Posté : 23 août06, 09:09
par LumendeLumine
Ici le lien fonctionne sans problème. Mais c'est un résumé des preuves et pas une démarche syllogistique implacable.
Puisque le livre La Synthèse Thomiste ne se trouve que difficilement aujourd'hui, je viens d'aller l'emprunter et j'en ai transcrit un passage assez important, quoique bien entendu il faudrait lire l'ouvrage en entier pour bien se mettre ses thèses principales dans la tête.
CHAPITRE II
LA STRUCTURE DU DE DEO UNO ET LA VALEUR DES PREUVES THOMISTES DE L’EXISTENCE DE DIEU
Pour montrer la structure et le style du traité de Deo uno, tel qu’il se trouve dans la Somme théologique de saint Thomas et tel que l’a compris l’école thomiste, nous parlerons d’abord de la valeur des preuves de l’existence de Dieu qui y sont exposées, et de leur terme, qui est en même temps le point de départ de la déduction des attributs divins. (…)
Saint Thomas, dans la Somme théologique, reprend d’un point de vue supérieur les preuves philosophiques de l’existence de Dieu données, par Aristote, Platon, les néoplatoniciens et les philosophes chrétiens.
I. Exposé synthétique. – En considérant ces cinq voies ascendantes du point de vue éminent de la sagesse théologique, saint Thomas détermine les conditions de leur valeur et montre quel est le point culminant vers lequel elles convergent. Ce sont pour lui les cinq preuves types, auxquelles les autres peuvent se ramener. Nous avons longuement exposé ce problème ailleurs : Dieu son existence et sa nature, 6e éd., 1933, 1re partie, et De Deo uno, 1re éd., 1938.
Saint Thomas n’admet pas qu’on puisse prouver a priori l’existence de Dieu, Ia, q. II, a. I, bien que la proposition Deus est soit per se nota quoad se, ou évidente par elle-même en soi et pour celui qui saurait ce qu’est Dieu : l’Être même subsistant dont l’essence implique l’existence actuelle ou de fait (…). Mais, dit-il, nous ne savons pas à priori ce qu’est Dieu (…); nous n’avons d’abord qu’une définition nominale de Dieu, conçu confusément comme cause première du monde, de tout ce qu’il y a réel et de bon en lui. De cette notion abstraite de Dieu, fort différente de l’intuition immédiate de l’essence divine, nous ne pouvons pas déduire a priori son existence concrète ou de fait.
Nous voyons sans doute a priori, que Dieu existe par soi, s’il existe de fait. Mais, pour affirmer qu’il existe de fait (…), il faut partir de l’existence de fait des réalités contingentes que notre expérience constate, et voir si elles exigent nécessairement une cause première qui corresponde réellement en dehors de notre esprit à notre notion abstraite ou définition nominale de Dieu. Cf. Ia, q. 11, a. 1, ad 2um; et a. 2, ad 2um.
Cette position est celle du réalisme modéré, intermédiaire entre le nominalisme qui conduit à l’agnosticisme (on le verra chez Hume), et le réalisme excessif de l’intelligence, qui se trouve à des degrés divers chez Parménide, Platon, les néoplatoniciens, qui reparaît en un sens dans l’argument de saint Anselme, plus tard sous une forme très accentuée chez Spinoza, et aussi chez Malebranche et les ontologistes, qui croient avoir une intuition immédiate confuse, et non pas seulement une idée abstraite, de la nature de Dieu.
Toutes les preuves classiques de l’existence de Dieu admises par saint Thomas, Ia, q. II, a. 2, reposent sur le principe de causalité, dont les formules de plus en plus profondes sont les suivantes : tout ce qui arrive a une cause, tout être contingent (même s’il existait de fait ab aeterno) demande une cause; tout ce qui est, sans être par soi, dépend d’une cause qui est par soi. Plus clairement : ce qui participe à l’existence (ce qui a part à l’existence et a une existence limitée) dépend en dernière analyse d’une cause qui doit être l’Existence même, l’Être par essence, d’une cause qui est à l’existence comme A est A, d’un être qui seul peut dire : Ego sum qui sum. Partout où il n’y a pas cette identité, mais composition, union de l’essence et de l’existence, il faudra remonter plus haut, car l’union est postérieure à l’Unité et la suppose.
En d’autres termes et plus simplement : le plus ne sort pas du moins, le plus parfait ne peut être produit par le moins parfait. S’il il y a dans le monde des êtres qui arrivent à l’existence et qui disparaissent ensuite, s’il y a en lui des êtres qui n’ont qu’une vie temporaire et périssable, des hommes d’une sagesse fort limitée, d’une bonté bien restreinte, d’une sainteté qui a toujours ses imperfections, il faut qu’il y ait, au sommet de tout, Celui qui est de toute éternité l’Être même, la vie même, la sagesse même, la bonté même, la sainteté même. Autrement le plus sortirait du moins; l’intelligence des hommes de génie et la bonté des saints proviendraient d’une fatalité matérielle et aveugle; le plus parfait viendrait du moins parfait, contrairement au principe de causalité. Cette preuve générale contient virtuellement toutes les autres preuves a posteriori, qui sont toutes fondées sur le principe de causalité.
Pour voir la valeur de ces preuves, il faut noter que la cause qui est nécessairement requise par les faits et les réalités existantes que nous constatons, ne se trouve pas dans la série des causes passées; le fils dépend sans doute du père et de l’aïeul; mais le père et l’aïeul, qui souvent n’existent plus lorsque leur descendant existe encore, étaient aussi contingents que lui et autant que lui demandaient une cause; ils avaient reçu l’existence, la vie, l’intelligence; nul d’entre eux et aucun de leurs ascendants ne pouvait dire : je suis la vie.
De même, dans la série passée des générations animales, il n’y a aucun bœuf par exemple qui puisse rendre raison ou expliquer toute la race bovine; il serait cause de lui-même, Ia, q. CIV, a. I. Bien plus, il ne répugne pas a priori, selon saint Thomas, Ia, q. XLVI, a. 2, ad 7um, que cette série des causes contingentes passées n’ait pas eu de commencement, qu’il n’y ait pas eu un premier animal, un premier lion, un premier bœuf, etc. Même si cette série de causes contingentes n’avait pas commencé, elle dépendrait ab aeterno d’une cause supérieure qui n’aurait pas reçu l’existence et la vie et qui pourrait la donner indéfiniment à toutes les autres. Sans doute, dit saint Thomas, l’empreinte du pied dans le sable suppose le pied qui l’a produite, mais si celui-ci était posé ab aeterno sur le sable, l’empreinte y serait aussi de toute éternité, et par rapport à elle le pied aurait une priorité non pas de temps, mais seulement de causalité; il aurait une existence dépendante dès toujours de la cause suprême, qui domine le mouvement et le temps. Cf. Cont. Gent., 1. II, c. XXXVIII.
La cause nécessairement requise par les faits et les réalités existantes que nous constatons, ne se trouve donc pas dans la série des causes passées, qui ne sont qu’accidentellement subordonnées, car les causes précédentes sont aussi pauvres que celles qui les suivent et ne sont pas nécessaires à l’existence de celles-ci; même leur ordre aurait pu être interverti. Cf. Ia, q. CIV, a. I. La cause nécessairement requise, dont nous parlons, se trouve dans la série des causes essentiellement ou nécessairement subordonnées et actuellement existantes; d’elles dépendent nécessairement et actuellement les faits et les réalités que nous constatons. On l’appelle en métaphysique la cause propre, (…). C’est d’elle que parle saint Thomas, Ia, q. II, a. 2 : (…). De ce que le fils continue d’exister, il ne s’ensuit pas que son père existe encore; bien que la génération passive du fils ait eu pour cause propre la génération active du père, quant au devenir, (…), il ne s’ensuit pas quoad esse, que l’existence continue du fils dépende de celle du père. Le père a été cause propre de la génération de son fils, mais pas de son être, ni de sa conservation dans l’existence, cf. Ia, q. CIV, a. I. Pour bien comprendre ce qu’est la cause propre, il faut remarquer que l’effet propre suppose nécessairement et immédiatement la cause propre, comme les propriétés qui dérivent d’une nature supposent nécessairement et immédiatement celle-ci, comme les propriétés du cercle supposent la nature du cercle. Aristote (Post. Anal., 1. I, c. IV, Comm. S. Thomae, lect. X : de quarto modo dicendi per se) donnait comme exemple : le meurtrier est cause du meurtre, la lumière éclaire, le feu chauffe.
L’application est facile : si le mouvement n’a pas en soi sa raison d’être, s’il n’est pas ratio sui, il faut, en vertu du principe de causalité, qu’il dépende d’un moteur, et en dernière analyse d’un moteur immobile, qui n’ait pas besoin d’être mû par un moteur supérieur, d’un moteur suprême qui soit au dessus du mouvement et de tout mouvement (local, qualitatif, quantitatif, vital, intellectuel ou volontaire), d’un moteur qui soit son action, l’agir même, au lieu de l’avoir reçu.
Cette série ascendante des causes actuellement existantes et nécessairement subordonnées est par exemple celle-ci : le matelot est porté par le navire, le navire par les flots, les flots par la terre, celle-ci par le soleil qui l’attire, le soleil lui-même par un centre supérieur, mais on ne peut remonter à l’infini dans cette série des causes nécessairement subordonnées et actuellement existantes. S’il n’y avait pas un moteur suprême, il n’y aurait pas de cause du mouvement, et celui-ci, qui n’est pas ratio sui, qui n’a pas en soi sa raison d’être, n’existerait pas. Rien ne sert de recourir à un mouvement antérieur ou passé, il est aussi pauvre et a autant besoin d’explication que les mouvements que nous constatons en ce moment. Il faut de toute nécessité pour la machine du monde un moteur suprême, tout comme, pour expliquer le mouvement local des aiguilles d’une montre, il ne suffit pas de multiplier ses rouages, il faut qu’il y ait un ressort dont l’élasticité explique le mouvement des roues et celui des aiguilles elles-mêmes; si le ressort est brisé, la montre s’arrête. La preuve est valide, à condition, nous l’avons dit plus haut, qu’on ne substitue pas à la motion divine le concours simultané, cf. p. 95.
De ce point de vue on voit la valeur des cinq preuves exposées par saint Thomas, Ia, q. II, a. 3 :
1. Si le mouvement n’a pas en soi sa raison d’être (qu’il s’agisse d’un mouvement corporel ou d’un mouvement spirituel de notre intelligence ou de notre volonté, c’est la même considération), il exige un Premier moteur (des corps et des esprits.) -
2. S’il y a des causes efficientes nécessairement subordonnées et actuellement existantes, comme celles nécessaires en cette minute à la conservation de notre vie (pression atmosphérique, chaleur, etc.), il faut qu’il y ait une Cause suprême capable de donner aux autres la causalité et la vie et de les conserver.
3. S’il y a des êtres contingents qui peuvent ne pas exister, il faut qu’il y ait un Être nécessaire qui ait l’existence par soi et qui puisse la donner aux autres; si, un seul point du temps, rien n’existait, éternellement rien ne serait; et s’il n’y avait que des êtres contingents leur existence serait sans raison d’être.
4. S’il y a dans le monde des êtres plus ou moins parfaits, plus ou moins nobles, vrais et bons, c’est qu’ils participent diversement à l’existence, à la noblesse, à la vérité, à la bonté, ils n’en ont qu’une part; en chacun d’eux il y a composition, union du sujet qui participe et de l’existence, de la bonté, de la vérité participée; or le composé suppose le simple, comme l’union, du fait qu’elle participe à l’unité, présuppose l’unité : (…) Ia q. III, a. 7, et donc il faut nécessairement qu’il y ait au sommet de tout Celui qui seul peut dire, non pas seulement j’ai l’existence, la vérité et la vie, mais je suis l’Être, la Vérité et la Vie.
5. Enfin s’il y a dans le monde, dans les corps inanimés, dans les plantes, les animaux et l’homme, une activité naturelle qui tend manifestement vers un bien convenable ou vers une fin, cette tendance ainsi ordonnée à une fin exige une intelligence ordonnatrice. Si les corps tendent vers un centre déterminé pour la cohésion de l’univers, si la plante et l’animal tendent à s’assimiler les aliments nécessaires et à se reproduire; si l’œil et la vue sont pour la vision, l’oreille pour entendre, le pied pour la marche, les ailes pour le vol, l’intelligence humaine pour la connaissance du vrai, la volonté pour vouloir le bien, et si tout homme désire naturellement le bonheur, il faut que ces tendances naturelles ainsi manifestement ordonnées à un bien proportionné, à une fin, dépendent d’un Ordonnateur suprême, d’une intelligence supérieure qui connaisse les raisons d’être des choses. Il faut même que celle-ci soit la Sagesse même et la Vérité même; autrement elle serait elle-même ordonnée à la sagesse et à la vérité, elle aurait donc besoin d’un Ordonnateur suprême qui soit à la Sagesse et à la Vérité ce que A est à A, ou comme A est A. Le composé suppose le simple; l’union suppose l’unité et l’identité absolue. Quod causam non habet primum et immediatum est dit saint Thomas, Cont. Gent., 1. II, c. XV, § 2, c’est-à-dire : Ce qui n’a pas de cause doit être par soi immédiatement (non pas par l’intermédiaire d’autre chose) l’Être même, ens per essentiam et non per participationem.
2. Valeur du fondement de ces preuves. – Toutes ces preuves reposent sur le principe de causalité : ce qui est, sans être par soi, dépend en dernière analyse d’une cause qui est par soi. La négation de ce principe implique contradiction, car « un être contingent incausé » serait en même temps par soi et non pas par soi; l’existence lui conviendrait sans pouvoir lui convenir, car ce serait un rapport positif de convenance de deux termes qui n’auraient rien de positif par où ils se conviendraient. Ce rapport de convenance de l’existence à un être contingent incausé est absolument inintelligible.
Kant a objecté : il est inintelligible pour nous, étant donné la constitution de notre intelligence, mais il n’est peut-être pas absurde en soi.
À cela il faut répondre que l’absurde est ce qui répugne à l’existence, et il lui répugne parce qu’il est en dehors de l’être intelligible, objet de l’intelligence et sans aucun rapport possible avec lui. Par là l’absurde s’identifie avec ce qui est absolument inintelligible. C’est le cas de ce rapport de convenance entre deux termes qui ne se conviendraient nullement. En d’autres mots : l’union incausée du divers est impossible : (…) Ia, q. III, a. 7. On dit aussi communément : causa unionis est unitas. L’union participe seulement à l’unité, car elle comporte une diversité d’éléments unis, et donc l’union suppose une unité supérieure. Un ange ou un grain de sable sortant du néant sans aucune cause, c’est là non pas seulement une affirmation gratuite comme celle d’un fait possible, dont on ignore l’existence, c’est une affirmation absolument inintelligible et absurde. Bref l’être par participation suppose nécessairement l’être par essence, et l’unité par participation suppose l’unité par essence.
(…)
Posté : 23 août06, 12:19
par LumendeLumine
J'ai essayé le lien chez moi et à l'école, avec Internet Explorer, Avant Browser et Opera, et il marche à tous les coups. Je ne peux pas faire grand-chose de plus malheureusement...
tout ce qui est, sans être par soi, dépend d’une cause qui est par soi.
Traduction svp ?
Elle risque d'être un peu fastidieuse mais j'essayerai de faire court.
Être par soi, cela signifie qu'exister est partie intégrante de sa nature; cela signifie exister par nature = par soi. C'est, en quelque sorte, être cause de son propre être.
Cela implique d'exister nécessairement et éternellement; car si l'existence est partie intégrante de sa nature, il est impossible de jamais l'en dissocier; ainsi toujours on sera ce qu'on est, par le simple fait d'être ce qu'on est.
Cela n'est nullement le cas des choses qui nous entourent, qui peuvent cesser d'être, montrant ainsi qu'elles n'existent pas nécessairement.
Si elles n'existent pas nécessairement, l'existence n'est pas partie intégrante de leur nature: elle doit leur être conférée par un autre, et ultimement par l'Être qui seul est son propre être, qui existe nécessairement par soi.
Si cet Être nécessaire n'existait pas, alors l'existence des objets qui nous entourent, y compris nous-mêmes, serait sans raison d'être; elle aurait besoin d'une cause sans être causée; c'est en sens que le Catéchisme de la Somme Théologique conclut: "Ceux qui nient Dieu affirment équivalemment que ce qui a besoin de tout, n'a besoin de rien."
C'est ainsi que s'effectue, sur le plan métaphysique, la distinction entre la création et le Créateur, et la preuve classique de l'existence de Dieu.