biblistes John Christopher Thomas et Frank D. Macchia précisent que cette expression est une "
translitération du mot hébreu הללויה (hallelujah, "Louage à Yahweh")". Pour de nombreux lexicographes, il ne fait aucun doute que ce nom abrégé, en plus d'être présent dans la Révélation, fait écho au nom divin, Jéhovah : "
praise ye Jehovah" selon
A Greek and English Lexicon of the New Testament de E. Robinson, "
Heb. Hallelujah, ‘praise ye Jehovah’, Rev. 19:1" selon
A Greek lexicon to the New Testament de C. Robson ou encore "
alleluia, i.e praise ye Jehovah" selon
A companion to the Greek Testament and the English version de Philipp Schaff.
Ce mot avait-il un sens pour les chrétiens au Ier siècle ? Oui ! pour deux raisons :
1) L'expression est chantée encore dans les synagogues avec le sens que lui connaissent les Juifs et c'est de là que viennent les chrétiens d'origine juive. Dans son livre
The Apocalypse of St. John : the Greek text with introduction, Henry Barclay Swere explique que : "
la translitération ἁλληλουϊά doit avoir été utilisée parmi les juifs hellénistiques avant l'ère chrétienne, (…) et a été reprise de la synagogue hellénistique par l'église apostolique. Comme Hosanna, ce mot hébreu est devenu partout familier même à la plupart des chrétiens illettrés, du fait peut-être de l'Alleluia pascal plutôt que par l'influence du N. T., où il ne se trouve que dans ce passage".
2) Le judéo-christianisme est encore dominant à la fin du Ier siècle. Simon Claude Mimouni, considéré comme un des meilleurs spécialistes français du christianisme primitif, écrit dans son livre
Les chrétiens d’origine juive dans l’antiquité qu' "
il est envisageable de penser que, avant 135, tout le mouvement des disciples de Jésus a été judéo-chrétien, la composante païenne n’étant pas encore définitivement autonome, du moins pas au point ou elle le sera par la suite" (p.13). Jean Chrysostome, auteur chrétien du IVe siècle, tient des Juifs sa compréhension de l'expression : "
La traduction de Alleluia, parmi eux [les Juifs], est, disent-ils, ‘Louange au dieu Iaô’" (
In Psalmos, 101-107, vol. 55, 653, 62).
Pour les chrétiens, lecteurs de la Révélation, halleluia a donc bien le sens que lui connaissent les Juifs et ce jusqu'au début du IIe siècle au moins. C'est-à-dire "Louez Yah" qui fait bien sûr écho au nom divin. Il est impossible de comprendre pleinement l'usage de cette expression et la résonance qu'elle trouve dans le christianisme primitif si l'on ignore les faits exposés ci-dessus, et si l'on s'obstine à croire, comme vous le faite, que les premiers chrétiens entendaient
halleluia comme la société sécularisée d'aujourd'hui qui, pour le coup, n'y voit rien d'autre qu'un expression d'allégresse.
Le 4Q LXX Lev b, un rouleau de la Septante, daté du Ier siècle av.n.è - début du Ier siècle de n.è, présente le nom divin écrit en lettre grecque Ιαω (gr.
Iao) dans deux de ses fragments : les fragment 6 et 20 contenant respectivement Lv 3:12 et Lv 4:27 qui dans les Ecritures hébraïques font apparaitre le tétragramme.
La langue grecque n’est pas une barrière infranchissable pour le nom de Dieu. Que cette traduction grecque du nom divin soit imparfaite ou non importe peu ici. Le fait est qu’elle existait au temps de Jésus. Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler la traduction de Jean Chrysostome quatre siècles plus tard "Iaô".
Pour l'époque de Jésus, nous disposons de quatre témoins manuscrits de la Septante. Il s’agit de LXX VTS 10a, LXX VTS 10b, LXX IEJ 12 et POxy 3522. Sur tous figure le tétragramme, parfois à plusieurs occurrences. Le constat est curieusement différent pour les manuscrits qui leur sont postérieurs. Ceux du IIe siècle par exemple contiennent tous des
nomina sacra,
KS pour
kurios, en lieu et place du tétragramme. Il s’agit de P. Baden 56b, P. Antinoopolis 7 et P. Coll. Horsley. Les versions de la Septante qui circulaient au temps de Jésus contenaient vraisemblablement le nom divin, soit sous une forme grecque, soit sous une forme hébraïque. Cette dernière était semble-t-il la plus courante. Le témoignage de Jérôme sur la lecture erronée du tétragramme conforte cette idée.
Ainsi, que ce soit dans les Ecritures hébraïques ou dans une version grecque, la Septante, Jésus et les premiers chrétiens, qui lisaient et étudiaient les "Ecritures" dont parle Paul en 2 Tm 3:16, rencontraient le nom divin. Et de toute évidence l'employaient !
Ce n’est qu’à partir du IIe siècle de notre ère que le nom divin commence à être retiré du texte grec de la Septante et remplacé par des
nomina sacra. Le Dictionnaire de la Théologie chrétienne fait remarquer : "
Les chrétiens, qui pour la plupart parlaient grec, adoptèrent la Septante comme texte officiel". Les citations du NT provenaient effectivement en grande partie de la Septante. Les plus vieux manuscrits du NT, qui contiennent des citations de l’AT, datent du IIe-IIIe siècle, période au cours de laquelle la substitution du nom divin se généralisent dans les manuscrits de la Septante. Ce phénomène n'est pas anodin dans la mesure ou la Septante est employée par les chrétiens. S'il est d'usage de substituer le nom divin chez les copistes, faut-il s'étonner qu'aucune copie du NT ne contienne le nom divin ? Et deux éléments prouvent que le phénomène n'est pas (que) juif... J'y viens juste après. Enfin, précisons que nous possédons moins d'une soixantaine de manuscrits grec du NT, des fragments surtout, pour la période II-IIIe siècle : 48 pour le IIIe siècle, 10 pour le IIe siècle, et... 0 pour le Ier siècle ! La majorité des témoignages qui ont servi à constituer le texte grec du NT sont datés du IVe siècle et après.
Il y a un faisceau d'indices qui prouve que le nom divin se trouvait dans les autographes du NT. Moi et d'autres avons déjà développé plusieurs arguments à ce sujet. Voici deux éléments qui, en rapport avec le nom divin, remet sérieusement en cause l'intégrité de la tradition manuscrite chrétienne.
1) La traduction latine de Jérôme : bien qu'il se réfère aussi aux Ecritures hébraïques, Jérôme préfère employer des substituts dans les quelques 7000 fois où le nom divin se rencontre. Par exemple, il rend Lev 3:12 de la façon suivante : si capra fuerit eius oblatio et obtulerit eam
Domino. Jérôme emploi
domino (lat. Seigneur) à la place du tétragramme. Et ce n'est pas qu'il ignore la traduction latine du nom divin. Dans un commentaire du Psaume 8:2, l'auteur de la Vulgate écrit : "
Le nom du Seigneur en hébreu a quatre lettres, Yod He Waw He, qui est le nom propre de Dieu, que certaines personnes par ignorance écrivent ΠΙΠΙ, et qui peut être prononcé Iaho". (Notez que la prononciation est la même que celle du 4Q LXX Lev b et celle de Jean Chrysostome. Pour un nom qui n'aurait été ni prononcé, ni connu...)
2) Le
codex Sinaiticus : il rassemble à la fois l’ancien et le nouveau testament rédigés en langue grec, et ce codex qui date du IVe siècle est une source de choix pour la reconstitution du texte grec du NT. La critique textuelle s'y réfère en effet abondamment. Fait remarquable, dans l'AT de ce codex, le nom divin est systématiquement remplacé par
KS pour
kurios. Cette substitution n'est pas facultative pour les copistes du IVe siècle : c’est une règle qui s’impose à eux. Pareillement, dans le NT de ce codex, on trouve des
KS pour désigner Dieu. ll en découle une question : ces
nomina sacra trouvés dans le NT du
codex Sinaiticus , notamment dans les citations de l'AT, sont-ils bien à prendre au sens de
kurios ? ou viennent-ils en lieu et place du nom divin, comme c'est le cas dans l'AT de ce même codex ? Le doute est permis, je dirais même plus, le doute est de mise vu la pratique scribale de l'époque.
Quand donc les manuscrits du IIe-IIIe siècle contiennent
KS pour désigner le Dieu "d'Abraham, d'Isaac et de Jacob", que faut-il en conclure ? Comment être sûr que il ne s'agissait pas là d'un substitut au nom divin comme c'est déjà la règle dans les manuscrits du IVe siècle, et même avant si on tient compte du témoignage de la Septante ?
Vous vous attachez à la lettre plutôt qu'à l'esprit du NT. Sacraliser le texte serait une erreur tant il a varié au cours du temps... Le texte grec du NT a en effet évolué au fur et à mesure des découvertes de nouveaux manuscrits et des travaux de la critique textuelle. On observe néanmoins une relative homogénéité du message d'une époque à une autre, d'une version à une autre. Pour être exact,
on devrait parler de textes au pluriel et d'un message au singulier. La contradiction que vous soulignez n'a de réalité que si l'on confond texte et message. Le texte a été en certains endroits altéré, plus rarement corrompus (ex : 1 Jn 5:7-8), mais dans l'ensemble le message est resté le même. C'est la preuve que Dieu était là pour veiller à sa préservation. Peut-on soutenir que Dieu a préservé son message quand d'un autre côté on affirme que le nom divin, si important, était initialement présent dans le NT et qu'il en a été retiré ensuite ? Oui sans hésiter !
L'absence du nom divin du texte grec majoritaire ne remet pas en question le message de la Bible. Si on considère que l'AT et le NT forment un tout, que l'un éclaire l'autre, alors le message biblique est claire : Dieu a un nom personnel qu'il s'est donné pour des "temps indéfinis". Présent près de 7000 fois dans la Bible, contre 1000 par exemple pour Jésus, le nom divin n'a pas d'égal. Il y est d'ailleurs sans cesse fait allusion dans le NT, que ce soit par des citations et des allusions à l'AT (des dizaines et des dizaines), par des expressions consacrées ("l'ange du Seigneur" = "l'ange de Jéhovah", "Seigneur des armées" = "Jéhovah des armées), ou que ce soit par de fréquentes références au nom de Dieu : "que ton nom soit sanctifié", "je leur ai fait connaitre ton nom", "père, glorifie ton nom", "quiconque invoque le nom", "il a pris un peuple pour son nom", etc. Vous restez à la surface, le texte, et vous renoncer à la profondeur, le message. Quel dommage...
Je rappelle qu'un faisceau d'indices nous fonde à croire que les autographes du NT contenaient le nom divin. La critique textuelle, c'est aussi critiquer le texte jusque là admis pour le faire évoluer et se rapprocher du texte original. Il n'est donc pas exclu que cette discipline, relativement récente dans le cours du temps, se saisisse de la question de la présence du nom dans le NT dans les années à venir, tant il y a eu d'études publiées sur le nom divin depuis les dernières révisions du texte grec, et fasse évoluer une nouvelle fois le "texte" du NT.