Je retranscris ici un article que je viens de publier sur le sujet.
Plus clair que l'athéisme, pour un Adéisme.
Ce qui me dérange dans le sens qu’a fini par prendre l’Athéisme, c’est l’idée qu’on soit anti Dieu, pour ne pas dire Anti-Tout, qu’on semble penser que tous les croyants sont stupides, qu’on soit de simples nihilistes incapables de dépasser le nihilisme.
Dans le cadre de la Raison, je préfère me positionner comme Adéiste. C’est-à-dire que je trouve plus efficace de prouver que la question même de l’existence de Dieu est un non-sens, qu’elle ne se pose pas, plutôt que de prouver que Dieu n’existe pas. C’est ce que j’entends par « Adéisme » : la question de Dieu ne se pose même pas du point de vue de la raison.
En effet, il y a mille façons d’être athée. Et celle qui tend à prouver que Dieu n’existe pas ne me convainc pas totalement, surtout par son manque d’efficacité. En effet, on ne peut pas prouver que Dieu n’existe pas, pas plus que mon lecteur ne peut prouver qu’il n’y a pas un éléphant rose transparent à travers duquel il passe chaque jour sans s’en apercevoir dans la même pièce que lui. Il peut être intimement persuadé que cela est faux, mais pas le prouver. Qu’on ne puisse pas prouver qu’une chose n’existe pas ne prouve pas qu’elle existe. Mais qu’on ne puisse pas le prouver sème néanmoins le doute dans l’esprit de beaucoup de monde. En voulant prouver à tout prix que Dieu n’existe pas, on ne réussit au mieux, qu’à rendre cette idée absurde ou extrêmement improbable (comme dans cet exemple improvisé de l’éléphant). C’est déjà pas mal, mais insuffisant pour traiter le problème à la racine.
Question mal posée : réponses absurdes.
Une des pentes naturelles de notre esprit, bien utile au demeurant, est de trouver une finalité à ce que nous faisons ou construisons et par extension, aux choses qui nous entourent. Comme nous avons l’habitude de créer des choses avec un but (une chaise pour s’asseoir, des mots pour communiquer, décrire, émouvoir, ordonner, etc.), nous avons une tendance naturelle à transférer ce rapport que nous entretenons aux objets que nous produisons à la nature qui nous entoure, et même à l’univers. C’est cette tendance finaliste que moquait Voltaire avec son fameux : la forme du nez a été créée pour pouvoir porter des lunettes. La fameuse question: « Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? » est aussi absurde que la forme du nez pour les lunettes, mais cela saute moins aux yeux, car cette illusion finaliste est tenace. De cette question, dont Bergson prouve qu’elle est à l’origine de toutes les religions déistes, on ne peut que créer une réponse à l’image de l’homme, un Dieu humain ou ayant des caractéristiques très humaines, voire superhumaines, parce que bon, construire l’Univers, c’est quand même autre chose que de faire une table en bois ! Dans son énoncé même, cette question implique déjà que l’homme fasse un Dieu à son image. On anthropomorphise la question dès le départ, ce qui pour beaucoup d’athées la rend déjà caduque, puisqu’il faudrait qu’un surhomme ait créé le monde pour que la question ait un semblant de sens. L’absurdité apparente d’une telle proposition d’un Dieu surhomme, n’a pas empêché beaucoup de religions, et non des moindres, de créer ce type de super Dieu à l’image de l’homme, les trois monothéismes notamment.
Non seulement cette question est bassement anthropomorphique, mais elle est aussi et surtout fausse dans son énoncé même, illogique. Elle nous paraît d’abord censée, à cause d’une autre illusion d’optique de l’esprit bien coriace, celle du Néant. En effet, on ne dira pas « pourquoi cette pierre est dure plutôt que sans consistante aucune ? » Non, on dira « plutôt que molle? » par exemple. La comparaison induite par le terme « plutôt » ne peut comparer que deux choses réelles ou possibles. Le plutôt que « rien » présuppose la possibilité du Néant, or le Néant ne peut exister, puisque le réel existe. Il ne peut donc pas y avoir d’origine. D’ailleurs, l’effet poupée gigogne est amusant : ils disent « Dieu a créé le monde à partir du néant », un Dieu aurait donc coexisté avec le néant ? Ce n’était donc pas le néant, puisqu’il y avait au moins Dieu, donc lui même a dû être créé à partir du néant, donc, etc. etc. Et ce, à l’infini. À partir de là on comprend bien que le concept d’origine ou de genèse n’a pas de sens. Pas d’origine au réel, même le Big Bang ne sort pas du Néant. Pas d’origine, pas de finalité, pas de destin, et pas de hasard non plus qui n’est que le revers de la médaille du destin.
Faut-il donc ne pas croire pour autant en Dieu ?
Pas nécessairement. On peut choisir en toute connaissance de cause de croire ou non. Mais on doit accepter que cela ne relève ni de la raison ni de la science. Cela ne peut relever que du fameux pari de Pascal, à savoir de la Foi.
La Foi est un des langages concurrents de la Raison pour comprendre le monde qui nous entoure. Mais aussi pour créer des échelles de valeurs, des règles et un possible vivre ensemble. Elle n’est pas construite sur des bases rationnelles, elle ne peut prouver Dieu, mais elle se sert de cette hypothèse improbable pour flatter notre pente naturelle à voir du sens partout et de la finalité partout, elle nous rassure aussi sur notre peur de la mort, et elle permet à partir de cela de construire des fables autour desquels des civilisations vont pouvoir se fonder. Les religions sont en ce sens fort utiles, puisqu’elles usent de la puissance des deux illusions d’optique mentales, dont nous sommes tous victimes de par le fonctionnement de notre intelligence (finalisme et néantisme), pour créer des règles de vivre ensemble communicables à tous quel que soit le niveau de culture.
Alors Foi ou Raison ?
Dans ce débat il ne faudrait pas omettre que la pensée rationnelle, la Raison, au même titre que tout autre langage (qu’il soit mathématique, physique, musicale ou même pictural pu corporel) reste aussi un langage et donc un simple outil, quelque chose qui ne permet pas d’accéder à la vérité, mais seulement de décrire au mieux l’expérience humaine, de la représenter. Bref, penser c’est fabuler, c’est créer ! La vision de Deleuze selon laquelle le philosophe créé des concepts (et non les découvre) est très juste. Le monde a le sens qu’on lui donne.
Si la raison aussi est une fable, alors pourquoi la préférer à la religion ?
Parce que, par rapport à l’offre religieuse actuellement disponible, la raison est ce qui permet de construire la vision du monde la plus proche de l’expérience humaine, mais qu’elle permet aussi de changer de paradigme à tout moment et de ne pas rester figé dans une vision du monde, d’être des créateurs de sens nouveaux. De plus, les religions déistes refusant de se reconnaître comme des fables basées sur une hypothèse, et voulant à tout prix détenir la Vérité, elles amènent nécessairement aux guerres de religion et à voir ceux qui refusent de sortir du champ de la raison comme des impies, des infidèles, bref, des personnes à mépriser, voire à éradiquer.
La Philosophie ne doit pas avoir pour champ la vérité, car conceptualiser c’est inventer une meilleure façon de voir le monde, plus aiguë, plus pertinente, plus jouissive. Les concepts, les idées, sont des outils. De même que la Relativité fut un meilleur outil que le système newtonien pour décrire le monde qui nous entoure, la créativité à laquelle nous invite Deleuze avec ses concepts est bien plus adaptée à notre monde et à ses transformations que les monades de Leibniz, quelle qu’ait pu être leur utilité pour mieux penser le monde à son époque. Les concepts que nous choisissons pour penser le monde sont notre boîte à outils, et si une pierre permet bien d’enfoncer un clou, un marteau reste un meilleur moyen pour le faire. L’histoire de la philosophie, n’est que ce passage successif d’outils à d’autre, sachant que le clou à enfoncer n’a lui-même plus la même forme selon les époques.
Si l’offre religieuse est défaillante pourquoi ne pas créer une religion adéiste ?
Ne pouvant espérer que tout le monde devienne philosophe, ou en ait même l’envie, pourquoi ne pas inventer une nouvelle religion qui satisfasse tout le monde dans notre penchant naturel à vouloir du Sens ? Nous serions donc la première civilisation à ne pas nous permettre de créer une Religion ? Il en existe actuellement encore des centaines, il y en a eu des milliers. Toutes n’ont pas été déistes. Le divin est par exemple totalement accessoire dans le Taoïsme. Ce qui fonde le taoïsme est une expérience sensible, celle qu’on traduit grossièrement par le « non-agir » : nous ne nous sentons jamais aussi libre que quand nous ne commandons plus nos gestes, mais qu’on a l’impression qu’ils se font d’eux-mêmes, le plus parfaitement possible. On ne maîtrise jamais autant un morceau de musique que quand on l’a oublié et que nos mains le jouent seules. Ce paradoxe de la parfaite sensation de maîtrise dans l’abandon le plus total est assez proche de ce que nous vivons dans l’extase. Même si l’extase n’est pour les Occidentaux qu’un moment fugace là où le taoïsme arrive à faire durer ce moment dans une harmonie perpétuelle entre l’homme et son milieu.
Doit-on nous aussi fonder une nouvelle religion sur une expérience sensible commune qui produit le bonheur le plus élevé. Cela paraît séduisant, mais je ne le crois pas. Si on peut décider individuellement d’être taoïste, autant que cela se puisse, il me paraît impossible d’en faire un socle solide pour ce qu’est devenu l’humain, où la raison a largement pris le pas sur l’expérience sensible.
Sur quelle base donc, former une nouvelle religion ?
Je crois que même si comme tout langage, la Physique reste une fable, cela reste le langage le plus objectif sur lequel nous appuyer. Même si la Relativité ne décrit pas tout parfaitement, pas plus que la physique quantique ne le fera un jour (il y aura encore de l’infiniment petit derrière l’infiniment petit). On peut au moins se mettre d’accord sur le fait qu’il semble bien y avoir des lois physiques immuables qui régissent le monde qui nous entoure. Pour autant, il ne s’agit pas de faire de chaque homme un physicien en puissance. Le simple fait de penser pour chaque homme qu’il est incontestable que des lois régissent le réel doit suffire à construire une base solide, acceptable par tous. Comment rendre ce fait bandant, c’est-à-dire religieux, mystique ? « Ô grand mystère des lois de la physique qui nous gouvernent et auxquelles nous sommes soumis ! » Ce n’est pas gagné a priori, mais donnez un nom à cet ensemble de Lois, déifiez-le, et comme par magie vous aurez une nouvelle religion. Cet angle a aussi le mérite de faire de la beauté et de notre émerveillement face à une nature si bien réglée (illusion finaliste, mais que l’on partage tous) le point central, névralgique de ce qui relierait les hommes.
Ainsi, nous satisferions nos penchants naturels à la quête de sens et de mystère tout en restant au plus proche de la raison.
http://philomaniak.unblog.fr/2016/01/06 ... n-adeisme/