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Ces athées (presque) invisibles dans le monde arabe

Posté : 08 sept.16, 15:10
par Yoel
Les soulèvements qui ont secoué le monde arabe à partir de la fin de l’année 2010 se sont souvent accompagnés de débats sur la place du religieux. Malgré la répression, un certain nombre de sceptiques ont ouvertement affiché leur doute, voire leur athéisme, notamment sur les réseaux sociaux. Un phénomène réel mais dont il est difficile de mesurer l’ampleur.

ATHÉISME CONTRE NATURE

Paradoxalement, alors que les questions liées à la religion passionnent le grand public arabe, il n’y a pas beaucoup d’articles consacrés à l’athéisme proprement dit. Pour Tarek B., avocat marocain qui se définit comme « athée en terre d’islam », les athées sont en effet « souvent, et parfois de manière délibérée et malhonnête, confondus avec les laïcs. Ce sont surtout les islamistes qui confondent laïcité et athéisme pour affaiblir les voix appelant à une séparation stricte de l’État et de la religion. Cette confusion est entretenue, derrière la scène, par les régimes non démocratiques pour les mêmes finalités : décrédibiliser les mouvements laïcs appelant à une démocratisation profonde de la vie politique, mais aussi à la liberté d’expression et de conscience. »

Au Maroc, poursuit Tarek B., il y a « une autre confusion liée à l’apostasie, les Marocains — c’est vrai aussi pour le reste du monde arabo-musulman — étant tous considérés comme naissant de facto musulmans. En arabe, on dit « moslim bilfitra »2. Dès lors, abandonner sa religion ou en changer est inacceptable pour le commun des mortels et pour les dirigeants musulmans. » Historien des religions, Dominique Avon, dans son article très fouillé « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans » (Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme, IPRA) cite à cet égard cette déclaration de 1990 de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) : « L’islam est la religion de la fitra. Aucune forme de contrainte, aucune exploitation de sa pauvreté ou de son ignorance ne doivent être exercées sur l’homme pour l’obliger à renoncer à sa religion pour une autre ou pour l’athéisme. »

On peut aussi s’interroger sur la pertinence des mots utilisés en arabe pour « athée ». Le vocable le plus souvent utilisé est moulhid — hérétique, apostat, renégat — du verbe lahada — dévier de la bonne direction, abandonner sa foi —, mais qui n’exprime pas vraiment l’athéisme. Dominique Avon préfère parler de « penseur libre ». Quoi qu’il en soit, ce terme, comme ceux de mounafik (hypocrite), mourtad (apostat) ou kafir (idolâtre ou mécréant) sont tout aussi mal connotés aux yeux de la plupart des religieux musulmans ou de la communauté des croyants.

Les données statistiques sont rares et à prendre sans doute avec prudence, surtout quand un organisme égyptien comme Dar al-Ifta fait état en décembre 2014 de « 866 athées » dans le pays. Généralement, les travaux les plus sérieux, à commencer par l’étude de Brian Whitaker, Arabs without God, atheism and freedom of belief in the Middle East (CreateSpace Independent Publishing Platform, octobre 2014) se réfèrent à un sondage international WIN/Gallup remontant à 2012 pour lequel plus de 50 000 personnes avaient été interrogées dans 57 pays. L’enquête indiquait notamment que sur 502 Saoudiens interrogés, 5 % s’étaient déclarés « athées convaincus » (résultat comparable en pourcentage à celui des Américains) et 19 % des « personnes non religieuses »3. On notera qu’en dépit du fait que l’athéisme, l’apostasie ou le « scepticisme » peuvent être lourdement sanctionnés, y compris par la peine de mort, le pourcentage d’Arabes qui expriment des doutes quant à leur religion était plus élevé (22 %) qu’en Asie du Sud-est (17 %) ou en Amérique latine (16 %). Le Liban et la Tunisie sont les plus critiques, avec 33 et 22 % de « non religieux ». Selon Ahmed Benchemsi, si l’on songe à l’environnement social et politique qui entrave une expression libre, le nombre d’athées et de sceptiques pourrait être plus élevé.

DES LIBRES-PENSEURS DANS L’HISTOIRE

Si l’on se réfère au livre de Sarah Stroumsa, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem — Freethinkers of Medieval Islam. Ibn Al-R Wand, AB Bakr Al-R Z, and Their Impact on Islamic Thought (Islamic Philosophy, Theology, and Science) (Brill, 1999), — il est pratiquement impossible au cours des premiers siècles de l’islam de trouver un penseur affichant clairement son athéisme. En revanche, les gardiens de l’orthodoxie n’ont pas hésité à taxer d’« athées » et d’« hérétiques » nombre de dissidents et surtout ceux qui considéraient qu’il n’y avait que de « faux prophètes » ou des « imposteurs ». Deux Persans, Ibn Al-Rawandi, qui vécut à Bagdad et Abou Bakr Al-Razi sont les plus connus de ces rebelles.

Abou Ala Al-Maari au XIe siècle, un Alépin, est une autre figure de la libre pensée, lui qui décrivit sans prendre de gants la société « corrompue et dégénérée » de son époque dans laquelle, pour gouverner, des tyrans s’appuyaient sur « des juges vénaux et des religieux sans scrupules ». Selon lui, la société était alors partagée entre des « coquins futés et des idiots religieux ».

On pourrait encore parler d’Omar Khayyam, contemporain de Al-Maari, toutefois le véritable athéisme n’apparaît dans le monde musulman qu’à la fin du XIXe siècle. Pour Samuli Schielke, anthropologue allemand et chercheur au Zentrum Moderner Orient de Berlin, si les premiers penseurs sont apparus au moment de l’expansion de l’islam, la seconde vague de penseurs libres ou d’athées émerge dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’impérialisme occidental conduit en effet certains intellectuels à mettre en doute les traditions et l’organisation des sociétés dans lesquelles ils vivent et qui se montrent impuissantes à résister aux occupants. On voit ainsi apparaître dans les provinces arabes de l’empire ottoman, chez les musulmans comme chez les chrétiens, des courants nationalistes anticléricaux et antireligieux.

Dans le monde arabe, l’athée le plus notoire, l’Égyptien Ismaïl Adham, écrivain et critique littéraire d’Alexandrie, provoque la colère du recteur d’Al-Azhar au début des années 1930 après avoir mis publiquement en doute l’authenticité des hadiths. En 1936, il publie Limadha ana moulhid (Pourquoi je suis athée), qui suscite une violente polémique. « J’ai abandonné les religions et toutes mes croyances, écrit-il, et j’ai placé ma foi seulement dans la science et la logique scientifique. À ma grande surprise, cela m’a rendu beaucoup plus heureux qu’à l’époque où je luttais pour ne pas perdre la foi ».

Autre personnalité célèbre considérée par certains comme le « parrain » des athées du Golfe, Abdallah Al-Qassimi, à qui on doit cette formule célèbre : « L’occupation de nos cerveaux par les dieux est la pire forme d’occupation ».

Un peu avant Qassimi, le Syrien Abderrahmane Al-Kawakibi, sans faire profession d’athéisme, fut l’un des premiers intellectuels arabes à préconiser la séparation de l’État et de la religion, accusant les religieux traditionalistes de « renforcer leur autorité sur des croyants naïfs en utilisant l’islam comme un instrument de désunion afin de répandre l’esprit de soumission ».

Ainsi, beaucoup plus que sur l’existence de Dieu, les critiques des athées ou des sceptiques portent alors sur l’instrumentalisation de l’islam par les dirigeants du monde arabe. Ces critiques se renforcent avec le développement des idées marxistes après la seconde guerre mondiale. Néanmoins, les marxistes arabes, notamment au Yémen du Sud, se sont bien gardés de faire la promotion de l’athéisme publiquement. Au contraire, souligne Schielke, ils se sont efforcés de contrer la propagande anticommuniste en affirmant qu’un islam bien compris s’accordait parfaitement avec le socialisme.

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OrientXXI

Re: Ces athées (presque) invisibles dans le monde arabe

Posté : 04 janv.17, 09:32
par universel
vous ete bien instruit et sincère et honnête .........merci <<yoel>> Vos analyses sont bien réelles .
c est vrai comme disait :: la mort est l unique cause des religions , c est légale que l'homme doit craindre cequ il craint de trouver dans l au-delà ( châtiment) ,alors il devait chercher la vérité réelle et juste non pas s attaquer aux collègues par des écritures inconscientes .