Après son déplacement à Médine à l'âge de 53 ans, c.-à-d. à un âge où les facultés physiques et émotives de la plupart des hommes sont sur le déclin, un nouveau Mohamed a émergé.
Pendant les dix dernières années, qu'il passa à Médine, il n’a pas été le même homme que le Mohamed qui pendant treize ans avait prêché la compassion humanitaire à la Mecque.
Le Prophète appelé par Dieu "pour avertir votre tribu, vos proches" (sourate 26, verset 214) est réapparu sous les traits d’un Prophète ayant l'intention de soumettre sa propre tribu et d’humilier les siens qui pendant treize ans l'avaient raillé. Quittant la robe de l’avertisseur "la ville mère (La Mecque) et les personnes autour d'elle" (sourate 42, verset 5),
il revêtit l'armure du guerrier qui devait amener sous son drapeau toute l'Arabie, du Yémen à la Syrie.
La beauté et la mélodie des sourates mecquoises, qui évoquent tant les prêches d'Isaïe et de Jérémie et évocateurs de la ferveur d'une âme de visionnaire, ne réapparaissent que rarement dans les sourates médinoises, où la tonalité poétique et musicale est affaiblie et
remplacée par un ton péremptoire de règles et de prescriptions.
A Médine, ordres et règles ont été publiés sous l'autorité d'un commandant qui ne permettait aucune infraction ou déviation. Les sanctions prescrites pour leur violation ou leur négligence étaient très graves.
Les citations suivantes suffiront à prouver que
la métamorphose de Mohamed après l’Hégire est non seulement certifiée par les récits conservés des événements mais également fait écho avec les différentes tonalités des sourates mecquoises et médinoises.
Dans les versets 10-12 de la sourate 73 (al-Mozzamel) mecquoise, il est demandé au Prophète :
"Sois patient avec ce qu'ils disent, et quitte-les poliment ! Laisse les dénégateurs, les possesseurs de richesse, pour Moi, et donne-leur un peu de sursis ! Chaînes et feu de l’enfer sont dans Nos mains.". Dans le Tafsir al-Jalalayn, il est déclaré que le commandement de quitter les incroyants aimablement fut donné avant celui de les combattre et d'essayer de les tuer; il aurait été plus proche de la vérité de dire que
le premier a été donné avant que le Prophète n’arrive au pouvoir avec l’aide des awsites et des khazrajites. C’est seulement quand il a pu compter
sur l'appui d’hommes d'épée que l’ordre de combattre les incroyants lui fut descendu dans le verset 187 médinois de la sourate 2 (al-Baqara) : "Tuez-les partout où vous les trouvez, et expulsez les là où ils vous ont expulsé, car la persécution est pire que le massacre !"
Dans la sourate 6 (al-An'am), le texte du verset 108, qui a été révélé à la Mecque, dit ceci :
"Ne maudissez pas ce qu’ils invoquent autre que Dieu ! Car ils maudiront amèrement Dieu dans leur ignorance. Ce sera ainsi car Nous faisons en sorte que la pratique de chaque communauté (lui semble) juste. Plus tard leur retour à leur Seigneur (aura lieu), et Il leur expliquera ce qu'ils avaient fait."
On ne distingue pas clairement si ce conseil (avec son verbe pluriel) s'adresse au Prophète ou aux fanatiques à la langue acérée parmi ses compagnons tels qu’Omar ben al-Khattab ou Hamza ben Abd al-Mottaleb. A Médine, toutefois, en particulier après l'expansion de la puissance musulmane,
ce n’est plus de simple malédiction des déités qorayshites qu’il est question; le contact paisible et affable avec des incroyants y est catégoriquement interdit. Dans la sourate 47 (Mohamed) médinoise, verset 37, "Ainsi ne sois pas faible et ni n’appelle à la paix quand tu es supérieur ! Dieu est avec toi et ne te privera pas (du revenu de) tes actes."
Parfois deux ordres contradictoires apparaissent dans la même sourate. Bien que la sourate 2 (ot-Baqara) soit considérée
comme la première par ordre de révélation après l’Hégire, il est probable en raison de sa longueur qu’elle a été descendue en plusieurs fois durant un ou deux ans.
Dans son 257ème verset, qui date manifestement du début de la période, vient la déclaration explicite : "Il n'y a aucune contrainte en religion. Le vrai a été distingué du faux. Ceux qui rejettent les fausses déités et croient en Dieu ont saisi la poignée la plus ferme, qui ne cassera jamais.".
D'autre part dans le 189ème verset, qui est peut-être descendu quand la communauté musulmane était plus forte ou à l'occasion de quelque incident, l'utilisation de la force y est encouragée :
"Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de persécution et la religion est Dieu ! Et s'ils abandonnent, cessez les hostilités, excepté envers les malveillants !". Dans la sourate 9 (ot-Tawba, également connu sous le nom d'al-Bara'a), qui est chronologiquement la dernière sourate du Coran, l’ordre d'employer la force est absolu et péremptoire:
"combat ceux qui ne croient pas en Dieu et au jour dernier …" (verset 29).
"Ce n'est pas au Prophète et aux croyants de prier pour le pardon des polythéistes …" (verset 114).
"Ô Prophète, lutte contre les incroyants et les hypocrites, et soit dur avec eux ! Leur refuge est l’enfer. Quelle destination misérable !" (verset 74).
"Ô croyants, combattez les incroyants qui vous sont près de vous (vos proches), et qu’ils trouvent de la rudesse en vous …" (verset 124).
Le même ordre d'employer la force est employé avec des mots identiques à la fin de la sourate 66 médinoise (ot-Tahrim), verset 9 : "Ô Prophète, lutte contre les incroyants et les hypocrites, et sois dur avec eux. Leur refuge est l’enfer. Quelle destination misérable !".
Initialement il n'y avait pas d’autorisation d’user de la force et de la rudesse. Même dans le verset 40 de la sourate 22 (al-Hajj) médinoise, dans laquelle la guerre sainte contre les incroyants fut autorisée la première fois, le verbe n'est pas au mode impératif : "Permission est donnée à ceux qui combattent parce qu’on leur a fait du tort.". Dans le verset 41 on évoque le mal fait aux musulmans : "Ceux qui ont été injustement expulsés de leurs maisons pour la seule raison qu’ils disent, ‘Notre seigneur est Dieu’.". Selon un commentaire de Zamakhshari,
cette première autorisation de guerre aux polythéistes vient après plus de soixante-dix versets Coranique dans lesquels la violence est interdite.
Dans sa justification du droit à faire la guerre, le Prophète Mohamed utilise sa compréhension innée de la nature humaine. Le rappel éloquent du départ forcé des musulmans de La Mecque les incitera à vouloir se venger des qorayshites. La même rhétorique persuasive est employée dans un autre contexte, où les mots sont dits par les enfants d'Israël mais la leçon vise les musulmans : "Pourquoi ne devrions-nous pas combattre pour la cause de Dieu alors que nous avons été expulsés hors de nos maisons et loin de nos enfants ?" (sourate 2, une partie du verset 247).
Bien que la guerre était pour la cause de Dieu, le souvenir de la perte personnelle inciterait les musulmans à combattre par vengeance.
Il n'avait pas été question de guerre tant que le Prophète était à La Mecque. Le verset 67 de la sourate 6 (al-An'am) prouve que le Prophète avait l'habitude alors de se réunir et parler avec des polythéistes et qui parfois le traitaient de façon discourtoise et le raillaient : "Et quand tu les vois se lancer contre nos signes (c.-à-d. les versets coraniques), éloigne-toi d’eux d'eux jusqu'à ce qu'ils se lancent sur un autre sujet ! Et au cas où Satan pourrait t’inciter à oublier, ne t’assoie pas, après (ce) rappel, avec les personnes malfaisantes !"
En ce qui concerne les détenteurs des Ecritures, dans le verset 45 de la sourate 29 mecquoise (al-Ankabut), Dieu instruit non seulement le Prophète mais également, puisque le verbe est au pluriel, les musulmans, comme suit :
"Ne discutez avec des détenteurs des Ecritures, autre que les malveillants, qu'au moyen d’(arguments) meilleurs ! Et dites, ‘Nous croyons à ce qui nous a été descendu ainsi qu’à vous. Notre Dieu est le même que votre Dieu, et nous nous sommes rendus à Lui.’"
Un comportement amical envers les détenteurs des Ecritures est recommandé dans plusieurs autres versets mecquois et les premiers versets médinois. "Dis à ceux à qui ont été donné les Ecritures et au peuple49 commun ‘Vous êtes-vous rendu (à Dieu) ?' S'ils se sont rendus, ils sont correctement guidés, et s'ils s’en sont éloignés, ton devoir est seulement de transmettre le message" (sourate 3, al Emran, une partie du verset 19). "Ceux qui croient, et ceux qui sont juifs, chrétiens, et Sabéens {peuple de l'Arabie du sud des périodes préislamiques, fondateurs du royaume de Saba, le Sheba biblique}, tout ceux qui croient en Dieu et au Jour dernier et font le bien, auront leur récompense de leur Seigneur. Ils n'ont pas besoin d’avoir peur ou de s'affliger" (sourate 2, al-Baqara, verset 59, et les mots sont presque identiques dans la sourate 5, al-Ma'eda, verset 73).
Les contextes indiquent que ces versets ont été révélés durant la première ou deuxième année après l’Hégire.
Cependant, durant la décennie médinoise, et particulièrement après la conquête de La Mecque, des changements se sont produits, et finalement
la sourate 9 (ot-Tawba) est descendue comme un coup de foudre sur la tête des détenteurs des Ecritures. Ce peuple, à qui à La Mecque, sur le conseil de Dieu, il avait été poliment répondu et qui n’était pas menacé (pas plus que les autres) de punition future pour ne pas avoir embrassé l'Islam, la fonction du Prophète étant alors seulement de leur transmettre le message,
ont été sommés en l'année 10 A.H. de choisir entre des alternatives à la conversion : soit le paiement d’un tribut et l'acceptation d’un statut inférieur, soit la condamnation à mort. L'édit arrive au
verset 29 de la sourate 9: "Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour Dernier et qui n'interdisent pas ce que Dieu et son apôtre ont interdit ! Et (combattez) les détenteurs des Ecritures qui n'acceptent pas la religion de la vérité (c.-à-d. l'Islam) jusqu'à ce qu'ils paient un tribut de leur propres mains, étant inférieur !". Avec les années, ces détenteurs des Ecritures étaient devenus les "les pires créatures" (sourate 98, verset 5).
L'annonce de cet édit par Mohamed après l'élimination des juifs médinois, de l’appropriation des villages juifs de Khaybar et de Fadak, et de la conquête de La Mecque,
montre qu'avec l'Islam au pouvoir, la discussion polie et raisonnable avec les dissidents ne fut plus considérée comme nécessaire. La langue des futures discussions avec eux devait être la langue de l'épée.
Mes références musulmanes:
Le livre Bisl O Seh Sal (Vingt Trois Ans) du savant iranien Ali Dashti (1896 – 1981/2) est précieux parce qu'il discute des valeurs et des problèmes que l'Islam présente aux musulmans modernes.
Ali Dashti a reçu dans ces madrasas une formation complète et a acquis une connaissance approfondie de la théologie et histoire islamiques, de la logique, de la rhétorique, et de la grammaire et de la littérature classique arabes et persanes.