Je suppose que, pour répondre à cette question, il faut d'abord se tourner vers les savants musulmans. Ils sont les premiers à avoir hérité du Coran, les premiers à l'avoir appréhendé, et bien que la nature de cette appréhension soit foncièrement différente de celle qu'un historien peut opérer, il importe de déterminer la manière dont les musulmans eux-mêmes ont pu répondre à cette question. Je propose ici de partager quelques passages du précis de sciences coraniques de Suyūṭī, afin de nous donner matière à réflexion. Dans la mesure où tout le monde n'est pas arabophone, je vais seulement donner la traduction du texte, et ainsi, ceux qui voudront participer et partager leurs réflexions le pourront. Pour ceux qui connaissent l'arabe, ils pourront directement consulter les chapitres 18 et 19, le livre est gratuitement disponible sur internet (الإتقان في علوم القرآن / النوع التاسع عشر: في عدد سوره وآياته وكلماته وحروفه / النوع الثامن عشر: في جمعه وترتيبه).
Suyūṭī écrit :
Deux principales raisons sont ici avancées pour justifier la division du Coran en sourates :On dit que la raison d'être de la division du Coran en sourates consiste à réaliser que, par elle-même, la sourate est un miracle et un signe parmi les signes de Dieu, et à indiquer que chaque sourate constitue une forme indépendante - ainsi, la sourate Yūsuf est relative à son histoire, la sourate Barāʾa aux agissements des hypocrites et à leurs pensées dissimulées, etc.
Les sourates se divisent en grandes, moyennes et petites, afin de montrer que la taille n'est pas une condition de l'inimitabilité (du Coran) - en effet, il y a la sourate Kawthar qui ne contient que trois versets, et elle est tout autant un miracle d'inimitabilité que la sourate Baqara. Il devient apparent pour cela que la raison d'être des sourates [est aussi] l'apprentissage et la progression des enfants, en partant des petites sourates pour aller à celles qui leur sont supérieures, cela parce que Dieu facilite à ses serviteurs la mémorisation de son livre.
Al-Zarkashī dit dans al-Burhān : Et si l'on demande : est-ce que les livres précédents étaient ainsi [divisés en sourates] ? Je réponds de deux manière : d'une part, ils n'ont pas eu de miracles quant à la composition et l'agencement (des sourates), d'autre part, ils n'ont pas été rendus faciles pour la mémorisation.
Mais al-Zamakhsharī mentionne une chose différente de cela dans son Kashshāf : Les avantages dans la division et la partition du Coran en sourates sont nombreux. En effet, c'est ainsi que Dieu révéla la Torah, l'Injīl et les Zabūr, et ce qu'il révéla à ses prophètes était divisé en sourates - de la même manière que les auteurs divisent leurs livres en chapitre dont les débuts sont délimités par des titres. Et parmi ces avantages, celui que le genre, lorsque qu'il contient des espèces et des catégories, est préférable et plus considérable que lorsqu'il ne comporte qu'un chapitre. Et parmi ces avantages, celui que le lecteur, lorsqu'il termine une sourate ou un chapitre et s'apprête à en commencer un autre, soit plus enthousiaste et stimulé pour y parvenir que s'il devait s'y tenir dans toute sa longueur. C'est ainsi que le voyageur dépassant le mille ou le parasange, se réconforte de cela, et se motive pour [continuer] la marche. C'est pour cela que le Coran a été divisé en trentièmes et en cinquièmes. Et parmi ces avantages, celui que celui qui apprend une sourate par coeur soit convaincu qu'il a pris une partie indépendante en soi du Livre de Dieu, et que cela lui semble considérable. De là, la tradition de Anas : Lorsqu'un homme récite al-Baqara et Al-ʿImrān, nous le considérons comme respectable. C'est pour cela que la récitation d'une sourate (entière) est préférable lors de la prière. Et parmi ces avantages, celui que, grâce au fait de détailler, à cause de la succession de formes similaires et communes, les unes aux autres, on perçoit mieux les significations et l'ordonnancement, et ainsi de suite pour les avantages.
Ce que Zamakhsharī vient de mentionner concernant la division en sourates des autres livres est authentique et véritable, car Ibn Abī Ḥātim a rapporté que Qatāda a dit : Nous disions que les Zabūr comportaient cent cinquante sourates, toutes des sermons et des louanges, et qu'il n'y avait pas de licite, d'illicite, de devoirs (du culte) et de lois, et ils mentionnaient que dans l'Injīl, il y avait une sourate nommée : sourate des paraboles.
a) La sourate répond à un besoin de division thématique.
b) La sourate illustre la sollicitude et pédagogie divine.
Aucune de ces raisons ne semble pleinement satisfaisante. D'une part, parce qu'il y a beaucoup de sourates qui ne sont pas thématiques et ne respectent pas la chronologie (supposée) du texte, mais contiennent, pêle-mêle, des sujets divers et des versets de différentes datations et circonstances. D'autre part, parce que la sollicitude divine n'explique pas les fortes irrégularités de quantité que nous trouvons entre les sourates : certaines ont trois versets, d'autres, plus de deux cent quatre vingt. Partant, si la facilité d'apprentissage avait été la raison d'être de ces subdivisions, le Coran aurait été divisé en des parties plus petites et régulières, comme il l'a été par la suite (juz' ou hizb). Si donc aucune de ces explications ne justifie, ou du moins, ne rend compte de la subdivision du Coran en sourate, de la raison d'être des sourates, quelle raison pourrions-nous trouver ? Je ne sais pas, mais il serait peut-être intéressant d'avoir l'avis des uns et des autres. Qu'en pensez-vous ?