Possédons-nous les manuscrits autographes de la Bible ?
Posté : 05 juil.04, 05:05
Les Écritures originales, ou autographes, telles qu’elles sortirent des mains de leurs auteurs, ne sont plus en notre possession. Nous en possédons seulement des copies, en grand nombre, que l’on peut étudier. Ceci est vrai à la fois pour l’ancien Testament hébreu et le Nouveau Testament grec. L’absence des originaux ne doit pas nous surprendre car, s’ils existaient encore, on ne manquerait pas de les vénérer plutôt que leur Auteur, et l’on honorerait davantage le support matériel des manuscrits que leur contenu. La tendance humaine à la superstition est bien connue !
Le problème de tout document reproduit à la main est qu’il comporte des erreurs. La plupart des variantes, dans les copies de manuscrits, appartiennent à l’une de ces sept catégories :
1. Les scribes ont omis de répéter une lettre ou un mot (haplographie).
2. Les scribes ont répété ce qui n’aurait dû être écrit qu’une seule fois (dittographie).
3. Les scribes ont inclus dans le manuscrit quelque chose qui se trouvait dans un autre passage, similaire, ou dans un autre manuscrit, ajoutant ainsi au texte original.
4. Les scribes ont omis un passage situé entre des mots identiques.
5. Les scribes ont omis une ligne.
6. Les scribes ont confondu des lettres qui se ressemblaient.
7. Les scribes ont inséré des notes marginales dans le texte.
La découverte du texte correct exige une méthode d’élimination de ces erreurs, une méthode appelée critique textuelle. Tout traducteur de la Bible se doit de la pratiquer s’il veut obtenir un texte biblique fiable !
Le texte de l'Ancien Testament
Le texte hébreu de l’Ancien Testament figure dans des manuscrits datant d’une période située entre le troisième siècle avant notre ère et le douzième siècle de notre ère. Il existe aussi des versions anciennes en araméen, grec, latin et syriaque.
1. Le texte massorétique
Jusqu’au vingtième siècle, nous ne connaissions qu’une seule tradition principale de textes hébreux, portant le nom de Massorètes, des Juifs responsables de la préservation de l’Ancien Testament dans une période allant de l’an 500 à 1000 de notre ère. On en vint à connaître ce texte sous le nom de texte massorétique.
Les Massorètes prenaient grand soin du texte par toutes sortes de procédures pour détecter et éliminer les variantes. Ils comptaient le nombre de lettres et de mots dans chaque livre, vérifiant ceux qui devaient se trouver au centre. Ils prenaient note des particularités orthographiques, aussi bien que mots particuliers et des phrases particulières. C’est ainsi qu’ils se gardaient des erreurs de transcription du texte.
2. Les manuscrits de la Mer Morte
Avec la découverte des rouleaux de la Mer Morte en 1947, on mit à jour des manuscrits antérieurs de mille ans à ceux conservés par les Massorètes. Il ne manqua pas à l’époque d’érudits ou pseudo-érudits pour annoncer au monde entier que ces nouvelles découvertes allaient discréditer la validité du texte massorétique.
Pourtant, en dépit de quelques variations, de nombreux savants ont jugé que les rouleaux de la Mer Morte conservaient l’intégrité du texte massorétique. Ces manuscrits constituent en fait un témoin indépendant essentiel de sa fiabilité et de la fidélité avec laquelle s’était effectuée la copie pendant le millénaire pour lequel nous ne disposions d’aucun manuscrit.
3. Le Pentateuque samaritain
Le Pentateuque samaritain est une ancienne édition des cinq premiers livre de Moïse écrits en hébreu. Ses divergences avec le texte massorétique à plusieurs endroits l’ont fait apprécier de ceux qui contestent l’intégrité du texte traditionnel. Il convient cependant de faire très attention dans l’emploi du Pentateuque samaritain pour corriger le texte massorétique, car il est certain que les scribes samaritains ont changé le texte du Pentateuque en fonction de leurs propres intérêts historiques et théologiques. Ce texte contient aussi des erreurs qui résultent clairement d’une incompréhension de la grammaire et de la syntaxe.
D’autre part, il n’existe aucune preuve pour dire que les Samaritains aient jamais disposé d’un ensemble de scribes qualifiés, comme en avaient les Juifs. Ils ne collationnaient pas non plus leurs manuscrits correctement et ne faisaient pas preuve d’une connaissance sérieuse des écrits. Leurs ajouts et leur négligence envers le texte font qu’il est périlleux de s’appuyer sur leur version.
4. La version des Septante
En dehors de l’hébreu, il existe un bon nombre de versions de l’Ancien Testament rédigées en grec, en latin et en syriaque, ainsi que des paraphrases en araméen. Celles-ci datent généralement de l’ère chrétienne, mais l’une d’entre elles, la version des Septante (ou LXX), la précède puisque sa rédaction avait commencé dans la première moitié du troisième siècle avant notre ère. Il s’agissait du projet, pendant une longue période, de traduire la Bible hébraïque en grec à l’intention des Juifs parlant cette langue.
La traduction des Septante semble souvent s’être appuyée sur un texte hébreu différent du texte massorétique. Elle ressemble parfois au Pentateuque samaritain, mais s’en éloigne fréquemment. Le problème, pour pouvoir identifier le texte hébreu d’origine, consiste en l’inégalité et même l’excentricité de la traduction.
À certains moments, elle n’est guère plus que du grec hébraïsé, alors qu’à d’autres moments il s’agit d’une paraphrase libre. Les traducteurs de la version des Septante ont changé le texte pour des raisons théologiques. Ils ont donné des interprétations plutôt que de s’en tenir à une traduction, rétablissant certaines caractéristiques jugées incorrectes dans le texte hébreu et se livrant à diverses conjectures. Il est donc bon d’être très prudent dans l’approche de cette traduction, si l’on veut s’en servir pour corriger le texte massorétique.
Dans la recherche d’un texte de référence pour traduire l’Ancien Testament, le plus sage est de s’en tenir à la version massorétique et d’utiliser les autres matériaux comme éléments de comparaison et non comme points de départ pour effectuer des changements.
Le texte du Nouveau Testament
On trouve plus de cinq mille manuscrits grecs du texte du Nouveau Testament, en entier ou en partie. Il s’agit de traductions de toutes sortes qui datent des premiers siècles, de livres de lectures bibliques à l’usage de l’Église primitive et de nombreuses citations des Pères de l’Église. Ces sources pour déterminer le texte du Nouveau Testament vont du second au seizième siècles de notre ère.
En ce qui concerne les manuscrits du Nouveau Testament, le problème est qu’il n’y en a pas deux qui soient exactement identiques. Chaque manuscrit comporte ses propres bizarreries. En tout, il existe des centaines de milliers de variantes.
Ne nous alarmons pas trop vite, cependant, car on s’aperçoit facilement que la plupart de ces variantes sont clairement des erreurs de scribe, plutôt que faisant partie du texte véritable du Nouveau Testament.
Il demeure cependant une controverse en ce qui concerne une petite partie du texte : pas plus de trois pour cent, selon certains, alors que d’autres parlent plutôt en termes de sept à huit pour cent. La question qui se pose est de savoir comment reconnaître le texte correct dans les domaines où il y a désaccord. On dénombre cinq approches principales.
1. Suivre le « Texte Reçu »
Le « Texte Reçu », ou Textus Receptus, est un titre donné au texte du Nouveau Testament grec publié par les frères Elzévirs en 1633. Ils l’intitulèrent ainsi pour faire valoir que leur version grecque était celle qui bénéficiait généralement de l’acceptation des érudits de leur époque. En Angleterre, on attribua un titre semblable au texte publié par Stephens (= Étienne) en 1550. Les frères Elzévirs voulaient seulement signifier par ce titre que les érudits de l’époque acceptaient ce texte. Ces hommes le recevaient, et non pas Dieu ou l’antiquité ou quoi que ce soit d’autre. La conservation de ce titre et l’aura qui l’accompagne en font l’un des plus grands succès de tous les temps en matière de publicité d’éditeur.
Le « Texte Reçu » est fondamentalement le texte compilé par Érasme en 1516. L’humaniste le créa en comparant six manuscrits, en le vérifiant et le modifiant en référence à la version Vulgate en latin. Cette dernière lui servit aussi pour construire une petite partie du texte pour laquelle il ne disposait d’aucun manuscrit grec.
Suivre servilement le « Texte Reçu » revient à accepter l’idée que les décisions d’Érasme étaient correctes, même si la majorité des manuscrits, y compris les plus anciens, sont en désaccord avec lui. C’est vouloir à tout prix suivre le texte qu’il tira du latin, même si aucun écrit en grec ne vient lui donner sa caution. Suivre ainsi le Texte Reçu revient à ignorer tout autre support et à se confier pleinement à l’infaillibilité d’Érasme.
2. Suivre l’approche de Westcott et Hort
Au dix-neuvième siècle, les critiques des textes bibliques, Westcott et Hort se mirent à établir un texte à partir d’autres principes que ceux d’Érasme, prenant comme point de départ leur haine du « Texte Reçu ».
Ils jugeaient que, lorsque des manuscrits avaient les mêmes variantes, on devait les rapprocher. Ils les répartirent donc en familles. Chaque famille, grande ou petite, représentait un type de texte.
Westcott et Hort avaient un goût particulier pour ce qu’ils appelaient le « Texte Neutre » : il s’agissait d’un très petit cercle de témoins qui s’appuyaient principalement sur deux anciens manuscrits connus sous le nom de Sinaïticus et Vaticanus.
Si l’on décide de suivre servilement Westcott et Hort, on accepte l’idée que leurs décisions étaient correctes même si la majorité des manuscrits sont contre eux. La tyrannie des deux manuscrits de Westcott et Hort est venue remplacer l’infaillibilité des six manuscrits d’Érasme. Tout autre matériau s’en trouve virtuellement annulé.
3. Suivre des opinions subjectives
Au vingtième siècle, deux érudits, G.D. Kilpatrick et J.K. Elliot, ont mis au point une troisième approche des variantes textuelles. Deux questions seulement leur permettaient de savoir quelle était la lecture correcte. Premièrement : « Quelle variante convient le mieux au contexte ? » Deuxièmement : « Quelle variante explique le mieux toutes les autres variantes ? » Aucune autre donnée n’était prise en considération.
La nature hautement subjective de cette méthode apparaît d’emblée. C’est mon opinion qui détermine le texte du Nouveau Testament et qui va décider quelle variante, selon moi, conviendrait au reste du texte et expliquerait les alternatives. L’infaillibilité d’Érasme est remplacée, non par les deux manuscrits infaillibles de Westcott et Hort, mais par l’opinion de quiconque a envie de défendre la cause de telle ou telle variante. C’est le dernier degré de la subjectivité.
4. Suivre l’interprétation de la majorité
Pour éviter d’avoir à réfléchir sur les arguments pour ou contre telle interprétation d’un texte, il suffit de suivre une méthode de plus en plus populaire. Celle-ci consiste à compter le nombre de manuscrits qui privilégient cette variante. On ne peut plus simple !
Mais on ressent un malaise à l’idée de fonder quelque chose sur la base de l’opinion de la majorité. Celle-ci a-t-elle toujours raison ? Si nous appliquions ce principe au texte de la Vulgate latine, nous aboutirions certainement à un texte inférieur.
Est-il sans danger de suivre l’interprétation de la majorité, même si elle doit nous conduire à privilégier un texte dont on n’a aucune preuve de l’existence avant le quatrième siècle ? Faut-il se contenter de compter les manuscrits, tout en ignorant ce qui est évident ? Même si cette approche est quelque peu séduisante, n’est-elle pas un peu trop facile ?
5. Suivre les variantes qui satisfont le plus de principes
Au cours du vingtième siècle, s’est développée une approche du texte du Nouveau Testament que l’on appelle éclectisme. Cela se réfère à la sélection d’une variante parmi d’autres sur la base de principes raisonnables. Ces principes se répartissent en deux groupes : les considérations externes et internes.
Les considérations externes sont au nombre de trois :
1. Cette variante a-t-elle un support ancien ?
2. Cette interprétation a-t-elle un support géographique, c’est-à-dire, la trouve-t-on dans diverses parties du monde ?
3. Les preuves en faveur de cette variante l’emportent-elles sur celles qui favorisent d’autres variantes ?
Il y a cinq considérations internes :
1. Quelle variante le scribe aurait-il eu le plus de mal à accepter et donc le plus tendance à remplacer ?
2. Quand on est en présence d’une version longue et d’une autre plus courte, y a-t-il la preuve d’une omission due à une faute d’attention ? Se peut-il que la partie de texte omise l’ait été parce qu’un scribe l’a jugée superflue, dure ou contraire à la croyance ou aux pratiques orthodoxes ? Dans le cas contraire, il faut préférer la version plus courte.
3. Quand il y a une variante dans un passage qui inclut une citation de l’Ancien Testament, ou qui a un parallèle dans le Nouveau Testament, le scribe aura eu plus probablement tendance à harmoniser les deux textes que le contraire. En conséquence, la variante la moins harmonisée est probablement fausse.
4. Les variantes dont le texte est le moins raffiné ont plus de chances d’être authentiques que celles, plus lisses, qui ne présentent aucune difficulté.
5. On doit préférer aux autres les variantes qui conviennent le mieux au contexte immédiat et général.
Ces principes ne sont pas infaillibles. Les principes externes sont plus forts que les internes, car ces derniers renferment un élément important de subjectivité. En effet, l’affirmation que les scribes ont fait ceci ou cela n’est finalement qu’une hypothèse. Ceux qui ont étudié les habitudes de ces scribes ne tombent pas entièrement d’accord quant à leurs conclusions. Parler des résultats assurés de la critique textuelle semble être une affirmation présomptueuse.
Les versions actuelles de la Bible et les textes d’origine
La plupart des traducteurs modernes ont opté pour un texte du Nouveau Testament basé sur les principes éclectiques. D’autres préfèrent le Texte Reçu. Aucune traduction importante, à l’heure actuelle, ne s’appuie sur les trois autres approches.
Peut-être, la meilleure chose que puissent faire les lecteurs des différentes versions de la Bible serait de reconnaître la complexité des problèmes liés au choix de textes. Il leur faut aussi se rappeler que la motivation de la plupart des traducteurs n’est pas de pervertir et détruire des écrits tant aimés, mais de restaurer le véritable texte du Nouveau Testament. Le fait est qu’il n’existe aucun moyen infaillible de prouver quelle est la bonne approche. Il est donc inévitable qu’il y ait des désaccords au sujet du texte correct. Insulter ceux qui sont d’un autre avis que soi ne semble guère approprié. La compréhension mutuelle et la discussion sur les choix sont plus adéquates pour des gens qui partagent une même conception des Écritures et un salut commun en Christ.
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Source : Robert Sheehan : La Bible, ce qu’elle est, ce qu’elle dit. France : Europresse, 1999, pages 77-85.
À propos de l'auteur : Robert Sheehan (1951-1997) – Formé au Collège biblique de Londres, il occupa plusieurs postes pastoraux dans diverses villes anglaises. Assistant de rédaction d’un magazine évangélique, il fut aussi un conférencier très demandé et auteur de nombreux articles de journaux. Il donnait également des cours de théologie et de grec dans plusieurs instituts de formation pastorale.
Le problème de tout document reproduit à la main est qu’il comporte des erreurs. La plupart des variantes, dans les copies de manuscrits, appartiennent à l’une de ces sept catégories :
1. Les scribes ont omis de répéter une lettre ou un mot (haplographie).
2. Les scribes ont répété ce qui n’aurait dû être écrit qu’une seule fois (dittographie).
3. Les scribes ont inclus dans le manuscrit quelque chose qui se trouvait dans un autre passage, similaire, ou dans un autre manuscrit, ajoutant ainsi au texte original.
4. Les scribes ont omis un passage situé entre des mots identiques.
5. Les scribes ont omis une ligne.
6. Les scribes ont confondu des lettres qui se ressemblaient.
7. Les scribes ont inséré des notes marginales dans le texte.
La découverte du texte correct exige une méthode d’élimination de ces erreurs, une méthode appelée critique textuelle. Tout traducteur de la Bible se doit de la pratiquer s’il veut obtenir un texte biblique fiable !
Le texte de l'Ancien Testament
Le texte hébreu de l’Ancien Testament figure dans des manuscrits datant d’une période située entre le troisième siècle avant notre ère et le douzième siècle de notre ère. Il existe aussi des versions anciennes en araméen, grec, latin et syriaque.
1. Le texte massorétique
Jusqu’au vingtième siècle, nous ne connaissions qu’une seule tradition principale de textes hébreux, portant le nom de Massorètes, des Juifs responsables de la préservation de l’Ancien Testament dans une période allant de l’an 500 à 1000 de notre ère. On en vint à connaître ce texte sous le nom de texte massorétique.
Les Massorètes prenaient grand soin du texte par toutes sortes de procédures pour détecter et éliminer les variantes. Ils comptaient le nombre de lettres et de mots dans chaque livre, vérifiant ceux qui devaient se trouver au centre. Ils prenaient note des particularités orthographiques, aussi bien que mots particuliers et des phrases particulières. C’est ainsi qu’ils se gardaient des erreurs de transcription du texte.
2. Les manuscrits de la Mer Morte
Avec la découverte des rouleaux de la Mer Morte en 1947, on mit à jour des manuscrits antérieurs de mille ans à ceux conservés par les Massorètes. Il ne manqua pas à l’époque d’érudits ou pseudo-érudits pour annoncer au monde entier que ces nouvelles découvertes allaient discréditer la validité du texte massorétique.
Pourtant, en dépit de quelques variations, de nombreux savants ont jugé que les rouleaux de la Mer Morte conservaient l’intégrité du texte massorétique. Ces manuscrits constituent en fait un témoin indépendant essentiel de sa fiabilité et de la fidélité avec laquelle s’était effectuée la copie pendant le millénaire pour lequel nous ne disposions d’aucun manuscrit.
3. Le Pentateuque samaritain
Le Pentateuque samaritain est une ancienne édition des cinq premiers livre de Moïse écrits en hébreu. Ses divergences avec le texte massorétique à plusieurs endroits l’ont fait apprécier de ceux qui contestent l’intégrité du texte traditionnel. Il convient cependant de faire très attention dans l’emploi du Pentateuque samaritain pour corriger le texte massorétique, car il est certain que les scribes samaritains ont changé le texte du Pentateuque en fonction de leurs propres intérêts historiques et théologiques. Ce texte contient aussi des erreurs qui résultent clairement d’une incompréhension de la grammaire et de la syntaxe.
D’autre part, il n’existe aucune preuve pour dire que les Samaritains aient jamais disposé d’un ensemble de scribes qualifiés, comme en avaient les Juifs. Ils ne collationnaient pas non plus leurs manuscrits correctement et ne faisaient pas preuve d’une connaissance sérieuse des écrits. Leurs ajouts et leur négligence envers le texte font qu’il est périlleux de s’appuyer sur leur version.
4. La version des Septante
En dehors de l’hébreu, il existe un bon nombre de versions de l’Ancien Testament rédigées en grec, en latin et en syriaque, ainsi que des paraphrases en araméen. Celles-ci datent généralement de l’ère chrétienne, mais l’une d’entre elles, la version des Septante (ou LXX), la précède puisque sa rédaction avait commencé dans la première moitié du troisième siècle avant notre ère. Il s’agissait du projet, pendant une longue période, de traduire la Bible hébraïque en grec à l’intention des Juifs parlant cette langue.
La traduction des Septante semble souvent s’être appuyée sur un texte hébreu différent du texte massorétique. Elle ressemble parfois au Pentateuque samaritain, mais s’en éloigne fréquemment. Le problème, pour pouvoir identifier le texte hébreu d’origine, consiste en l’inégalité et même l’excentricité de la traduction.
À certains moments, elle n’est guère plus que du grec hébraïsé, alors qu’à d’autres moments il s’agit d’une paraphrase libre. Les traducteurs de la version des Septante ont changé le texte pour des raisons théologiques. Ils ont donné des interprétations plutôt que de s’en tenir à une traduction, rétablissant certaines caractéristiques jugées incorrectes dans le texte hébreu et se livrant à diverses conjectures. Il est donc bon d’être très prudent dans l’approche de cette traduction, si l’on veut s’en servir pour corriger le texte massorétique.
Dans la recherche d’un texte de référence pour traduire l’Ancien Testament, le plus sage est de s’en tenir à la version massorétique et d’utiliser les autres matériaux comme éléments de comparaison et non comme points de départ pour effectuer des changements.
Le texte du Nouveau Testament
On trouve plus de cinq mille manuscrits grecs du texte du Nouveau Testament, en entier ou en partie. Il s’agit de traductions de toutes sortes qui datent des premiers siècles, de livres de lectures bibliques à l’usage de l’Église primitive et de nombreuses citations des Pères de l’Église. Ces sources pour déterminer le texte du Nouveau Testament vont du second au seizième siècles de notre ère.
En ce qui concerne les manuscrits du Nouveau Testament, le problème est qu’il n’y en a pas deux qui soient exactement identiques. Chaque manuscrit comporte ses propres bizarreries. En tout, il existe des centaines de milliers de variantes.
Ne nous alarmons pas trop vite, cependant, car on s’aperçoit facilement que la plupart de ces variantes sont clairement des erreurs de scribe, plutôt que faisant partie du texte véritable du Nouveau Testament.
Il demeure cependant une controverse en ce qui concerne une petite partie du texte : pas plus de trois pour cent, selon certains, alors que d’autres parlent plutôt en termes de sept à huit pour cent. La question qui se pose est de savoir comment reconnaître le texte correct dans les domaines où il y a désaccord. On dénombre cinq approches principales.
1. Suivre le « Texte Reçu »
Le « Texte Reçu », ou Textus Receptus, est un titre donné au texte du Nouveau Testament grec publié par les frères Elzévirs en 1633. Ils l’intitulèrent ainsi pour faire valoir que leur version grecque était celle qui bénéficiait généralement de l’acceptation des érudits de leur époque. En Angleterre, on attribua un titre semblable au texte publié par Stephens (= Étienne) en 1550. Les frères Elzévirs voulaient seulement signifier par ce titre que les érudits de l’époque acceptaient ce texte. Ces hommes le recevaient, et non pas Dieu ou l’antiquité ou quoi que ce soit d’autre. La conservation de ce titre et l’aura qui l’accompagne en font l’un des plus grands succès de tous les temps en matière de publicité d’éditeur.
Le « Texte Reçu » est fondamentalement le texte compilé par Érasme en 1516. L’humaniste le créa en comparant six manuscrits, en le vérifiant et le modifiant en référence à la version Vulgate en latin. Cette dernière lui servit aussi pour construire une petite partie du texte pour laquelle il ne disposait d’aucun manuscrit grec.
Suivre servilement le « Texte Reçu » revient à accepter l’idée que les décisions d’Érasme étaient correctes, même si la majorité des manuscrits, y compris les plus anciens, sont en désaccord avec lui. C’est vouloir à tout prix suivre le texte qu’il tira du latin, même si aucun écrit en grec ne vient lui donner sa caution. Suivre ainsi le Texte Reçu revient à ignorer tout autre support et à se confier pleinement à l’infaillibilité d’Érasme.
2. Suivre l’approche de Westcott et Hort
Au dix-neuvième siècle, les critiques des textes bibliques, Westcott et Hort se mirent à établir un texte à partir d’autres principes que ceux d’Érasme, prenant comme point de départ leur haine du « Texte Reçu ».
Ils jugeaient que, lorsque des manuscrits avaient les mêmes variantes, on devait les rapprocher. Ils les répartirent donc en familles. Chaque famille, grande ou petite, représentait un type de texte.
Westcott et Hort avaient un goût particulier pour ce qu’ils appelaient le « Texte Neutre » : il s’agissait d’un très petit cercle de témoins qui s’appuyaient principalement sur deux anciens manuscrits connus sous le nom de Sinaïticus et Vaticanus.
Si l’on décide de suivre servilement Westcott et Hort, on accepte l’idée que leurs décisions étaient correctes même si la majorité des manuscrits sont contre eux. La tyrannie des deux manuscrits de Westcott et Hort est venue remplacer l’infaillibilité des six manuscrits d’Érasme. Tout autre matériau s’en trouve virtuellement annulé.
3. Suivre des opinions subjectives
Au vingtième siècle, deux érudits, G.D. Kilpatrick et J.K. Elliot, ont mis au point une troisième approche des variantes textuelles. Deux questions seulement leur permettaient de savoir quelle était la lecture correcte. Premièrement : « Quelle variante convient le mieux au contexte ? » Deuxièmement : « Quelle variante explique le mieux toutes les autres variantes ? » Aucune autre donnée n’était prise en considération.
La nature hautement subjective de cette méthode apparaît d’emblée. C’est mon opinion qui détermine le texte du Nouveau Testament et qui va décider quelle variante, selon moi, conviendrait au reste du texte et expliquerait les alternatives. L’infaillibilité d’Érasme est remplacée, non par les deux manuscrits infaillibles de Westcott et Hort, mais par l’opinion de quiconque a envie de défendre la cause de telle ou telle variante. C’est le dernier degré de la subjectivité.
4. Suivre l’interprétation de la majorité
Pour éviter d’avoir à réfléchir sur les arguments pour ou contre telle interprétation d’un texte, il suffit de suivre une méthode de plus en plus populaire. Celle-ci consiste à compter le nombre de manuscrits qui privilégient cette variante. On ne peut plus simple !
Mais on ressent un malaise à l’idée de fonder quelque chose sur la base de l’opinion de la majorité. Celle-ci a-t-elle toujours raison ? Si nous appliquions ce principe au texte de la Vulgate latine, nous aboutirions certainement à un texte inférieur.
Est-il sans danger de suivre l’interprétation de la majorité, même si elle doit nous conduire à privilégier un texte dont on n’a aucune preuve de l’existence avant le quatrième siècle ? Faut-il se contenter de compter les manuscrits, tout en ignorant ce qui est évident ? Même si cette approche est quelque peu séduisante, n’est-elle pas un peu trop facile ?
5. Suivre les variantes qui satisfont le plus de principes
Au cours du vingtième siècle, s’est développée une approche du texte du Nouveau Testament que l’on appelle éclectisme. Cela se réfère à la sélection d’une variante parmi d’autres sur la base de principes raisonnables. Ces principes se répartissent en deux groupes : les considérations externes et internes.
Les considérations externes sont au nombre de trois :
1. Cette variante a-t-elle un support ancien ?
2. Cette interprétation a-t-elle un support géographique, c’est-à-dire, la trouve-t-on dans diverses parties du monde ?
3. Les preuves en faveur de cette variante l’emportent-elles sur celles qui favorisent d’autres variantes ?
Il y a cinq considérations internes :
1. Quelle variante le scribe aurait-il eu le plus de mal à accepter et donc le plus tendance à remplacer ?
2. Quand on est en présence d’une version longue et d’une autre plus courte, y a-t-il la preuve d’une omission due à une faute d’attention ? Se peut-il que la partie de texte omise l’ait été parce qu’un scribe l’a jugée superflue, dure ou contraire à la croyance ou aux pratiques orthodoxes ? Dans le cas contraire, il faut préférer la version plus courte.
3. Quand il y a une variante dans un passage qui inclut une citation de l’Ancien Testament, ou qui a un parallèle dans le Nouveau Testament, le scribe aura eu plus probablement tendance à harmoniser les deux textes que le contraire. En conséquence, la variante la moins harmonisée est probablement fausse.
4. Les variantes dont le texte est le moins raffiné ont plus de chances d’être authentiques que celles, plus lisses, qui ne présentent aucune difficulté.
5. On doit préférer aux autres les variantes qui conviennent le mieux au contexte immédiat et général.
Ces principes ne sont pas infaillibles. Les principes externes sont plus forts que les internes, car ces derniers renferment un élément important de subjectivité. En effet, l’affirmation que les scribes ont fait ceci ou cela n’est finalement qu’une hypothèse. Ceux qui ont étudié les habitudes de ces scribes ne tombent pas entièrement d’accord quant à leurs conclusions. Parler des résultats assurés de la critique textuelle semble être une affirmation présomptueuse.
Les versions actuelles de la Bible et les textes d’origine
La plupart des traducteurs modernes ont opté pour un texte du Nouveau Testament basé sur les principes éclectiques. D’autres préfèrent le Texte Reçu. Aucune traduction importante, à l’heure actuelle, ne s’appuie sur les trois autres approches.
Peut-être, la meilleure chose que puissent faire les lecteurs des différentes versions de la Bible serait de reconnaître la complexité des problèmes liés au choix de textes. Il leur faut aussi se rappeler que la motivation de la plupart des traducteurs n’est pas de pervertir et détruire des écrits tant aimés, mais de restaurer le véritable texte du Nouveau Testament. Le fait est qu’il n’existe aucun moyen infaillible de prouver quelle est la bonne approche. Il est donc inévitable qu’il y ait des désaccords au sujet du texte correct. Insulter ceux qui sont d’un autre avis que soi ne semble guère approprié. La compréhension mutuelle et la discussion sur les choix sont plus adéquates pour des gens qui partagent une même conception des Écritures et un salut commun en Christ.
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Source : Robert Sheehan : La Bible, ce qu’elle est, ce qu’elle dit. France : Europresse, 1999, pages 77-85.
À propos de l'auteur : Robert Sheehan (1951-1997) – Formé au Collège biblique de Londres, il occupa plusieurs postes pastoraux dans diverses villes anglaises. Assistant de rédaction d’un magazine évangélique, il fut aussi un conférencier très demandé et auteur de nombreux articles de journaux. Il donnait également des cours de théologie et de grec dans plusieurs instituts de formation pastorale.