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Pour l’Unesco, par Metin Arditi

Posté : 29 nov.16, 20:08
par ludovic59
Pour l’Unesco, par Metin Arditi

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Dans une récente chronique intitulée « Pour François Hollande » (Le Point du 10 novembre dernier), Patrick Besson n’y va pas par quatre chemins : « Mon nouveau combat : la lutte contre l’illettrisme chez les journalistes et les hommes politiques », écrit-il. L’objet de son papier est la lecture que beaucoup ont faite du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire ça… (Stock). Que Patrick Besson le sache s’il lit ces lignes, je suis candidat à tout comité, association ou autre forme de soutien visant à combattre l’illettrisme de circonstance à propos de textes contre lesquels on prend plaisir à se déchaîner.

L’un de ceux-là est la récente résolution du Conseil exécutif de l’Unesco (200 EX/25 ; 200 EX/36). Elle traite de sujets hautement inflammables : Jérusalem et en particulier le mont du Temple, qu’elle ne nomme que par son appellation arabe. Sous le point 16, la résolution se réfère à des décisions israéliennes (construction d’une ligne de funiculaire à deux voies à Jérusalem-Est, de la « Maison Liba » dans la Vieille Ville et du « Centre Kedem »), à propos desquelles elle précise (je traduis la version officielle en langue anglaise) : un centre destiné à accueillir les visiteurs près du mur sud de la mosquée Al-Aqsa/Al-Haram Al-Sharif, le noble sanctuaire. Plus bas, le texte se réfère à un projet d’ascenseur prévu à Al-Buraq Plaza « Western Wall ». Ces guillemets sont scandaleux. De plus, il y a dans la traduction française de cet article une inexactitude malheureuse : aux guillemets, le traducteur du Conseil a ajouté des parenthèses, sans doute par souci de clarté. De quoi mettre le feu aux poudres. Placer quelque chose, quelqu’un, une idée entre parenthèses, voilà qui est blessant. Entre guillemets et parenthèses, les réactions ne se sont pas fait attendre. La presse israélienne s’est déchaînée contre l’Unesco, institution qui récrit l’histoire, et la presse arabe s’est réjouie de ces coups de canif à la « puissance occupante » (le mot revient sans cesse dans la résolution). Pour sa part, l’Unesco a reçu près de cinq mille messages injurieux.

Si l’on prend la peine de lire l’ensemble de la déclaration, on remarque ceci :

1. En article 1, elle rappelle l’existence préalable de résolutions visant à protéger Jérusalem, en particulier les quatre conventions de Genève et leurs protocoles additionnels, ainsi que son inscription par l’Unesco, en 1982, sur la liste du patrimoine mondial en péril.

2. En article 2, la résolution affirme « the importance of the Old City of Jerusalem and its Walls for the three monotheistic religions », soit en français tel qu’on le parle : l’importance de la Vieille Ville de Jérusalem et de ses Murs pour les trois religions monothéistes.

3. Si le caractère juif du mont du Temple n’a pas été rappelé, son appartenance à l’héritage juif et à son histoire n’a nulle part été mise en doute. Cela n’aurait évidemment aucun sens.

4. En Conseil exécutif, cette résolution a été votée par 24 pays. Six pays ont voté contre, et 26 se sont abstenus. Ces chiffres disent tout (l’Unesco compte 195 pays membres).

Tout cela est triste à plus d’un titre. En se déchaînant comme elles l’ont fait, les presses israélienne et arabe jouent avec le feu. Car ici, le danger – immense – est celui qui résulte du mélange explosif entre religion et politique. Mais je peux comprendre. Si j’étais homme politique israélien, je saisirais l’occasion de dénoncer la volonté arabe d’effacer les Juifs de ce coin de terre. Et si j’étais homme politique arabe, j’encouragerais la presse à faire passer une provocation pour une victoire.

Faut-il pour autant que la presse européenne jette de l’huile sur le feu ? Qu’un Roger-Pol Droit, homme de qualité, parle (Les Echos.fr du 4 novembre) d’autodestruction de l’Unesco, en réaction à la provocation du point 16 d’un texte voté par 24 pays, voilà qui m’inquiète. Faut-il s’en prendre – et avec quelle violence – au vote de la France, alors qu’à la lumière de ce qui précède on comprend qu’elle se soit abstenue ? Dire que la directrice générale de l’Unesco a « tenté d’exprimer quelque réticence » est très injuste. La déclaration d’Irina Bokova rappelle la vérité historique avec force et clarté. Et le fait qu’elle ait été critiquée par des représentants des deux bords est éloquent. Pris dans son élan, voilà que Roger-Pol Droit parle de la Palestine comme d’un « État inexistant », dont l’accueil à l’Unesco a été « une aberration ». Bethléem, Jéricho, Hébron, tout cela n’existe pas. No Palestine.

Voilà où nous en sommes.

Mis à part cela, l’Unesco œuvre dans près de deux cents pays pour l’éducation, la culture et les sciences, de façon prépondérante avec la jeunesse.

http://www.la-croix.com/Debats/Chroniqu ... 1200806333