Histoire de l'exégèse de la bible (3)

Différentes traductions, selon différents groupes religieux.
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Janot

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Histoire de l'exégèse de la bible (3)

Ecrit le 19 déc.17, 08:20

Message par Janot »

Je poursuis ce récit, pour lequel il faut souligner l'immense apport de François Laplanche : "La crise de l'origine", ed. Albin Michel : une somme ! N'hésitez pas à me dire votre sentiment.

Histoire de l’exégèse de la bible (9)

Les recherches de Loisy sur le NT, qu’il publie à partir de 1893 (la crise de la foi dans le temps présent) le conduisent à dire ceci : « L’Église est obligée actuellement de subir le mouvement scientifique qui se produit en dehors d’elle, mais elle s’efforce de le maintenir là où il est, en dehors d’elle, et de garder jalousement contre tout contact profane sa science à elle, ce qu’on appelle sans rire la science catholique. ». les écrits de Loisy (surtout L’Évangile et l’Église, 1902, et Autour d’un petit livre, 1903) sont mis à l’Index le 16 décembre 1903. L’excommunication de l’exégète suivra en 1908. Loisy inaugure l’histoire de l’école dite progressiste, et condamnée par le catholicisme sous le nom de modernisme. L’intransigeance de Rome remonte à plus haut : Léon XIII appelle en novembre 1885 le soutien de la puissance publique à l’Église catholique en écrivant : « Des preuves nombreuses et éclatantes, à savoir la vérité des prophéties, une multitude de miracles, la rapidité avec laquelle la foi s’est propagée, le témoignage des martyrs et d’autres arguments semblables prouvent à l’évidence que la seule religion véritable est celle dont Jésus-Christ lui-même est l’auteur et qu’il a donné mission à l’Église de garder et de propager. ».

L’Église catholique est sur la défensive, elle constate dans les lycées et universités une présentation des faits religieux par des historiens laïques brillants, souvent rationalistes. Ainsi, une lettre épiscopale du 14 septembre 1909 condamne plusieurs manuels scolaires en usage dans les écoles primaires publiques. Mais la France n’est pas partagée de manière simple entre « cléricaux » et « anticléricaux », il existe aussi une large couche d’esprits qui cherchent à la morale un fondement métaphysique ou religieux, mais ils sont rebelles à tout dogmatisme. Quelques esprits catholiques clairvoyants (dont Émile Boutroux en 1910) se demandent si l’intransigeance de Pie X, qui vient de condamner toute forme de modernisme, pourra se maintenir longtemps.
Le courant laïque est fort. On voit apparaître des chaire d’histoire des religions à l’Université de Paris : Charles Guignebert, agrégé d’histoire et docteur en 1902, esprit rationaliste brillant et d’une grande érudition, devient en 1906 chargé d’enseignement d’histoire du christianisme ancien à la Faculté des Lettres de Paris. Il sera professeur titulaire en 1919. Loisy accède au Collège de France en 1909. Ses « petits livres rouges » avaient osé démontrer avec une rigueur toute allemande et une élégance bien française que loin d'avoir été instituée par Jésus, l'Église chrétienne s'est construite elle-même sur la mémoire du Ressuscité ou que loin d'avoir été annoncés par l'Ancien Testament, les Évangiles n'ont fait que s'y référer pour légitimer leur message novateur. Ces petits livres et autres articles qui ont fait grand bruit dans le monde clérical au tout début du siècle. Après le passage en revue de diverses théories générales des religions, le manuscrit retrace les grandes étapes de la mutation décisive qui va des prophètes d'Israël jusqu'à l'Église chrétienne en passant par Jésus de Nazareth ; il développe enfin diverses propositions en vue de la réforme du régime intellectuel de l'Église en insistant notamment sur l'intégration entre la raison et la foi par une autolimitation réciproque de la théologie et des sciences historiques. S'opposant doublement à l'idéalisme protestant et à l'enfermement scolastique du magistère romain, l'examen critique des théories des religions s'appuie sur la perspective d'un dogme chrétien en perpétuel développement ; vision progressive que Loisy doit principalement au cardinal Newman, théologien anglican passé au catholicisme. « On ne trouvera pas le culte de la Vierge avant que soit réglé celui du Christ et la papauté se dessinera seulement à mesure que l'Église sera consolidée » (p. 78). Dans sa réflexion sur les liens entre religion et révélation, l'auteur s'inscrit en faux contre les thèses conciliaires de Vatican I (1870). L'exégète conteste ainsi que les Évangiles soient l'accomplissement en droite ligne des prophéties israélites ou que les miracles de Jésus puissent justifier à eux seuls la foi chrétienne. De même, la résurrection du Christ renvoie moins à un fait biologiquement inexplicable qu'à une vision de foi décisive.
La riposte de l’Église catholique sera forte.

Histoire de l’exégèse de la bible (10)

Un décret du Saint-Office (Lamentabili sane exitu) du 4 juillet 1907 vise avant tout l’exégèse de Loisy, dresse une liste des propositions condamnées, rappelant deux principes généraux : l’interprétation des Écritures est soumise à l’autorité doctrinale de l’Église ; Dieu étant l’auteur de l’Écriture, celle-ci ne comporte pas d’erreur. L’Évangile selon saint Jean doit être tenu pour historique et pas seulement symbolique, il n’est pas permis de dire que les évangiles n’affirment pas la divinité du Christ, ni que la résurrection du Christ n’est pas proprement un fait d’ordre historique ; ni que Jésus n’a pas voulu fonder une Église, mais seulement annoncer le royaume de Dieu.

Une Commission biblique pontificale, créée par Léon XIII en octobre 1902, s’était vue confier le domaine des études bibliques, en 1904 elle a le soin exclusif de conférer les grades en Écriture sainte. Elle décide qu’il fallait respecter le sens littéral historique des trois premiers chapitres de la Genèse ; cela bien admis, on pouvait entendre « les jours » de la création autrement qu’au sens littéral. Pour l’exégèse du NT, il est interdit de dire que els discours de Jésus sont fictifs. L’évangile grec de Matthieu reproduit fidèlement un original araméen, ce qui en fait le plus ancien de tous.

Le 8 septembre 1907, Pie X fait publier l’encyclique Pascendi, qui explique et condamne les erreurs modernistes, dont le fondement est l’agnosticisme :
« L'agnosticisme nie toute possibilité de connaissance scientifique des phénomènes. D'où Dieu n'est ni objet direct de science, ni un personnage historique. "Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure...?". Toute vérification temporelle de la foi est niée, et la foi se transforme en fidéisme. L'intellectualisme remplace le réalisme chrétien. Cette proposition moderniste s'élève directement contre ce qu'a toujours enseigné l'Eglise, comme en témoigne cette citation du de revelatione, au canon premier: "si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème". Somme toute, l'agnosticisme peut être réduit à ce simple mot : ignorance. »

Pour anéantir la cause intellectuelle du modernisme qu'est l'ignorance de la vraie et sainte doctrine, le pape ordonne l'étude dans les séminaires de la philosophie thomiste. "Nous voulons et ordonnons que la philosophie scolastique soit mise à la base des sciences sacrées. Et "sur cette base philosophique, que l'on élève solidement l'édifice théologique). Solide éducation amène de solides idées... (N'oublions pas que saint Pie X est fils de paysan). L'enseignement ayant été réformé, il ne s'agit pas que des professeur viennent jeter le trouble dans l'esprit de leurs élèves... « Ainsi, tous les professeurs modernistes doivent quitter leurs chaires d'enseignement, pour laisser la place à des personnes "sûres" De même, le sacerdoce ne doit pas être donné à quelqu'un suspect d'idées modernistes, dans la mesure où il risquerait de corrompre ses confrères. Tout ceci n'est que mesure de prudence, la même qui serait prise à l'égard d'une maladie contagieuse... Faites tout au monde pour bannir de votre diocèse tout livre pernicieux. En effet, ce n'est pas tout de préserver les fidèles du contact verbal avec les modernistes, mais il faut encore leur supprimer tout moyen d'action par voie de presse. C'est là encore mesure de prudence. »
Un dominicain, le Père Lagrange, fera bientôt les frais de ces mesures ; dans un commentaire de saint Marc, dirigé contre Loisy, Lagrange a le malheur de soutenir que Marc pourrait être antérieur à Matthieu et de récuser l’authenticité de la finale de l’Évangile (ce qui est admis par tous aujourd’hui), donc d’entretenir une notion insuffisante de l’inerrance biblique. Son livre est interdit. Lagrange envoie des lettres de soumission, ses livres échappent à l’Index.
Histoire de l’exégèse de la bible (11)

En 1909, un ouvrage nouveau va frapper l’opinion publique : l’Orpheus de Salomon Reinach (650 pages, dix éditions épuisées en un an, traductions en 5 langues). Né en 1858, Salomon Reinach est un membre brillant de l’intelligentsia française au tournant des deux siècles, reçu premier à l’École normale supérieure et à l’agrégation de grammaire ; il se consacre à la philologie classique et à l’archéologie, et publie très vite de nombreux articles sur les religions, qui formeront bientôt 5 volumes. Son projet est de constituer une généalogie de la religion, donc en expliquer l’origine, et s’appuie sur la méthode comparative. Reinach met à l’origine de la religion le totémisme et la magie. Les chapitres sur les religions autres que le judaïsme et le christianisme ne soulevèrent pas d’objection.

Il considère que le christianisme s’élabora dans le monde juif par le mélange des doctrines mosaïques, grecques et persanes. Reinach remarque la proximité de doctrine entre Jésus et le grand docteur pharisien Hillel ; dès lors l’hostilité prêtée à Jésus envers les pharisiens ne peut guère s’expliquer que comme un projection dans les Évangiles de polémiques très postérieures. Selon lui, les synoptiques dérivent de deux sources : un Marc primitif et un recueil de discours (logia en grec) appelé « Q », initiale de Quelle, la source en allemand (hypothèse toujours utilisée). Marc actuel utiliserait le Marc primitif mais aussi Matthieu et Luc. Reinach fait état d’un certain scepticisme quant aux repères solides pour l’historien, face aux contradictions des récits (ceux de l’enfance, du tombeau, de la résurrection), au manque d’attestations convergentes (Pierre chef de l’Église ne se trouve que chez Matthieu), et à l’absence de sacrements institués par Jésus-Christ ; s’y ajoutent les données de l’histoire juive ou romaine qui contredisent le récit (faux portrait de Pilate, date du recensement, date du procès de Jésus, inadmissible pour des coutumes juives).
Conclusion de Salomon Reinach : « En somme, nos Évangiles nous apprennent ce que différentes communautés chrétiennes croyaient savoir de Jésus entre 70 et 100 après l’ère chrétienne ; ils reflètent un travail légendaire et explicatif qui, pendant quarante ans au moins, s’est fait au sein des communautés. »

La publication de l’Orpheus provoqua une intense mobilisation de la science catholique à tous les échelons. La méthode comparative présentait il est vrai des faiblesses, et entraîner judaïsme et christianisme dans le sillage du totémisme et de la magie était certainement excessif. Cela dit, Batiffol, sulpicien et exégète, admet la théorie des deux sources ; il distingue entre les enseignements de Jésus, solides grâce à la mémoire des communautés juives et les récits, dont la présentation à des fins de catéchèse est évidente — sans que cela autorise à nier leur historicité, même si on peut concéder que tel détail a pu être ajouté en écho à l’Ancien Testament.

La science catholique dut quand même faire quelques concessions ; on reconnut la nécessité de mettre à part l’Évangile de Jean, dont la densité symbolique et la profondeur mystique rendent difficile la distinction entre les faits et leur interprétation par le rédacteur. La position de Harnack, grand théologien protestant, est admise en gros : Certes, la christologie va connaître de profonds développements dans l’histoire du christianisme primitif, mais ce constat ne doit pas troubler la foi. Les exégètes catholiques entendent ne pas choisir entre la conception du royaume chère au protestantisme libéral (le royaume intérieur, déjà offert à ceux qui ont une âme d’enfant de DIeu) et celle de l’école opposée, l’école eschatologique (le royaume social et visible, encore à venir, qui paraîtra avec éclat et soudaineté).

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