La tg n'est pas un livre sacré.
L’autodafé qui enflamme l’Amérique
La menace d’un pasteur de brûler le Coran et la résistance à la construction d’une mosquée à Ground Zero révèlent une islamophobie de plus en plus forte.
Le pasteur Terry Jones. (© AFP Joe Raedle)
par Lorraine Millot, Washington, de notre correspondante
publié le 11 septembre 2010 à 0h00
Le «nouveau départ» que Barack Obama voulait tenter «pour les Etats-Unis et les musulmans du monde entier» tourne à la crise d'hystérie. Un obscur pasteur de Floride a réussi à s'attirer une gloire mondiale en menaçant de brûler des corans ce samedi, «à la mémoire des victimes du 11 Septembre». Depuis plus d'une semaine, ce prêcheur de haine, qui ne représente qu'une minuscule communauté d'une trentaine de fidèles, met en émoi toute l'Amérique, si ce n'est le monde, avec sa réserve de corans à consumer et sa page Facebook où il comptait vendredi 16 000 fans. Jeudi, Terry Jones a annoncé être prêt à renoncer à son autodafé, prétendant avoir obtenu un «accord» pour qu'en échange de sa retenue le centre islamique prévu à New York, près du site des attentats du 11 Septembre, soit déplacé (lire page 4). C'était faux, évidemment : l'imam Rauf, initiateur du projet new-yorkais, a fait savoir qu'il ne comptait pas «troquer» avec cet illuminé. Mais l'imbroglio a permis au petit moustachu de Gainesville de faire encore parler de lui vendredi toute la journée.
«islamophobie». Le plus troublant dans cette histoire est pourtant comment l'administration Obama a contribué à faire de ce pyromane isolé une menace pour la sécurité nationale. En 2008, une communauté baptiste avait déjà brûlé un coran, au Kansas, et filmé son geste sans que personne n'en fasse une affaire d'Etat. Cette fois, le dossier est monté jusqu'au commandant des forces américaines en Afghanistan, le général Petraeus, puis jusqu'au Président lui-même. Ils ont tous deux déclaré cette semaine que l'initiative de Gainesville mettrait en danger la vie des soldats. «C'est une aubaine de recrutement pour Al-Qaeda, a lancé Barack Obama jeudi. Cela pourrait intensifier le nombre d'individus qui sont prêts à se faire exploser dans des villes américaines ou européennes.» Même le secrétaire à la Défense, Robert Gates, est allé jusqu'à téléphoner au pasteur Jones pour tenter de le dissuader de brûler ses corans.
«Disons que le progrès arrive souvent par à-coups : deux pas en avant, un pas en arrière… tente de dédramatiser l'un des conseillers d'Obama en matière de dialogue interconfessionnel, Eboo Patel. Dans cette affaire, il n'y a pas que des professionnels de la haine qui font commerce de l'islamophobie. Mais je vois aussi aujourd'hui aux Etats-Unis un grand éveil de la solidarité entre les confessions. Même ces jours-ci, je reçois quantité de messages de pasteurs évangéliques, de rabbins ou d'autres personnes encore exprimant leur soutien à la communauté musulmane.»
Calomnie. Dans son fameux discours du Caire, en juin 2009, Barack Obama avait déjà prévenu que le «cycle de méfiance et de discorde» entre l'Amérique et l'islam ne serait pas simple à «briser». «Le changement ne se produira pas du jour au lendemain», avait-il annoncé. Le problème aujourd'hui est que le climat semble plutôt empirer. 49% des Américains disent avoir une opinion «défavorable» de l'islam, indique un récent sondage ABC-Washington Post, tandis que 37% en ont une opinion «favorable». «L'islamophobie est devenue une des formes acceptée de racisme aux Etats-Unis», s'inquiète Arsalan Iftikhar, fondateur du site internet TheMuslimGuy.com. Tandis que l'antisémitisme ou le racisme contre les Noirs sont devenus très tabous, la calomnie de l'islam servirait de nouveau défouloir. Ebrahim Moosa, professeur d'études islamiques à l'université Duke (Caroline du Nord), constate aussi une «islamophobie croissante» aux Etats-Unis. Il reconstitue : «Avec les attentats du 11 Septembre, les musulmans aux Etats-Unis, qui pensaient avoir atteint le rêve américain et se concentraient le plus souvent sur leur bien-être personnel, ont été soudain rattrapés par les conflits et persécutions qu'ils croyaient avoir laissés derrière eux en quittant leurs pays d'origine. D'un coup, les Américains se sont mis à beaucoup parler d'islam, certains n'ont pas su séparer cette religion du 11 Septembre, et les groupes évangéliques ont saisi l'opportunité pour en diffuser une version déformée.» En 2001, le coupable désigné «était Al-Qaeda», se souvient ce professeur : «Aujourd'hui, c'est l'islam. Et cela nous met dans une situation beaucoup plus dangereuse qu'après le 11 Septembre.»
«Fascisme». L'amalgame actuel entre islam et violence est le résultat du travail de sape des groupes évangéliques, des guerres menées en Irak et en Afghanistan, mais aussi d'intellectuels comme Christopher Hitchens, qui ont popularisé des concepts tels que «le fascisme islamique», récapitule Ebrahim Moosa.
La polémique de cet été autour de la «mosquée de Ground Zero» a aussi aggravé le débat. Elle a ravivé le lien entre islam et 11 Septembre et braqué beaucoup d'Américains : même dans une ville aussi tolérante que New York, une majorité s'oppose maintenant à ce chantier. Le professeur Moosa relativise pourtant : en se dressant contre plusieurs projets de mosquées, à New York et un peu partout dans le pays, l'Amérique n'a fait qu'imiter l'Europe : «L'islamophobie est quelque chose à laquelle les musulmans européens sont habitués depuis longtemps. Voilà que maintenant, nous faisons comme l'Europe.»
https://www.liberation.fr/planete/2010/ ... ue_678189/