Flou juridique ou question morale?
Posté : 02 avr.04, 06:07
Cyberculture
Un droit d'auteur inadapté sur Internet
Alain Brunet
La Presse
Que les 29 téléchargeurs impénitents ne se bercent pas d'illusions, le jugement de la Cour fédérale n'a pas réglé leur sort définitivement. En fait, ce jugement n'a rien réglé du tout. Il a mis du sable dans un engrenage... qui méritait peut-être de s'embourber, question de donner à ses mécaniciens quelques mois supplémentaires de réflexion.
En refusant à la Canadian Recording Industry Association (RIAA) d'exiger aux fournisseurs d'accès Internet la divulgation de 29 adresses Internet de présumés contrevenants à la Loi sur le droit d'auteur, le juge Konrad von Finckenstein a jeté un petit éclairage sur une immense zone d'ombre: le droit d'auteur à l'ère numérique.
Comment, au fait, faire respecter ce droit sur Internet? Comment reconsidérer cette notion dans un univers encore difficile à saisir, territoire illimité où l'échange de fichiers numérisés ne peut être vraiment être contrôlé?
Certes, le juge de la Cour fédérale nous soumet une réflexion inachevée lorsqu'il compare le téléchargement gratuit à une photocopieuse installée dans une bibliothèque remplie de livres protégés par le droit d'auteur. La capacité des individus à photocopier des extraits d'un livre n'a vraiment rien à voir avec celle de ces mêmes individus à répandre sur Internet la copie numérisée d'un enregistrement musical. On ne peut donc mettre cette nouvelle pratique sous le couvert de la copie privée.
Qui plus est, la Loi canadienne sur le droit d'auteur ne prévoit pas l'autorisation des ayants droit dans un contexte de distribution électronique! Ainsi, elle n'a pas été actualisée conformément au World Intellectual Property Organization Performances and Phonograms Treaty (WPPT) ratifié par le Canada en décembre 1996. Ce traité international sur la propriété intellectuelle prévoyait cette dimension de la distribution électronique mais n'est pas systématiquement inscrit dans les lois des gouvernements qui l'ont signé. C'est notre cas.
Ce flou juridique dans la loi canadienne prête donc à interprétation, ce qui justifie en partie le verdict du juge de la Cour fédérale. Voilà d'ailleurs pourquoi les ténors de l'industrie de la musique espèrent donner des dents à la loi canadienne- d'autant plus que le jugement de la Cour fédérale sera porté en appel.
Des dents... est-ce vraiment nécessaire?
Faut-il ajouter à notre Loi sur le droit d'auteur des clauses lui permettant de punir les internautes? Plus précisément, une loi actualisée devrait-elle prévoir des sanctions sévères aux utilisateurs d'Internet qui circulent ailleurs que sur des sites autorisés? Je ne crois pas, n'en déplaise aux créateurs qui perdent actuellement une portion croissante de leurs revenus sur Internet. Je comprends leur détresse, mais... Cette pratique « échangiste » est au coeur d'Internet, elle est là pour rester. On ne pourra l'éradiquer en intimidant les internautes, ces derniers auront tôt fait de créer de nouvelles voies d'évitement, et ce malgré toutes les menaces de répression.
Cela étant, l'attribution de licences légales autorisant le fonctionnement de n'importe quel site d'échanges poste-à-poste n'est pas non plus souhaitable; un système de droits qui déterminerait la valeur d'une production artistique à partir d'une évaluation stricte de son affluence sur Internet retirerait tout le pouvoir du créateur et de son équipe (producteur, interprètes, éditeur, musiciens, etc.) quant à sa capacité de fixer lui-même la valeur de son oeuvre ou d'en orienter la mise en marché.
À mon sens, l'offre légale en ligne est appelée à progresser sans qu'on menace les internautes de renoncer à leur pratique « échangiste ». La qualité offerte par les sites légaux (bonne compression des fichiers, absence de virus, organisation du répertoire, etc.), la baisse tendancielle du prix de cette offre en ligne (chansons à 50 cents? 25 cents?), la croissance des titres suggérés par les sites de téléchargement payants, voilà autant de facteurs qui attireront un nombre croissant d'internautes.
Dans cette optique, on pourrait admettre l'existence des autres sites non autorisés (Kazaa, Morpheus, etc.) sans leur accorder de licence légale. Une loi intelligente sur le droit d'auteur pourrait les admettre comme sites « de seconde classe » et ainsi imposer à leurs propriétaires des redevances destinées aux détenteurs du droit d'auteur. Pas besoin de répression! En tapant sur les internautes comme elle l'a fait ces derniers mois aux États-Unis et en Australie, l'industrie (multinationale) de la musique ne s'est-elle pas plutôt enfoncée dans un sérieux problème d'image et de crédibilité?
Par ailleurs, l'actualisation de la Loi sur le droit d'auteur devrait considérer la mise en place d'un système de redevances perçues auprès de tous les acteurs de la nouvelle industrie numérique liée à Internet: fabricants d'ordinateurs personnels, fabricants de baladeurs numériques, fabricants de CD vierges, téléphonie mobile, fournisseurs de services et d'accès Internet devraient compenser les pertes encourues par la circulation non autorisée des contenus musicaux... sans compter tous les autres qui justifient essentiellement votre connexion haute vitesse, n'est-ce pas?
Toute la chaîne économique devrait ainsi contribuer à la rétribution de la musique sur Internet. Reste à savoir quand et comment cela se produira.
Un droit d'auteur inadapté sur Internet
Alain Brunet
La Presse
Que les 29 téléchargeurs impénitents ne se bercent pas d'illusions, le jugement de la Cour fédérale n'a pas réglé leur sort définitivement. En fait, ce jugement n'a rien réglé du tout. Il a mis du sable dans un engrenage... qui méritait peut-être de s'embourber, question de donner à ses mécaniciens quelques mois supplémentaires de réflexion.
En refusant à la Canadian Recording Industry Association (RIAA) d'exiger aux fournisseurs d'accès Internet la divulgation de 29 adresses Internet de présumés contrevenants à la Loi sur le droit d'auteur, le juge Konrad von Finckenstein a jeté un petit éclairage sur une immense zone d'ombre: le droit d'auteur à l'ère numérique.
Comment, au fait, faire respecter ce droit sur Internet? Comment reconsidérer cette notion dans un univers encore difficile à saisir, territoire illimité où l'échange de fichiers numérisés ne peut être vraiment être contrôlé?
Certes, le juge de la Cour fédérale nous soumet une réflexion inachevée lorsqu'il compare le téléchargement gratuit à une photocopieuse installée dans une bibliothèque remplie de livres protégés par le droit d'auteur. La capacité des individus à photocopier des extraits d'un livre n'a vraiment rien à voir avec celle de ces mêmes individus à répandre sur Internet la copie numérisée d'un enregistrement musical. On ne peut donc mettre cette nouvelle pratique sous le couvert de la copie privée.
Qui plus est, la Loi canadienne sur le droit d'auteur ne prévoit pas l'autorisation des ayants droit dans un contexte de distribution électronique! Ainsi, elle n'a pas été actualisée conformément au World Intellectual Property Organization Performances and Phonograms Treaty (WPPT) ratifié par le Canada en décembre 1996. Ce traité international sur la propriété intellectuelle prévoyait cette dimension de la distribution électronique mais n'est pas systématiquement inscrit dans les lois des gouvernements qui l'ont signé. C'est notre cas.
Ce flou juridique dans la loi canadienne prête donc à interprétation, ce qui justifie en partie le verdict du juge de la Cour fédérale. Voilà d'ailleurs pourquoi les ténors de l'industrie de la musique espèrent donner des dents à la loi canadienne- d'autant plus que le jugement de la Cour fédérale sera porté en appel.
Des dents... est-ce vraiment nécessaire?
Faut-il ajouter à notre Loi sur le droit d'auteur des clauses lui permettant de punir les internautes? Plus précisément, une loi actualisée devrait-elle prévoir des sanctions sévères aux utilisateurs d'Internet qui circulent ailleurs que sur des sites autorisés? Je ne crois pas, n'en déplaise aux créateurs qui perdent actuellement une portion croissante de leurs revenus sur Internet. Je comprends leur détresse, mais... Cette pratique « échangiste » est au coeur d'Internet, elle est là pour rester. On ne pourra l'éradiquer en intimidant les internautes, ces derniers auront tôt fait de créer de nouvelles voies d'évitement, et ce malgré toutes les menaces de répression.
Cela étant, l'attribution de licences légales autorisant le fonctionnement de n'importe quel site d'échanges poste-à-poste n'est pas non plus souhaitable; un système de droits qui déterminerait la valeur d'une production artistique à partir d'une évaluation stricte de son affluence sur Internet retirerait tout le pouvoir du créateur et de son équipe (producteur, interprètes, éditeur, musiciens, etc.) quant à sa capacité de fixer lui-même la valeur de son oeuvre ou d'en orienter la mise en marché.
À mon sens, l'offre légale en ligne est appelée à progresser sans qu'on menace les internautes de renoncer à leur pratique « échangiste ». La qualité offerte par les sites légaux (bonne compression des fichiers, absence de virus, organisation du répertoire, etc.), la baisse tendancielle du prix de cette offre en ligne (chansons à 50 cents? 25 cents?), la croissance des titres suggérés par les sites de téléchargement payants, voilà autant de facteurs qui attireront un nombre croissant d'internautes.
Dans cette optique, on pourrait admettre l'existence des autres sites non autorisés (Kazaa, Morpheus, etc.) sans leur accorder de licence légale. Une loi intelligente sur le droit d'auteur pourrait les admettre comme sites « de seconde classe » et ainsi imposer à leurs propriétaires des redevances destinées aux détenteurs du droit d'auteur. Pas besoin de répression! En tapant sur les internautes comme elle l'a fait ces derniers mois aux États-Unis et en Australie, l'industrie (multinationale) de la musique ne s'est-elle pas plutôt enfoncée dans un sérieux problème d'image et de crédibilité?
Par ailleurs, l'actualisation de la Loi sur le droit d'auteur devrait considérer la mise en place d'un système de redevances perçues auprès de tous les acteurs de la nouvelle industrie numérique liée à Internet: fabricants d'ordinateurs personnels, fabricants de baladeurs numériques, fabricants de CD vierges, téléphonie mobile, fournisseurs de services et d'accès Internet devraient compenser les pertes encourues par la circulation non autorisée des contenus musicaux... sans compter tous les autres qui justifient essentiellement votre connexion haute vitesse, n'est-ce pas?
Toute la chaîne économique devrait ainsi contribuer à la rétribution de la musique sur Internet. Reste à savoir quand et comment cela se produira.