Méditation bouddhiste, comparaison zen théravada
Posté : 27 sept.15, 00:04
bonjour vic,
comme le thème de la différence entre voie méditante ou non est abordé sur le fil soka gakkai et qu'à mon avis il mérite d'avantage d'attention. Voici un article, présentant les différences et les points commun entre le théravada et le zen
En le mettant sur le forum, j'espère que ça contribue à une meilleure connaissance de la méditation bouddhiste, emmenant peut etre a l'envie de le pratiquer.
http://cusi.free.fr/fra/fra0050.htm
LA MEDITATION DANS LE THERAVADA
ET DANS LE CH'AN (ZEN)
Thich Thiên Châu
A. INTRODUCTION
Pendant les 45 ans de la propagation de la doctrine, depuis son éveil sous l'arbre bodhi jusqu'à sa mort (parinirvâna) , Bouddha n'enseigna qu'une seule chose : la souffrance et sa suppression (M.22). Il préconisa, pour y parvenir, trois choses essentielles :
- La moralité (sîla)
- La méditation (samâdhi)
- La sagesse (pannâ)
La méditation en est la plus importante, car elle est la condition sine qua non de la réalisation du Nirvâna :
Avec la méditation, apparaît la sagesse
Sans la méditation, la sagesse n'apparaît pas
Reconnaissant ce duel entre gagner et perdre
On fait effort pour perfectionner la sagesse
(Dhp, 282)
ou
Pratiquant la méditation
Avec grande persévérance,
Les sages atteignent le Nirvâna,
La béatitude suprême.
(Dhp, 23)
Le Bouddhisme s'est tout d'abord propagé dans le bassin du Gange, puis ensuite, grâce aux disciples du Bouddha, il s'est diffusé dans les pays voisins de l'Inde. Aujourd'hui, après 2500 ans, le Bouddhisme reste la doctrine vitale dans plusieurs pays de l'Asie et il est en train de se répandre dans les pays occidentaux où domine le Christianisme et la science.
Le Bouddhisme d'aujourd'hui pourrait être comparé à un arbre séculaire au tronc robuste et aux branches nombreuses et touffues. Tout en se déroulant dans le temps et se développant à travers l'espace, le Bouddhisme s'est manifesté sous des formes variées, telles l'Ecole des anciens (Théravâda) et l'Ecole du Grand Véhicule (Mahâyâna) etc. Il n'est pas resté tout à fait identique au Bouddhisme primitif créé par le Bouddha lui-même.
Néanmoins, les bouddhistes de l'Ecole des anciens dans des pays comme le Srilanka, la Birmanie, la Thailande, le Laos, le Cambodge ,etc. ainsi que les bouddhistes mahâyânistes dans des pays comme le Vietnam, la Chine, la Corée, le Japon, le Tibet, etc. reconnaissent comme doctrine fondamentale, les quatre nobles vérités (Ariyasacca) et comme pratique essentielle la méditation (Samâdhi).
Dans cette causerie, nous n'aborderont que la méditation de l'Ecole des anciens et celle de l'Ecole du Dhyâna (Ch'an ou Zen).
Il convient de remarquer que la méditation est la méthode unique et commune de presque tous les bouddhistes. Bien que très différents par les traditions et les langages, un Théra (doyen) du Srilanka et un Thiên-su (maître Thiên) du Vietnam peuvent prendre part ensemble à une séance de méditation. Leurs positions assises, leurs méthodes de concentration, sont semblables, mais les sujets de méditation peuvent être différents. Cependant, leur but reste le même : l'éveil et la libération. Il y a de très nombreux livres traitant de la méditation des deux écoles Théravâda et Dhyâna, mais c'est l'Ecole de Ch'an ou Zen qui est la plus critiquée et la plus mal acceptée par les orthodoxes. En conséquence, la plus grande partie de cet exposé concerne la méditation dans l'Ecole de Ch'an et nous nous bornerons à citer les idées contenues dans des livres canoniques du Bouddhisme original écrits en pâli, afin de souligner les points communs entre les deux formes de méditation.
B. MEDITATION DANS LE THERAVADA
En ce qui concerne la méditation dans le Théravâda, il faut noter qu'elle se base sur les deux notions suivantes :
I. PURIFICATION DE L'ESPRIT
Pour se faire une idée exacte de l'esprit et de sa purification, le mieux serait de saisir le sens des stances du Bouddha contenues dans le Dhamapada :
" Les états mentaux (dhammâ) sont commandés par l'esprit, dominés par l'esprit et produits par l'esprit."
" Si nous parlons ou agissons avec un mauvais esprit, la souffrance nous poursuit comme les roues d'un chariot qui talonnent les boeufs."
" Si nous parlons ou agissons avec un bon esprit, le bonheur nous poursuit comme une ombre qui ne nous quitte jamais." (Dhp. 1,2)
ou :
Ne pas créer le mal,
Réaliser plutôt le bien,
Purifier son propre esprit,
C'est cela, l'enseignement du Bouddha.
(Dhp. 183)
L'esprit est la force principale et créative de l'homme et de la vie. Pour le purifier ou pour le libérer, il faudrait appliquer les 37 éléments faisant partie de l'éveil, à savoir les 7 facteurs suivants :
- Les 4 bases de la présence d'esprit (Satipatthâna)
- Les 4 efforts parfaits (Padhâna)
- Les 4 voies pour parvenir au pouvoir supranormal (Iddhi-pâda)
- Les 5 facultés spirituelles (Indriya)
- Les 5 pouvoirs (Bala)
- Les 7 facteurs de l'éveil (Bojjhanga)
- La voie octuple (Magga)
II. PRESENCE D'ESPRIT
Parmi ces sept catégories d'éléments de l'éveil, la première est indispensable à tous ceux qui veulent pénétrer dans la méditation. Ce sont les 4 bases de la présence d'esprit :
1-La présence d'esprit du corps (Kâya) consistant dans les exercices suivants : la présence d'esprit concernant l'inspiration et l'expiration, la considération des 4 postures, la présence d'esprit et la lucidité de la conscience, la réflexion sur les 32 parties du corps, l'analyse des 4 éléments physiques, les méditations au cimetière.
2- La présence d'esprit des sensations (Vedanâ) : observer les sensations qui apparaissent dans le moine pratiquant qui les perçoit clairement, notamment la sensation agréable et désagréable du corps et de l'esprit, la sensation sensuelle et supersensuelle, la sensation d'indifférence.
3- La présence d'esprit de la conscience : c'est-à-dire qu'il perçoit et comprend clairement tout état de conscience ou d'esprit (citta) , qu'il soit avide ou non, haineux ou non, égaré ou non, contracté ou trouble, développé ou non développé, surpassable ou insurpassable, concentré ou non, affranchi ou non.
4- La présence d'esprit des objets mentaux (dhammâ) : c'est-à-dire qu'il sait si l'un des empêchements (Nirvârana) existe ou non en lui, qu'il sait comment cela est apparu, comment le maîtriser et comment, à l'avenir, cela n'apparaîtra plus. Il connaît la nature de chacun des cinq groupes (khandha) , comment ils apparaissent et comment ils se désagrèrent. Il connaît les 12 bases de toute activité mentale (âyatana) : l'oeil et l'objet visuel, l'oreille et l'objet audible, nez, etc. . . l'esprit et l'objet de l'esprit, il connaît les liens (samyoyama) basés dessus, il sait comment ils apparaissent, comment les maîtriser et comment, à l'avenir, ils n'apparaîtront plus. Il sait si l'un des 7 facteurs de l'éveil existe ou non en lui, comment cela est apparu et parvient à son plein développement. Il comprend, en accord avec la réalité, chacune des quatre nobles vérités (sacca) .
En réalité, les quatre bases de la présence d'esprit ne doivent pas être prises pour de simples exercices séparés, mais au contraire, du moins en bien des cas, comme des choses inséparablement associées les unes aux autres, spécialement dans les absorptions (jhâna) .
III. METHODE COMBINEE
En outre, dans le discours numéro 118 du Majjhimanikâya, Le Bouddha montre comment ces quatre bases de la présence d'esprit peuvent être menées à bonne fin par les exercices de la présence d'esprit sur l'inspiration et l'expiration.
1- Contemplation du corps
a- En faisant une longue inspiration, il sait : je fais une longue inspiration.
En faisant une longue expiration, il sait : je fais une longue expiration.
b- En faisant une courte inspiration, il sait : je fais une courte inspiration.
En faisant une courte expiration, il sait : je fais une courte expiration.
c- Percevant clairement tout le souffle (du corps), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce
Percevant clairement tout le souffle (du corps), je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
d- Calmant cette fonction corporelle, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Calmant cette fonction corporelle, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exrece.
2- Contemplation des sensations
e- Eprouvant du ravissement (pîti), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Eprouvant du ravissement, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
f- Eprouvant de la joie, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Eprouvant de la joie, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
g- Percevant la formation mentale (citta-sankhara), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Percevant la formation mentale, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
h- Calmant la formation mentale, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Calmant la formation mentale, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
3- Contemplation de l'esprit
i- Percevant clairement l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Percevant clairement l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
j- Réjouissant l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réjouissant l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
k- Concentrant l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Concentrant l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
l- Libérant l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Libérant l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
4- Contemplation d'objets mentaux
m- Réfléchissant à l'impermanence (anicca), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant à l'impermanence, je vais expire, c'est ainsi qu'il s'exerce.
n- Réfléchissant au détachement (virâga), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant au détachement, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
o- Réfléchissant à l'extinction (nirodha), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant à l'extinction, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
p- Réfléchissant au renoncement (patinissagga), je vais inspirer,c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant au renoncement, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
C'est ainsi que les quatre bases de la présence d'esprit (satipatthâna), combinées avec les exercices sur l'inspiration et l'expiration, sont une culture mentale (bhâvanâ) qui constitue la seule voie conduisant à l'accès de la purification, à la maîtrise de la souffrance et des lamentations, à la cessation de la peine et du chagrin, à l'entrée dans la voie parfaite et à la réalisation du Nirvâna, comme le préconisait Bouddha.
Une fois l'esprit éveillé et libéré, l'homme est en bonne santé et sa vie est dans la paix suprême :
" Moines, si l'esprit d'un moine ne s'attache pas aux éléments de la matière (des sensations, des perceptions, des composants psychiques, de la conscience) et s'est débarassé des impuretés par l'absence de fondement, alors par suite de l'inébranlable, il est satisfait, par suite de la satisfaction, il n'est pas troublé, et n'étant pas troublé, il a lui-même atteint le Nirvâna." (Sn. III, 45).
5- Bhâvanâ.
Il est évident que le terme "méditation" utilisé généralement en Occident a un sens vague et incomplet. Dans le milieu bouddhiste, on emploie plutôt le terme "développement mental" (bhâvanâ) pour indiquer les deux catégories:
1- Le développement de la tranquillité (samathabhâvanâ) , c'est-à-dire la concentration (samâdhi) .
2- Le développement de l'inspection (vipassânabhâvanâ) , c'est-à-dire la sagesse (panna) .
La tranquillité est l'état d'esprit concentré, inébranlable, paisible et par conséquence purifié, incorruptible, tandis que l'inspection est la connaissance intuitive qui apparaît clairement au sujet de la souffrance, de l'insubtantialité et de l'impermanence (dukkha, anattâ, anicca) de tous les phénomènes physiques ou psychiques de l'existence.
La concentration est le fondement indispensable et la condition prioritaire de l'inspection en purifiant l'esprit de cinq empêchements (nirvarana) qui sont des obstacles à l'esprit et qui aveuglent la vision mentale, à savoir :
1- Le désir sensuel (kâmacchanda) comparé à l'eau mélangée à de multiples couleurs
2- La malveillance (vyâpâda) semblable à l'eau bouillante
3- La torpeur et la langeur (thina-middha) comparées à de l'eau couverte de mousse.
4- L'agitation et les inquiétudes (uddhacca-kukkucca) semblables à de l'eau agitée par le vent
5- Le doute sceptique (vicikicchâ) comparé à de l'eau trouble et boueuse
(Cf. An, V, 193).
Tandis que la sagesse engendre la libération de l'esprit en passant par les quatre stages supramondains de l'état du méritant, à savoir :
- Celui qui gagne le courant (sotâpanna) .
- Celui qui ne reviendra qu'une fois (sakadâgâmi) .
- Celui qui ne reviendra plus (amâgâmi) .
- Celui qui est parvenu à l'état du méritant (arahant) .
C'est ainsi que le développement mental se compose de deux stages :
- La tranquillité ou la concentration dont la fonction est d'éliminer les empêchements et d'arriver à la concentration juste (samâdhi) .
- L'inspection ou la sagesse qui consiste à comprendre les choses (dhammâ) comme telles, et arriver à la compréhension juste (sammaditthi) et à la pensée juste (sammasankappa) et pour finalement atteindre les quatre fruits du Nirvâna.
"Il n'y a pas de concentration pour celui qui manque de sagesse, et pas de sagesse pour celui qui manque de concentration."
"Et celui qui possède à la fois concentration et sagesse est proche du Nirvâna". (Dhp, 372)
En résumé, la méditation dans la tradition du Théravâda est celle enseignée par Bouddha Gautama et pratiquée par lui-même. Elle est plus ou moins préservée par les communautés bouddhistes dans l'Ecole des Anciens. Elle a pour but d'aider l'homme en purifiant son esprit, gagner la santé et la paix, et atteindre la situation d'un homme libéré (arahant) .
C. MEDITATION DANS LE CH'AN OU ZEN
Nous avons discuté de la méditation dans le Théravâda. Nous abordons maintenant la méditation dans la tradition du Ch'an (zen) qui prend sa source dans le Bouddhisme développé (mahâyana) dont l'apparition remonte à un ou deux siècles avant l'ère chrétienne.
Nâgarjuna en est le théoricien éminent. Il est l'auteur des commentaires des textes sur la Prajnâparamita dont voici le thème principal :
"Toutes les choses sont insubstantielles ou vides. Pour parvenir à la suppression de la souffrance, il faut réaliser le vide. Le Nirvâna est également vide."
Les nouveaux théoriciens avaient proposé de nombreuses thèses doctrinales dont les suivantes constituent l'arrière-doctrine de l'école de Ch'an :
a- Les trois corps des Bouddhas :
- Le corps créé (nirmânakâya) : c'est le corps humain créé pour guider les êtres humains qui est l'ombre, le reflet du corps réel (dharmakâya) , comme le reflet du soleil et de la lune.
- Le corps de béatitude (sambhogakâya) qui est seulement aperçu par les Boddhisattvas mais non par les êtres humains ordinaires et qui est le résultat des mérites accumulés dans le passé.
- Le corps véritable (dharmakâya) : la totalité de tous les choses dans l'univers. Il est réel et éternel.
b- La conception de l'embryon de Tathâgata (Tathâgatagarbha) :
Le Bouddha potentiel dans tous les êtres
c- L'atteinte de la bouddhéité est le Nirvâna.
L'origine de l'Ecole baigne dans le mythe et la légende. La tradition commence par la transmission du Dharma par le Bouddha lui-même au Vénérable Kashyapa qui fut le premier patriarche. Lui succèderont vingt sept autres patriarches en Inde. Le 28ème fut Boddhidharma qui arriva en Chine en 527 et devint le premier patriarche de l'Ecole en Chine. Il sert ainsi de pont entre le patriarcat du Dhyâna en Inde et du Ch'an en Chine. Hui-k'o en est le deuxième, et Hui-neng le sixième.
L'invention de la généalogie des patriarches (qui pourrait être celle préconisée par les véritables fondateurs de l'Ecole sous la dynastie T'ang où le Dhyâna ou Ch'an était devenu une tradition florissante )constitue la raison d'être de l'Ecole et la nécessité de sa transmission particulière en dehors de la doctrine.
Il n'est pas facile de parler de la méditation d'une Ecole dont les méthodes et la transmission sont semblables à celles des autres. En conséquence, il faut mieux saisir ses caractéristiques dans la stance qui définit l'essence même du Ch'an :
" Il y a une transmission particulière en dehors de la doctrine.
Ne pas établir (l'authenticité) de mots et de lettres,
Montrer directement l'esprit de l'homme,
Voyant la nature propre, on devient Bouddha. "
Bien qu'elle apparût seulement après la mort de Hui-neng (638-713), cette stance constitue l'essence même de cette Ecole durant toute son histoire, depuis sa création par Bodhidharma jusqu'à ce jour.
1- Véritable Dharma
Le Dharma ou la réalité absolue ne peut être transmis que d'esprit à esprit, comme Bouddha en a donné l'exemple : un jour Bouddha assista à une grande assemblée sur le Gridhakuta. Un brahmâ offrit alors à Bouddha une fleur dorée Kumbala et lui demanda de prêcher sa doctrine. Bouddha ne prêcha pas mais tint haut la fleur qui fut offerte. L'assemblée observa le silence et s'interrogea sur l'attitude inattendue du Bienheureux. Seul le Vénérable Kashyapa comprit Bouddha et le manifesta par un sourire. Bouddha en fut content et déclara :"Je confie l'oeil secret du Dharma et le merveilleux coeur du Nirvâna à Kashyapa. Recevez-les et transmettez-les aux autres."
Cette légende démontre que le Dharma réalisé par Bouddha ne peut être transmis par un langage ordinaire, car la doctrine parlée est certainement conditionnée par un langage inadéquat qu'il utilise par le niveau culturel des auditeurs auxquels il s'adresse, et par l'environnement dans lequel se situent le prêcheur et des auditeurs.
A ce propos, il est intéressant de rappeler le passage du discours suivant concernant le Nirvâna, et préconisé par Bouddha (on se demande s'il existe un rapport entre le Dharma et le Nirvâna, l'Infini et la Vérité) :
"Il y a , moines, un domaine où n'existe ni terre, ni eau, ni air, ni l'infini de l'espace, ni l'infini de la conscience. Il n'est ni de ce monde, ni de l'autre monde, ni de l'un ni de l'autre, ni du soleil, ni de la lune. Cet état, moines, je ne l'appelle ni venir ni aller, ni apparaître ni disparaître. Sans origine, sans évolution, sans arrêt. Ceci est en vérité la fin de la souffrance."
"Difficile à voir est l'infini, difficile à voir est la vérité. S'il n'existait pas, moines, un non-né, non produit, non créé, non formé, il n'y aurait pas de délivrance pour ce qui est né, produit, créé, formé. Mais, moines, puisqu'il y a un non-né, non produit, non créé, non formé, alors ce qui est né, produit, créé, formé, peut se libérer." (Udana, p.80- cf. aussi Itivuttaka, II, 6 et la traduction d'A. Bareau dans le "Bouddha" p.139, 140).
Par ailleurs, comme Bouddha l'a dit, le Nirvâna est invisible pour les gens n'ayant pas l'oeil noble :
" De même, Mâgandiya, les religieux des autres religions étant aveugles, ne connaissant pas la Santé, ne voient pas le Nirvâna." (Mn, I, 510)
Le Nirvâna est seulement aperçu par les Clairvoyants :
" Ces deux sortes de Nirvâna sont déclarées par le clairvoyant (Itivuttaka, p.38). . . compréhensibles pour le sage:
" Ainsi, Brahmane, le Nirvâna est-il visible en cette vie : immédiat, engageant, attrayant, et compréhensible pour le sage." (An, I, 159).
"Le Nirvâna est un domaine transcendantal." (Cf. Udâna, p.80).
S'il y a ce véritable Dharma, la vraie transmission serait nécessaire. Selon les Ch'anistes, la transmission par la doctrine parlée et les ecritures n'est pas véritable.
Le pire est de s'attacher aux mots vides de sens et aux lettres mortes pour y chercher la vérité pure et vivante. C'est de la folie si l'on croit que le temps peut se retrouver dans une montre.
En outre, l'histoire selon laquelle a été confiée à Hui-neng, un illétré, la succession du Patriarcat par Hung-yen alors qu'elle a été refusée à Shen-hsieu, l'érudit de la communauté, en est une illustration éloquente.
Une autre histoire dans les textes Pâli dit qu'on peut atteindre l'éveil et la libération en pénétrant directement dans la réalité sans avoir besoin de la connaissance scholastique :
Culapanthaka, un jeune moine, ne peut retenir même le passage d'un discours de quatre lignes après quatre mois d'efforts. Son frère, également un moine, lui conseille de retourner à la vie laique. Culapanthaka veut rester religieux. Bouddha se rendant compte de sa volonté, lui confie un mouchoir propre et lui conseille de l'étendre devant le soleil chaque matin, et de l'observer ensuite. Le mouchoir devient sale quelque temps après du fait qu'il le touche avec ses mains. Le changement de couleur de ce mouchoir évoque en Culapanthaka les idées de l'impermanence de la vie et c'est par la méditation qu'il obtient enfin d'état d'un Arahant.
Il est évident que la doctrine préconisée par Bouddha durant toute sa vie, et plus tard enregistrée dans les livres canoniques, n'est que le doigt pointant vers la lune, or c'est la lune qu'il faut regarder et non le doigt. Par ailleurs, si la connaissance scholastique peut nous amener à l'éveil et la libération, le Vénérable Ananda, le plus proche serviteur de Bouddha et qui est le trésor du Dharma (dhammabhanda-garika) avec son incomparable érudition, aurait dû atteindre l'Arahant plutôt qu'il le fit après la mort de Bouddha.
En conséquence, la transmission silencieuse, directe, sans intermédiaire de langage ni d'écritures, est juste et nécessaire pour une école qui est appelée aussi l'Ecole de l'esprit de Bouddha.
2- Orientation et réalisation
En général, l'école de Ch'an possède une méthode conforme à la parole de Bouddha : "Vous devez vous-même faire l'effort, les Bouddha ne sont que des Maîtres." (Dhp, 276).
Ayant une transmission particulière, les ch'anistes appliquent une méthode de méditation aussi particulière, bien que leurs préparations ressemblent à celles des autres écoles.
Tout d'abord, l'aspirant, avec l'aide de son maître spirituel s'oriente dans la voie en cherchant une direction tout en ayant confiance en lui-même. La vision de l'orientation est très importante. C'est le maître qui lui montre l'existence de la potentialité de son esprit. Et c'est à l'aspirant de reconnaître ses capacités et de s'engager dans la voie avec son intelligence. Pour se reconnaître, il faut pénétrer dans l'esprit, qui est l'essentiel de l'homme. L'esprit est le trésor de toutes les qualités d'un Bouddha malgré qu'il soit voilé par les poussières de l'ignorance et des passions. En effet, l'esprit de l'homme comporte deux aspects :
a - La réalité : les phénomènes psychiques comme sensations, perceptions, formations mentales, conscience, qui se manifestent quotidiennement
b - La potentialité : la partie non-manifestée existant toujours avec les qualités d'un homme par excellence (Bouddha).
Autrement dit, tous les êtres sont potentiellement des Bouddhas. La bouddhéité et l'esprit ne forment qu'une seule chose. Bouddha et être vivant ont une origine commune. Bouddha est un homme par excellence ayant développé toutes les qualités d'un homme, tandis qu'un homme est celui qui possède potentiellement toutes les qualités d'un Bouddha dont les dix désignations sont essentielles : le Bienheureux, le Méritant, l'Eveillé, le Parfait, le Doué de sagesse et de vertu, le Bienvivant, le Connaisseur des mondes, l'Incomparable, le Conducteur des hommes domptables, l'Instructeur des êtres célestes et des hommes, le Bouddha.
C'est ainsi que l'homme ne s'oriente que vers l'intérieur et réalise ce qu'il a en lui-même. En conséquence, s'orienter c'est réaliser. Cette notion est conforme non seulement à la conception doctrinale qui soutient que chaque personne est un embryon de Tathâgata-Bouddha (Tathâgatagarbha) mais aussi aux notions doctrinales dans l'enseignement originel dans les textes pâli, à savoir: "revenir à l'état de non-confection de l'esprit" (visamkhâragatam-cittam : Dhp, 154) ou esprit lumineux (pabhassavamidacittam : An.I, 10).
La réalisation des potentialités de l'homme est possible par l'observance des Koans selon les ch'anistes.
L'observance des Koans.
Il est vrai que seule la posture de lotus ne fait pas la méditation du Ch'an, notamment de l'école Lin-Tchi. Il faut que l'aspirant déjà arrivé à la concentration recoive et observe un Koan à un moment déterminé, ou des Koan pendant toute sa pratique. Il y a environ 1700 Koan applicables. Littéralement, Koan signifie document public. Ce sont des énoncés contradictoires employés par le maître Ch'an pour créer un choc psychologique ou une "angoisse philosophique" chez les aspirants selon le principe "plus grand est le doute, plus grand est l'éveil". Ils sont formulés soit sous forme de questions qui ne peuvent être résolues que par une connaissance intuitive et transcendantale, soit sous forme de thèse. Ils contribuent à créer une grande tension spirituelle provoquant une expérience personnelle dont le but final est l'éveil.
Il s'agit également d'une expérience qui dépasse les dualités familières qui pourraient être aperçues entre spectateur et spectacle, entre expérimentateur et expérience. La réalité vivante aperçue par l'éveil qui est la découverte de la vérité qui précède toujours une libération totale inébranlable, pleine de béatitude et qui conduit finalement l'homme à maîtriser sa vie et sa mort dans le paix suprême. Par exemple : Wu : "rien" est un Koan. "Wu" est la réponse de Chao-chou (778-897 en Chine) à la question "la nature de Bouddha se trouve-t-elle dans un chien ?" . Certainement le questionneur savait bien que la nature de Bouddha est dans tous les êtres, mais il hésitait à conclure que le chien était aussi un Bouddha. C'est pourquoi le maître ne répondit pas "Oui, bien sûr, le chien a aussi la nature du Bouddha". Il chercha à détourner le questionneur de vouloir comprendre les choses par la pensée rationnelle. Chao-chou visait à faire naître la connaissance intuitive à l'égard de la réalité de l'interlocuteur pour que les contradictions se résolvent d'elles-même.
En outre, l'aspirant en cherchant à résoudre les Koan, doit consulter souvent son précepteur pour exprimer ses propres pensées, et recevoir les critiques. Généralement, les dialogues entre maître et disciples se déroulent soit amicalement soit férocement (le maître peut hurler, frapper son disciple, détourner les questions etc. . .) dans le but de vérifier le progrès de son disciple. Sinon, le disciple doit continuer à approfondir le Koan. L'exemple ci-après illustre ce qui se fait dans la solution d'un Koan : si le maître est satisfait, il en donne l'approbation.
Liêu-Quan, fondateur d'une école Thiên du Viêt-nam au 18ème siècle, rencontra le maître chinois Tu-Dung dans la pagode An-tông à Long-son, Huê. Ce dernier appartenait à l'école de Lin-tchi. Il lui conseilla de faire des recherches afin d'observer le Koan suivant :
" Toutes les choses retournent vers l'unique unité,
Et l'unité, vers quelle destination ?"
Rentrant à Phu-yên, Liêu-Quan consacra cinq années à étudier et à méditer la signification de ce Koan. Il souffrit énormement de ne pouvoir en saisir la portée.
Un jour, en lisant le recueil de la transmission de la lampe, il s'arrêta à la phrase suivante : "On ne comprend pas la signification de la transmission de l'esprit par l'indication des choses" .
Liêu-Quan découvrit aussitôt la signification du Koan que son maître lui avait proposé de méditer cinq ans auparavant. Il revint alors à Huê en 1708 pour rendre compte au maître Tu-Dung du résultat de son travail et surtout de sa compréhension personnelle de la signification du Koan. Tu-Dung lui répondit alors en ces termes :
"Sur le bord d'un fossé, on lâche ses bras
On est tout seul pour endurer sa souffrance
On meurt, puis on renaît
Et personne ne peut nous mépriser."
Liêu-Quan applaudit, mais Tu-Dung lui fit observer qu'il n'avait pas encore saisi la signification du Koan et dit sévèrement : "Pas encore arrivé."
Liêu-Quan répondit : "Les poids sont par origine en acier" . Mais le maître n'accepta pas cette explication. Le lendemain, Liêu-Quan passa devant le refuge de Tu-Dung qui l'interpela et lui dit : "Ce que nous avons abordé ensemble hier n'est pas encore achevé. Il faut continuer à approfondir votre connaissance" . Liêu-Quan lui répondit : "De bonne heure, on sait que la lampe est une flamme. Le riz est cuit depuis longtemps" . Alors Tu-Dung ne cessa de le féliciter.
En l'été 1772, maître et disciple se retrouvèrent à Quang-nam. Liêu-Quan avait déjà 42 ans. Il subit à son examen la stance relative au "Bain de la statue de Bouddha".
S'engagea alors entre eux la conversation suivante :
- Tu-Dung : "Les patriarches se transmettant entre eux, les Bouddhas se reçoivent mutuellement, mais alors que transmettent les premiers aux secondes?"
- Liêu-Quan : "Combien de longueur mesure-t-elle la pousse de bambou qui s'élève sur la pierre ? Combien de kilos pèse un balai en poil de tortue ?"
- Tu-Dung : "On rame sur le sommet des montagnes, on galoppe au fond de l'océan."
-Liêu-Quan : "Le buffle en terre beugle toute la nuit parce qu'il a ses cornes cassées, on égrène toute la journée sa cithare sans corde".
Tu-Dung acquiesça par un signe d'approbation de la tête à la dernière réponse de son disciple.
A propos des pratiques basées sur les notions de "sans pensée" (vô-niêm), "sans demeure" (vô-tru) des ch'anistes, il est intéressant de citer un enseignement très court mais efficace sur la méditation préconisée par Bouddha à propos de la supplication de Bâhiya qui obtient l'Arahant après peu de temps de pratique :
"Alors, Bâhiya, ainsi vous devez vous entraîner vous-même :
Dans la vision, il n'y aura que la vision, dans l'audition que l'audition, dans le sens que le sens, dans la connaissance que la connaissance. C'est ainsi, ô Bâhiya, que vous devez vous entraîner vous-même."
" Quand, Bâhiya, dans la vision, il n'y aura en vous que la vision, dans l'audition que l'audition, dans le sens que le sens, dans la connaissance que la connaissance, alors Bâhiya, vous ne serez pas bloqué, et quand vous ne serez pas bloqué, alors Bâhiya, vous ne serez pas immergé. Par la suite, vous ne serez pas ici ou au-delà, ou au milieu, c'est que vous atteignez la fin de la souffrance". (Khuddaka Nikâya).
Il est évident que le résultat de cette pratique est l'éveil et la libération. L'éveil, c'est voir les choses comme elles sont. La libération, c'est une vie sans contrainte, débarassée de toutes les passions, elle est la conséquence de l'éveil. Un homme éveillé et libéré parfaitement, c'est un homme par excellence, un Bouddha.
Méthode sans méthode
Il est utile de rappeler que ce qui est nommé méthode dans le Ch'an est inexact, car l'orientation et la réalisation de la bouddhéité et l'observance des Koan ne sont pas l'application de la méthode.
Néanmoins, si on veut les appeler méthode, elle n'est pas la méthode analytique comme celle de la science, ni la méthode synthétique comme celle de la philosophie. Elle est plutôt un art d'observer, de penser de façon transcendantale, sans raisonnements logiques. Par conséquent, elle permet la connaissance intuitive où la sagesse émerge, et l'éveil apparaît.
Cette méthode s'adresse à tous ceux qui aspirent à l'éveil et à la libération. Il suffit que l'aspirant observe la réalité et s'identifie lui-même avec elle, dans toute sa lumière. Autrement dit, toutes les activités quotidiennes comme le manger, le coucher, la marche, le jardinage, etc. . . doivent être réglées avec intelligence et créativité dans la direction de l'éveil et de la libération. Une fois la méthode bien assimilée, en quelque sorte faisant corps avec sa vie, il s'identifie avec la méthode et ne fait qu'une avec elle. Il la pratique naturellement, libéré de toute contrainte. A ce moment là, il peut oublier le Koan, le Ch'an, même Bouddha.
L'histoire suivante est nécessaire pour illustrer l'orientation et la réalisation dans le cadre de la méditation de Ch'an :
"Il était une fois, dans un monastère bouddhique, un novice ayant fait la connaissance de son maître qui était en même temps un peintre célèbre, le pria de lui apprendre à dessiner. Le maître lui dit de choisir un objet. Le novice choisit comme modèle des jeunes tiges de bambou et demanda au maître de lui enseigner la méthode pour les peindre. Le maître dit : "Ne les peignez pas maintenant, mais observez-les encore pendant quelque temps." Le novice lui obéit. Jour après jour, il contemplait les bambous qui se trouvaient devant la fenêtre de sa chambre. Et chaque fois qu'il priait son maître de lui enseigner la méthode, celui-ci lui répondait toujours de la même façon. Le novice obéit au maître et continua à contempler les bambous sous divers aspects. Il les contemplait quand ils étaient encore des pousses, quand ils avaient très peu de feuilles, quand ils grandissaient en été, en hiver, dans la brume argentée remplie par le chant des oiseaux. Le maître, s'apercevant que son élève s'appliquait à suivre ses conseils, le fit revenir sept années après, et lui dit :"Maintenant, prenez la plume, l'encre, et dessinez les bambous." Le novice suivit le conseil du maître et le résultat fut une transposition excellente des bambous. Aucun peintre de bambous ne peut se comparer à lui. Et depuis cette époque, le novice de ce monastère est un peintre célèbre dans le pays."
En résumé, la méditation dans le Ch'an, c'est la méditation bouddhique, développée par les patriarches pour répondre à la recherche spirituelle des peuples orientaux. par une méthode conforme à la doctrine du Bouddhisme mahayâniste elle vise à élever l'homme à la situation la plus haute : l'homme par excellence.
QUESTIONS ET REPONSES
Père B.de Give :
Je crois être de nouveau l'interprète de l'assemblée en remerciant le Vénérable pour son exposé qui unit deux qualités rarement réunies : d'un côté une connaissance doctrinale assurée, très remarquable, l'essentiel du Théravâda et du Zen, et l'autre, des confidences personnelles, à certains moments, comme cette méditation au cours du ruisseau et cette croissance des bambous qui sont certainement pour nous des expériences illuminantes.
Je ferai cette remarque personnelle : j'ai vécu six ans à Sri-lanka sans connaître très bien le Bouddhisme Théravâda, et je m'attendais à quelque chose, disons le mot, d'assez sec. Souvent les livres sur le Bouddhisme primitif peuvent être très clairs, mais un peu raides ! Il est certain que nous n'avons pas du tout eu cette impression-là aujourd'hui. Une fois que ce Bouddhisme est vécu, je crois qu'il est fort différent de la doctrine purement abstraite. D'autre part il me semble qu'il est un peu rare aussi, du moins dans nos pays, de rencontrer un pratiquant qui joigne ces deux disciplines du Théravâda ou du Zen. On a souvent l'un ou l'autre, si bien que nous avons assisté à une conférence peu fréquente. Et lorsque nous aurons les actes du colloque nous devons, comme le disait le Vénérable, lire lentement. Le Théravâda est très minutieux dans les analyses, les subdivisions, et le Vénérable lui-même l'a fait, on saute certaines subdivisions qui ne sont pas assimilables à l'audition directe.
J'ai une question personnelle : Il y a ce texte qui vient du Bouddha lui-même : S'il n'y avait pas un non-né, un non-créé. . .il n'y aurait pas non plus de possibilité d'échapper à l'impermanence. Vous savez que lorsque les chrétiens lisent ce texte, ils sont extrêmement émus car derrière ce non-né, ce non-créé qui est la source de tout, ils mettent le nom de Dieu. Vous connaissez cette interprétation.
Vénérable Thich Thiên Châu :
Hier je vous ai raconté une histoire, vous n'étiez pas là, qui m'est arrivée en Allemagne récemment. Il y avait une querelle pour savoir si les bouddhistes croyaient en Dieu ou non. Et j'ai répondu que le bouddhiste croit en Dieu, si le Dieu auquel il croit est impersonnel ; Dieu est pour les bouddhistes impersonnel. Ce que le texte exprime clairement : le Bouddha dit qu'il y a un non-né, c'est l'infini, c'est la vérité, c'est difficile à réaliser . . . c'est clair; Je pense que c'est la vérité absolue, et cela tout le monde l'accepte. Que fait-on maintenant ? Il faut que chaque religion, selon sa tradition, perfectionne sa pratique, c'est bien. Il faut échanger les espérances, les points de vue. Récemment il y a eu des querelles religieuses même en Inde. Ils se tuent les uns les autres pour des choses ordinaires, mondaines, secondaires ; on ne saisit pas les choses essentielles comme la vérité absolue. Je suis ému aussi que des chrétiens et des bouddhistes se réunissent ici pour discuter des choses qu'on a pendant longtemps cachées, on s'est tu, on ne discutait pas. C'est pour moi quelque chose de merveilleux. Je dis qu'il y a quelque chose comme le non-né, Dieu dans votre vocabulaire, Dharma dans le mien, Dieu impersonnel, c'est la réalité absolue. Si on lit les textes et les paroles de sages comme Bouddha, on trouve des choses semblables. Mais si on s'oriente vers l'extérieur, on trouve les différences, et on se querelle, et cela ne va pas pour nous qui sommes religieux.
Intervenante :
Lorsque vous parlez de la respiration entre l'expiration et l'inspiration, à ce moment où on est vide, ce moment rapide où on est là où on pourrait toujours être, ce moment sans pensée qui nous amène peut-être un jour au Nirvâna. . . Entre l'expiration et l'inspiration il y a un moment vide. . .
Vénérable Thich Thiên Châu :
Je n'ai pas lu tout le texte complet. On respire au commencement pour arriver à la concentration par l'attention au souffle, et après en expirant et en inspirant on médite sur quelque chose, on approfondit la réalité comme l'impermanence, l'insubstantialité et la souffrance. On arrive à la réalité des choses. La respiration et la concentration seules ne font pas la méditation, notamment la méditation Zen.
Intervenante :
C'est un appui, qui un jour n'aura plus besoin d'être ?
Vénérable Thich Thiên Châu :
Par exemple, si Lama Denis veut construire une micro centrale hydro-électrique ici, il devra amener l'eau dans un tube, puis la faire passer dans une turbine et c'est la force de l'eau qui donnera de l'électricité : c'est la concentration. On utilise donc la force de l'eau pour qu'elle donne de l'électricité. Tel est notre mental avec ses deux aspects : d'abord la concentration sur le mental libère de la force, il faut ensuite utiliser cette force pour arriver à l'éveil. Il ne faut pas mettre l'eau dans le tube, puis la laisser couler, sans qu'elle donne un résultat. Cela ne se conçoit pas ainsi. Il y a deux aspects dans la méditation, la tranquilité et la sagesse.
Père Louis Verdeyen :
Vénérable, vous avez fait la distinction entre la doctrine du Bouddha lui-même et les écoles postérieures. D'une certaine manière nous avons cela dans le christianisme aussi, il y a les écritures canoniques et la tradition postérieure et il y a toute une conception du développement de la doctrine. Est-ce que cela existe dans le Bouddhisme?
Vénérable Thich Thiên Châu :
J'ai dit qu'il y avait à ce jour trois sortes de Bouddhisme ; il y a le Bouddhisme originel enseigné par Bouddha lui-même, pratiqué au temps de Bouddha ; puis une autre sorte de Bouddhisme développé mais limité, lié aux textes et à la tradition ; la troisième est le Bouddhisme largement développé aujourd'hui, qu'on appelle Mahayana où l'on trouve au moins dix, quinze écoles de zen. Le développement existe dans le Bouddhisme. Il y a des orthodoxes qui condamnent le Bouddhisme développé. Je ne pense pas que ce soit hérétique, le Bouddhisme a voulu s'adapter aux circonstances, à la vie culturelle, à la civilisation de chaque peuple. Mais je pense que tous les bouddhistes reconnaissent les quatre nobles vérités, l'existence du Nirvâna, la vacuité. . .
Intervenant :
La vierge existe-t-elle dans le Bouddhisme ?
Vénérable Thich Thiên Châu :
Dans le Bouddhisme originel il n'y a pas de vierge, mais devant les sentiments religieux, devant la nécessité est apparu Avalokitéshvara, devenu Kouan-Yin en Chine et Kwannon au Japon, Tara au Tibet, sous forme féminine. C'est un bodhisattva qui pense toujours à aider les êtres. Je pense que c'est une manifestation de sentiments. Au commencement le Bouddhisme était un peu sec, le Bouddha était un sage très sévère ! C'est pour cela qu'il faut avoir des saints comme Avalokitéshvara, Tara, pour stimuler les sentiments religieux, pour stimuler l'aspiration des êtres. C'est pour cela que dans le Bouddhisme développé il y a des statues, on ne pouvait pas trouver ces sortes de statues en Inde, Avalokitéshvara en Inde avait une forme masculine. Alors qu'en Chine, au Japon et au Viêt-nam il y a des Bodhisattvas de la compassion sous une forme féminine.
Conférence faite à Insitut Karmaling (France)1984 et à Instituto di science Religiose in Trento (Italie) 1987 par Vénérable Thich Thiên Châu, Docteur-ès-lettres
Thich Thiên Châu
comme le thème de la différence entre voie méditante ou non est abordé sur le fil soka gakkai et qu'à mon avis il mérite d'avantage d'attention. Voici un article, présentant les différences et les points commun entre le théravada et le zen
En le mettant sur le forum, j'espère que ça contribue à une meilleure connaissance de la méditation bouddhiste, emmenant peut etre a l'envie de le pratiquer.
http://cusi.free.fr/fra/fra0050.htm
LA MEDITATION DANS LE THERAVADA
ET DANS LE CH'AN (ZEN)
Thich Thiên Châu
A. INTRODUCTION
Pendant les 45 ans de la propagation de la doctrine, depuis son éveil sous l'arbre bodhi jusqu'à sa mort (parinirvâna) , Bouddha n'enseigna qu'une seule chose : la souffrance et sa suppression (M.22). Il préconisa, pour y parvenir, trois choses essentielles :
- La moralité (sîla)
- La méditation (samâdhi)
- La sagesse (pannâ)
La méditation en est la plus importante, car elle est la condition sine qua non de la réalisation du Nirvâna :
Avec la méditation, apparaît la sagesse
Sans la méditation, la sagesse n'apparaît pas
Reconnaissant ce duel entre gagner et perdre
On fait effort pour perfectionner la sagesse
(Dhp, 282)
ou
Pratiquant la méditation
Avec grande persévérance,
Les sages atteignent le Nirvâna,
La béatitude suprême.
(Dhp, 23)
Le Bouddhisme s'est tout d'abord propagé dans le bassin du Gange, puis ensuite, grâce aux disciples du Bouddha, il s'est diffusé dans les pays voisins de l'Inde. Aujourd'hui, après 2500 ans, le Bouddhisme reste la doctrine vitale dans plusieurs pays de l'Asie et il est en train de se répandre dans les pays occidentaux où domine le Christianisme et la science.
Le Bouddhisme d'aujourd'hui pourrait être comparé à un arbre séculaire au tronc robuste et aux branches nombreuses et touffues. Tout en se déroulant dans le temps et se développant à travers l'espace, le Bouddhisme s'est manifesté sous des formes variées, telles l'Ecole des anciens (Théravâda) et l'Ecole du Grand Véhicule (Mahâyâna) etc. Il n'est pas resté tout à fait identique au Bouddhisme primitif créé par le Bouddha lui-même.
Néanmoins, les bouddhistes de l'Ecole des anciens dans des pays comme le Srilanka, la Birmanie, la Thailande, le Laos, le Cambodge ,etc. ainsi que les bouddhistes mahâyânistes dans des pays comme le Vietnam, la Chine, la Corée, le Japon, le Tibet, etc. reconnaissent comme doctrine fondamentale, les quatre nobles vérités (Ariyasacca) et comme pratique essentielle la méditation (Samâdhi).
Dans cette causerie, nous n'aborderont que la méditation de l'Ecole des anciens et celle de l'Ecole du Dhyâna (Ch'an ou Zen).
Il convient de remarquer que la méditation est la méthode unique et commune de presque tous les bouddhistes. Bien que très différents par les traditions et les langages, un Théra (doyen) du Srilanka et un Thiên-su (maître Thiên) du Vietnam peuvent prendre part ensemble à une séance de méditation. Leurs positions assises, leurs méthodes de concentration, sont semblables, mais les sujets de méditation peuvent être différents. Cependant, leur but reste le même : l'éveil et la libération. Il y a de très nombreux livres traitant de la méditation des deux écoles Théravâda et Dhyâna, mais c'est l'Ecole de Ch'an ou Zen qui est la plus critiquée et la plus mal acceptée par les orthodoxes. En conséquence, la plus grande partie de cet exposé concerne la méditation dans l'Ecole de Ch'an et nous nous bornerons à citer les idées contenues dans des livres canoniques du Bouddhisme original écrits en pâli, afin de souligner les points communs entre les deux formes de méditation.
B. MEDITATION DANS LE THERAVADA
En ce qui concerne la méditation dans le Théravâda, il faut noter qu'elle se base sur les deux notions suivantes :
I. PURIFICATION DE L'ESPRIT
Pour se faire une idée exacte de l'esprit et de sa purification, le mieux serait de saisir le sens des stances du Bouddha contenues dans le Dhamapada :
" Les états mentaux (dhammâ) sont commandés par l'esprit, dominés par l'esprit et produits par l'esprit."
" Si nous parlons ou agissons avec un mauvais esprit, la souffrance nous poursuit comme les roues d'un chariot qui talonnent les boeufs."
" Si nous parlons ou agissons avec un bon esprit, le bonheur nous poursuit comme une ombre qui ne nous quitte jamais." (Dhp. 1,2)
ou :
Ne pas créer le mal,
Réaliser plutôt le bien,
Purifier son propre esprit,
C'est cela, l'enseignement du Bouddha.
(Dhp. 183)
L'esprit est la force principale et créative de l'homme et de la vie. Pour le purifier ou pour le libérer, il faudrait appliquer les 37 éléments faisant partie de l'éveil, à savoir les 7 facteurs suivants :
- Les 4 bases de la présence d'esprit (Satipatthâna)
- Les 4 efforts parfaits (Padhâna)
- Les 4 voies pour parvenir au pouvoir supranormal (Iddhi-pâda)
- Les 5 facultés spirituelles (Indriya)
- Les 5 pouvoirs (Bala)
- Les 7 facteurs de l'éveil (Bojjhanga)
- La voie octuple (Magga)
II. PRESENCE D'ESPRIT
Parmi ces sept catégories d'éléments de l'éveil, la première est indispensable à tous ceux qui veulent pénétrer dans la méditation. Ce sont les 4 bases de la présence d'esprit :
1-La présence d'esprit du corps (Kâya) consistant dans les exercices suivants : la présence d'esprit concernant l'inspiration et l'expiration, la considération des 4 postures, la présence d'esprit et la lucidité de la conscience, la réflexion sur les 32 parties du corps, l'analyse des 4 éléments physiques, les méditations au cimetière.
2- La présence d'esprit des sensations (Vedanâ) : observer les sensations qui apparaissent dans le moine pratiquant qui les perçoit clairement, notamment la sensation agréable et désagréable du corps et de l'esprit, la sensation sensuelle et supersensuelle, la sensation d'indifférence.
3- La présence d'esprit de la conscience : c'est-à-dire qu'il perçoit et comprend clairement tout état de conscience ou d'esprit (citta) , qu'il soit avide ou non, haineux ou non, égaré ou non, contracté ou trouble, développé ou non développé, surpassable ou insurpassable, concentré ou non, affranchi ou non.
4- La présence d'esprit des objets mentaux (dhammâ) : c'est-à-dire qu'il sait si l'un des empêchements (Nirvârana) existe ou non en lui, qu'il sait comment cela est apparu, comment le maîtriser et comment, à l'avenir, cela n'apparaîtra plus. Il connaît la nature de chacun des cinq groupes (khandha) , comment ils apparaissent et comment ils se désagrèrent. Il connaît les 12 bases de toute activité mentale (âyatana) : l'oeil et l'objet visuel, l'oreille et l'objet audible, nez, etc. . . l'esprit et l'objet de l'esprit, il connaît les liens (samyoyama) basés dessus, il sait comment ils apparaissent, comment les maîtriser et comment, à l'avenir, ils n'apparaîtront plus. Il sait si l'un des 7 facteurs de l'éveil existe ou non en lui, comment cela est apparu et parvient à son plein développement. Il comprend, en accord avec la réalité, chacune des quatre nobles vérités (sacca) .
En réalité, les quatre bases de la présence d'esprit ne doivent pas être prises pour de simples exercices séparés, mais au contraire, du moins en bien des cas, comme des choses inséparablement associées les unes aux autres, spécialement dans les absorptions (jhâna) .
III. METHODE COMBINEE
En outre, dans le discours numéro 118 du Majjhimanikâya, Le Bouddha montre comment ces quatre bases de la présence d'esprit peuvent être menées à bonne fin par les exercices de la présence d'esprit sur l'inspiration et l'expiration.
1- Contemplation du corps
a- En faisant une longue inspiration, il sait : je fais une longue inspiration.
En faisant une longue expiration, il sait : je fais une longue expiration.
b- En faisant une courte inspiration, il sait : je fais une courte inspiration.
En faisant une courte expiration, il sait : je fais une courte expiration.
c- Percevant clairement tout le souffle (du corps), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce
Percevant clairement tout le souffle (du corps), je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
d- Calmant cette fonction corporelle, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Calmant cette fonction corporelle, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exrece.
2- Contemplation des sensations
e- Eprouvant du ravissement (pîti), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Eprouvant du ravissement, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
f- Eprouvant de la joie, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Eprouvant de la joie, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
g- Percevant la formation mentale (citta-sankhara), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Percevant la formation mentale, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
h- Calmant la formation mentale, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Calmant la formation mentale, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
3- Contemplation de l'esprit
i- Percevant clairement l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Percevant clairement l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
j- Réjouissant l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réjouissant l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
k- Concentrant l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Concentrant l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
l- Libérant l'esprit, je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Libérant l'esprit, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
4- Contemplation d'objets mentaux
m- Réfléchissant à l'impermanence (anicca), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant à l'impermanence, je vais expire, c'est ainsi qu'il s'exerce.
n- Réfléchissant au détachement (virâga), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant au détachement, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
o- Réfléchissant à l'extinction (nirodha), je vais inspirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant à l'extinction, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
p- Réfléchissant au renoncement (patinissagga), je vais inspirer,c'est ainsi qu'il s'exerce.
Réfléchissant au renoncement, je vais expirer, c'est ainsi qu'il s'exerce.
C'est ainsi que les quatre bases de la présence d'esprit (satipatthâna), combinées avec les exercices sur l'inspiration et l'expiration, sont une culture mentale (bhâvanâ) qui constitue la seule voie conduisant à l'accès de la purification, à la maîtrise de la souffrance et des lamentations, à la cessation de la peine et du chagrin, à l'entrée dans la voie parfaite et à la réalisation du Nirvâna, comme le préconisait Bouddha.
Une fois l'esprit éveillé et libéré, l'homme est en bonne santé et sa vie est dans la paix suprême :
" Moines, si l'esprit d'un moine ne s'attache pas aux éléments de la matière (des sensations, des perceptions, des composants psychiques, de la conscience) et s'est débarassé des impuretés par l'absence de fondement, alors par suite de l'inébranlable, il est satisfait, par suite de la satisfaction, il n'est pas troublé, et n'étant pas troublé, il a lui-même atteint le Nirvâna." (Sn. III, 45).
5- Bhâvanâ.
Il est évident que le terme "méditation" utilisé généralement en Occident a un sens vague et incomplet. Dans le milieu bouddhiste, on emploie plutôt le terme "développement mental" (bhâvanâ) pour indiquer les deux catégories:
1- Le développement de la tranquillité (samathabhâvanâ) , c'est-à-dire la concentration (samâdhi) .
2- Le développement de l'inspection (vipassânabhâvanâ) , c'est-à-dire la sagesse (panna) .
La tranquillité est l'état d'esprit concentré, inébranlable, paisible et par conséquence purifié, incorruptible, tandis que l'inspection est la connaissance intuitive qui apparaît clairement au sujet de la souffrance, de l'insubtantialité et de l'impermanence (dukkha, anattâ, anicca) de tous les phénomènes physiques ou psychiques de l'existence.
La concentration est le fondement indispensable et la condition prioritaire de l'inspection en purifiant l'esprit de cinq empêchements (nirvarana) qui sont des obstacles à l'esprit et qui aveuglent la vision mentale, à savoir :
1- Le désir sensuel (kâmacchanda) comparé à l'eau mélangée à de multiples couleurs
2- La malveillance (vyâpâda) semblable à l'eau bouillante
3- La torpeur et la langeur (thina-middha) comparées à de l'eau couverte de mousse.
4- L'agitation et les inquiétudes (uddhacca-kukkucca) semblables à de l'eau agitée par le vent
5- Le doute sceptique (vicikicchâ) comparé à de l'eau trouble et boueuse
(Cf. An, V, 193).
Tandis que la sagesse engendre la libération de l'esprit en passant par les quatre stages supramondains de l'état du méritant, à savoir :
- Celui qui gagne le courant (sotâpanna) .
- Celui qui ne reviendra qu'une fois (sakadâgâmi) .
- Celui qui ne reviendra plus (amâgâmi) .
- Celui qui est parvenu à l'état du méritant (arahant) .
C'est ainsi que le développement mental se compose de deux stages :
- La tranquillité ou la concentration dont la fonction est d'éliminer les empêchements et d'arriver à la concentration juste (samâdhi) .
- L'inspection ou la sagesse qui consiste à comprendre les choses (dhammâ) comme telles, et arriver à la compréhension juste (sammaditthi) et à la pensée juste (sammasankappa) et pour finalement atteindre les quatre fruits du Nirvâna.
"Il n'y a pas de concentration pour celui qui manque de sagesse, et pas de sagesse pour celui qui manque de concentration."
"Et celui qui possède à la fois concentration et sagesse est proche du Nirvâna". (Dhp, 372)
En résumé, la méditation dans la tradition du Théravâda est celle enseignée par Bouddha Gautama et pratiquée par lui-même. Elle est plus ou moins préservée par les communautés bouddhistes dans l'Ecole des Anciens. Elle a pour but d'aider l'homme en purifiant son esprit, gagner la santé et la paix, et atteindre la situation d'un homme libéré (arahant) .
C. MEDITATION DANS LE CH'AN OU ZEN
Nous avons discuté de la méditation dans le Théravâda. Nous abordons maintenant la méditation dans la tradition du Ch'an (zen) qui prend sa source dans le Bouddhisme développé (mahâyana) dont l'apparition remonte à un ou deux siècles avant l'ère chrétienne.
Nâgarjuna en est le théoricien éminent. Il est l'auteur des commentaires des textes sur la Prajnâparamita dont voici le thème principal :
"Toutes les choses sont insubstantielles ou vides. Pour parvenir à la suppression de la souffrance, il faut réaliser le vide. Le Nirvâna est également vide."
Les nouveaux théoriciens avaient proposé de nombreuses thèses doctrinales dont les suivantes constituent l'arrière-doctrine de l'école de Ch'an :
a- Les trois corps des Bouddhas :
- Le corps créé (nirmânakâya) : c'est le corps humain créé pour guider les êtres humains qui est l'ombre, le reflet du corps réel (dharmakâya) , comme le reflet du soleil et de la lune.
- Le corps de béatitude (sambhogakâya) qui est seulement aperçu par les Boddhisattvas mais non par les êtres humains ordinaires et qui est le résultat des mérites accumulés dans le passé.
- Le corps véritable (dharmakâya) : la totalité de tous les choses dans l'univers. Il est réel et éternel.
b- La conception de l'embryon de Tathâgata (Tathâgatagarbha) :
Le Bouddha potentiel dans tous les êtres
c- L'atteinte de la bouddhéité est le Nirvâna.
L'origine de l'Ecole baigne dans le mythe et la légende. La tradition commence par la transmission du Dharma par le Bouddha lui-même au Vénérable Kashyapa qui fut le premier patriarche. Lui succèderont vingt sept autres patriarches en Inde. Le 28ème fut Boddhidharma qui arriva en Chine en 527 et devint le premier patriarche de l'Ecole en Chine. Il sert ainsi de pont entre le patriarcat du Dhyâna en Inde et du Ch'an en Chine. Hui-k'o en est le deuxième, et Hui-neng le sixième.
L'invention de la généalogie des patriarches (qui pourrait être celle préconisée par les véritables fondateurs de l'Ecole sous la dynastie T'ang où le Dhyâna ou Ch'an était devenu une tradition florissante )constitue la raison d'être de l'Ecole et la nécessité de sa transmission particulière en dehors de la doctrine.
Il n'est pas facile de parler de la méditation d'une Ecole dont les méthodes et la transmission sont semblables à celles des autres. En conséquence, il faut mieux saisir ses caractéristiques dans la stance qui définit l'essence même du Ch'an :
" Il y a une transmission particulière en dehors de la doctrine.
Ne pas établir (l'authenticité) de mots et de lettres,
Montrer directement l'esprit de l'homme,
Voyant la nature propre, on devient Bouddha. "
Bien qu'elle apparût seulement après la mort de Hui-neng (638-713), cette stance constitue l'essence même de cette Ecole durant toute son histoire, depuis sa création par Bodhidharma jusqu'à ce jour.
1- Véritable Dharma
Le Dharma ou la réalité absolue ne peut être transmis que d'esprit à esprit, comme Bouddha en a donné l'exemple : un jour Bouddha assista à une grande assemblée sur le Gridhakuta. Un brahmâ offrit alors à Bouddha une fleur dorée Kumbala et lui demanda de prêcher sa doctrine. Bouddha ne prêcha pas mais tint haut la fleur qui fut offerte. L'assemblée observa le silence et s'interrogea sur l'attitude inattendue du Bienheureux. Seul le Vénérable Kashyapa comprit Bouddha et le manifesta par un sourire. Bouddha en fut content et déclara :"Je confie l'oeil secret du Dharma et le merveilleux coeur du Nirvâna à Kashyapa. Recevez-les et transmettez-les aux autres."
Cette légende démontre que le Dharma réalisé par Bouddha ne peut être transmis par un langage ordinaire, car la doctrine parlée est certainement conditionnée par un langage inadéquat qu'il utilise par le niveau culturel des auditeurs auxquels il s'adresse, et par l'environnement dans lequel se situent le prêcheur et des auditeurs.
A ce propos, il est intéressant de rappeler le passage du discours suivant concernant le Nirvâna, et préconisé par Bouddha (on se demande s'il existe un rapport entre le Dharma et le Nirvâna, l'Infini et la Vérité) :
"Il y a , moines, un domaine où n'existe ni terre, ni eau, ni air, ni l'infini de l'espace, ni l'infini de la conscience. Il n'est ni de ce monde, ni de l'autre monde, ni de l'un ni de l'autre, ni du soleil, ni de la lune. Cet état, moines, je ne l'appelle ni venir ni aller, ni apparaître ni disparaître. Sans origine, sans évolution, sans arrêt. Ceci est en vérité la fin de la souffrance."
"Difficile à voir est l'infini, difficile à voir est la vérité. S'il n'existait pas, moines, un non-né, non produit, non créé, non formé, il n'y aurait pas de délivrance pour ce qui est né, produit, créé, formé. Mais, moines, puisqu'il y a un non-né, non produit, non créé, non formé, alors ce qui est né, produit, créé, formé, peut se libérer." (Udana, p.80- cf. aussi Itivuttaka, II, 6 et la traduction d'A. Bareau dans le "Bouddha" p.139, 140).
Par ailleurs, comme Bouddha l'a dit, le Nirvâna est invisible pour les gens n'ayant pas l'oeil noble :
" De même, Mâgandiya, les religieux des autres religions étant aveugles, ne connaissant pas la Santé, ne voient pas le Nirvâna." (Mn, I, 510)
Le Nirvâna est seulement aperçu par les Clairvoyants :
" Ces deux sortes de Nirvâna sont déclarées par le clairvoyant (Itivuttaka, p.38). . . compréhensibles pour le sage:
" Ainsi, Brahmane, le Nirvâna est-il visible en cette vie : immédiat, engageant, attrayant, et compréhensible pour le sage." (An, I, 159).
"Le Nirvâna est un domaine transcendantal." (Cf. Udâna, p.80).
S'il y a ce véritable Dharma, la vraie transmission serait nécessaire. Selon les Ch'anistes, la transmission par la doctrine parlée et les ecritures n'est pas véritable.
Le pire est de s'attacher aux mots vides de sens et aux lettres mortes pour y chercher la vérité pure et vivante. C'est de la folie si l'on croit que le temps peut se retrouver dans une montre.
En outre, l'histoire selon laquelle a été confiée à Hui-neng, un illétré, la succession du Patriarcat par Hung-yen alors qu'elle a été refusée à Shen-hsieu, l'érudit de la communauté, en est une illustration éloquente.
Une autre histoire dans les textes Pâli dit qu'on peut atteindre l'éveil et la libération en pénétrant directement dans la réalité sans avoir besoin de la connaissance scholastique :
Culapanthaka, un jeune moine, ne peut retenir même le passage d'un discours de quatre lignes après quatre mois d'efforts. Son frère, également un moine, lui conseille de retourner à la vie laique. Culapanthaka veut rester religieux. Bouddha se rendant compte de sa volonté, lui confie un mouchoir propre et lui conseille de l'étendre devant le soleil chaque matin, et de l'observer ensuite. Le mouchoir devient sale quelque temps après du fait qu'il le touche avec ses mains. Le changement de couleur de ce mouchoir évoque en Culapanthaka les idées de l'impermanence de la vie et c'est par la méditation qu'il obtient enfin d'état d'un Arahant.
Il est évident que la doctrine préconisée par Bouddha durant toute sa vie, et plus tard enregistrée dans les livres canoniques, n'est que le doigt pointant vers la lune, or c'est la lune qu'il faut regarder et non le doigt. Par ailleurs, si la connaissance scholastique peut nous amener à l'éveil et la libération, le Vénérable Ananda, le plus proche serviteur de Bouddha et qui est le trésor du Dharma (dhammabhanda-garika) avec son incomparable érudition, aurait dû atteindre l'Arahant plutôt qu'il le fit après la mort de Bouddha.
En conséquence, la transmission silencieuse, directe, sans intermédiaire de langage ni d'écritures, est juste et nécessaire pour une école qui est appelée aussi l'Ecole de l'esprit de Bouddha.
2- Orientation et réalisation
En général, l'école de Ch'an possède une méthode conforme à la parole de Bouddha : "Vous devez vous-même faire l'effort, les Bouddha ne sont que des Maîtres." (Dhp, 276).
Ayant une transmission particulière, les ch'anistes appliquent une méthode de méditation aussi particulière, bien que leurs préparations ressemblent à celles des autres écoles.
Tout d'abord, l'aspirant, avec l'aide de son maître spirituel s'oriente dans la voie en cherchant une direction tout en ayant confiance en lui-même. La vision de l'orientation est très importante. C'est le maître qui lui montre l'existence de la potentialité de son esprit. Et c'est à l'aspirant de reconnaître ses capacités et de s'engager dans la voie avec son intelligence. Pour se reconnaître, il faut pénétrer dans l'esprit, qui est l'essentiel de l'homme. L'esprit est le trésor de toutes les qualités d'un Bouddha malgré qu'il soit voilé par les poussières de l'ignorance et des passions. En effet, l'esprit de l'homme comporte deux aspects :
a - La réalité : les phénomènes psychiques comme sensations, perceptions, formations mentales, conscience, qui se manifestent quotidiennement
b - La potentialité : la partie non-manifestée existant toujours avec les qualités d'un homme par excellence (Bouddha).
Autrement dit, tous les êtres sont potentiellement des Bouddhas. La bouddhéité et l'esprit ne forment qu'une seule chose. Bouddha et être vivant ont une origine commune. Bouddha est un homme par excellence ayant développé toutes les qualités d'un homme, tandis qu'un homme est celui qui possède potentiellement toutes les qualités d'un Bouddha dont les dix désignations sont essentielles : le Bienheureux, le Méritant, l'Eveillé, le Parfait, le Doué de sagesse et de vertu, le Bienvivant, le Connaisseur des mondes, l'Incomparable, le Conducteur des hommes domptables, l'Instructeur des êtres célestes et des hommes, le Bouddha.
C'est ainsi que l'homme ne s'oriente que vers l'intérieur et réalise ce qu'il a en lui-même. En conséquence, s'orienter c'est réaliser. Cette notion est conforme non seulement à la conception doctrinale qui soutient que chaque personne est un embryon de Tathâgata-Bouddha (Tathâgatagarbha) mais aussi aux notions doctrinales dans l'enseignement originel dans les textes pâli, à savoir: "revenir à l'état de non-confection de l'esprit" (visamkhâragatam-cittam : Dhp, 154) ou esprit lumineux (pabhassavamidacittam : An.I, 10).
La réalisation des potentialités de l'homme est possible par l'observance des Koans selon les ch'anistes.
L'observance des Koans.
Il est vrai que seule la posture de lotus ne fait pas la méditation du Ch'an, notamment de l'école Lin-Tchi. Il faut que l'aspirant déjà arrivé à la concentration recoive et observe un Koan à un moment déterminé, ou des Koan pendant toute sa pratique. Il y a environ 1700 Koan applicables. Littéralement, Koan signifie document public. Ce sont des énoncés contradictoires employés par le maître Ch'an pour créer un choc psychologique ou une "angoisse philosophique" chez les aspirants selon le principe "plus grand est le doute, plus grand est l'éveil". Ils sont formulés soit sous forme de questions qui ne peuvent être résolues que par une connaissance intuitive et transcendantale, soit sous forme de thèse. Ils contribuent à créer une grande tension spirituelle provoquant une expérience personnelle dont le but final est l'éveil.
Il s'agit également d'une expérience qui dépasse les dualités familières qui pourraient être aperçues entre spectateur et spectacle, entre expérimentateur et expérience. La réalité vivante aperçue par l'éveil qui est la découverte de la vérité qui précède toujours une libération totale inébranlable, pleine de béatitude et qui conduit finalement l'homme à maîtriser sa vie et sa mort dans le paix suprême. Par exemple : Wu : "rien" est un Koan. "Wu" est la réponse de Chao-chou (778-897 en Chine) à la question "la nature de Bouddha se trouve-t-elle dans un chien ?" . Certainement le questionneur savait bien que la nature de Bouddha est dans tous les êtres, mais il hésitait à conclure que le chien était aussi un Bouddha. C'est pourquoi le maître ne répondit pas "Oui, bien sûr, le chien a aussi la nature du Bouddha". Il chercha à détourner le questionneur de vouloir comprendre les choses par la pensée rationnelle. Chao-chou visait à faire naître la connaissance intuitive à l'égard de la réalité de l'interlocuteur pour que les contradictions se résolvent d'elles-même.
En outre, l'aspirant en cherchant à résoudre les Koan, doit consulter souvent son précepteur pour exprimer ses propres pensées, et recevoir les critiques. Généralement, les dialogues entre maître et disciples se déroulent soit amicalement soit férocement (le maître peut hurler, frapper son disciple, détourner les questions etc. . .) dans le but de vérifier le progrès de son disciple. Sinon, le disciple doit continuer à approfondir le Koan. L'exemple ci-après illustre ce qui se fait dans la solution d'un Koan : si le maître est satisfait, il en donne l'approbation.
Liêu-Quan, fondateur d'une école Thiên du Viêt-nam au 18ème siècle, rencontra le maître chinois Tu-Dung dans la pagode An-tông à Long-son, Huê. Ce dernier appartenait à l'école de Lin-tchi. Il lui conseilla de faire des recherches afin d'observer le Koan suivant :
" Toutes les choses retournent vers l'unique unité,
Et l'unité, vers quelle destination ?"
Rentrant à Phu-yên, Liêu-Quan consacra cinq années à étudier et à méditer la signification de ce Koan. Il souffrit énormement de ne pouvoir en saisir la portée.
Un jour, en lisant le recueil de la transmission de la lampe, il s'arrêta à la phrase suivante : "On ne comprend pas la signification de la transmission de l'esprit par l'indication des choses" .
Liêu-Quan découvrit aussitôt la signification du Koan que son maître lui avait proposé de méditer cinq ans auparavant. Il revint alors à Huê en 1708 pour rendre compte au maître Tu-Dung du résultat de son travail et surtout de sa compréhension personnelle de la signification du Koan. Tu-Dung lui répondit alors en ces termes :
"Sur le bord d'un fossé, on lâche ses bras
On est tout seul pour endurer sa souffrance
On meurt, puis on renaît
Et personne ne peut nous mépriser."
Liêu-Quan applaudit, mais Tu-Dung lui fit observer qu'il n'avait pas encore saisi la signification du Koan et dit sévèrement : "Pas encore arrivé."
Liêu-Quan répondit : "Les poids sont par origine en acier" . Mais le maître n'accepta pas cette explication. Le lendemain, Liêu-Quan passa devant le refuge de Tu-Dung qui l'interpela et lui dit : "Ce que nous avons abordé ensemble hier n'est pas encore achevé. Il faut continuer à approfondir votre connaissance" . Liêu-Quan lui répondit : "De bonne heure, on sait que la lampe est une flamme. Le riz est cuit depuis longtemps" . Alors Tu-Dung ne cessa de le féliciter.
En l'été 1772, maître et disciple se retrouvèrent à Quang-nam. Liêu-Quan avait déjà 42 ans. Il subit à son examen la stance relative au "Bain de la statue de Bouddha".
S'engagea alors entre eux la conversation suivante :
- Tu-Dung : "Les patriarches se transmettant entre eux, les Bouddhas se reçoivent mutuellement, mais alors que transmettent les premiers aux secondes?"
- Liêu-Quan : "Combien de longueur mesure-t-elle la pousse de bambou qui s'élève sur la pierre ? Combien de kilos pèse un balai en poil de tortue ?"
- Tu-Dung : "On rame sur le sommet des montagnes, on galoppe au fond de l'océan."
-Liêu-Quan : "Le buffle en terre beugle toute la nuit parce qu'il a ses cornes cassées, on égrène toute la journée sa cithare sans corde".
Tu-Dung acquiesça par un signe d'approbation de la tête à la dernière réponse de son disciple.
A propos des pratiques basées sur les notions de "sans pensée" (vô-niêm), "sans demeure" (vô-tru) des ch'anistes, il est intéressant de citer un enseignement très court mais efficace sur la méditation préconisée par Bouddha à propos de la supplication de Bâhiya qui obtient l'Arahant après peu de temps de pratique :
"Alors, Bâhiya, ainsi vous devez vous entraîner vous-même :
Dans la vision, il n'y aura que la vision, dans l'audition que l'audition, dans le sens que le sens, dans la connaissance que la connaissance. C'est ainsi, ô Bâhiya, que vous devez vous entraîner vous-même."
" Quand, Bâhiya, dans la vision, il n'y aura en vous que la vision, dans l'audition que l'audition, dans le sens que le sens, dans la connaissance que la connaissance, alors Bâhiya, vous ne serez pas bloqué, et quand vous ne serez pas bloqué, alors Bâhiya, vous ne serez pas immergé. Par la suite, vous ne serez pas ici ou au-delà, ou au milieu, c'est que vous atteignez la fin de la souffrance". (Khuddaka Nikâya).
Il est évident que le résultat de cette pratique est l'éveil et la libération. L'éveil, c'est voir les choses comme elles sont. La libération, c'est une vie sans contrainte, débarassée de toutes les passions, elle est la conséquence de l'éveil. Un homme éveillé et libéré parfaitement, c'est un homme par excellence, un Bouddha.
Méthode sans méthode
Il est utile de rappeler que ce qui est nommé méthode dans le Ch'an est inexact, car l'orientation et la réalisation de la bouddhéité et l'observance des Koan ne sont pas l'application de la méthode.
Néanmoins, si on veut les appeler méthode, elle n'est pas la méthode analytique comme celle de la science, ni la méthode synthétique comme celle de la philosophie. Elle est plutôt un art d'observer, de penser de façon transcendantale, sans raisonnements logiques. Par conséquent, elle permet la connaissance intuitive où la sagesse émerge, et l'éveil apparaît.
Cette méthode s'adresse à tous ceux qui aspirent à l'éveil et à la libération. Il suffit que l'aspirant observe la réalité et s'identifie lui-même avec elle, dans toute sa lumière. Autrement dit, toutes les activités quotidiennes comme le manger, le coucher, la marche, le jardinage, etc. . . doivent être réglées avec intelligence et créativité dans la direction de l'éveil et de la libération. Une fois la méthode bien assimilée, en quelque sorte faisant corps avec sa vie, il s'identifie avec la méthode et ne fait qu'une avec elle. Il la pratique naturellement, libéré de toute contrainte. A ce moment là, il peut oublier le Koan, le Ch'an, même Bouddha.
L'histoire suivante est nécessaire pour illustrer l'orientation et la réalisation dans le cadre de la méditation de Ch'an :
"Il était une fois, dans un monastère bouddhique, un novice ayant fait la connaissance de son maître qui était en même temps un peintre célèbre, le pria de lui apprendre à dessiner. Le maître lui dit de choisir un objet. Le novice choisit comme modèle des jeunes tiges de bambou et demanda au maître de lui enseigner la méthode pour les peindre. Le maître dit : "Ne les peignez pas maintenant, mais observez-les encore pendant quelque temps." Le novice lui obéit. Jour après jour, il contemplait les bambous qui se trouvaient devant la fenêtre de sa chambre. Et chaque fois qu'il priait son maître de lui enseigner la méthode, celui-ci lui répondait toujours de la même façon. Le novice obéit au maître et continua à contempler les bambous sous divers aspects. Il les contemplait quand ils étaient encore des pousses, quand ils avaient très peu de feuilles, quand ils grandissaient en été, en hiver, dans la brume argentée remplie par le chant des oiseaux. Le maître, s'apercevant que son élève s'appliquait à suivre ses conseils, le fit revenir sept années après, et lui dit :"Maintenant, prenez la plume, l'encre, et dessinez les bambous." Le novice suivit le conseil du maître et le résultat fut une transposition excellente des bambous. Aucun peintre de bambous ne peut se comparer à lui. Et depuis cette époque, le novice de ce monastère est un peintre célèbre dans le pays."
En résumé, la méditation dans le Ch'an, c'est la méditation bouddhique, développée par les patriarches pour répondre à la recherche spirituelle des peuples orientaux. par une méthode conforme à la doctrine du Bouddhisme mahayâniste elle vise à élever l'homme à la situation la plus haute : l'homme par excellence.
QUESTIONS ET REPONSES
Père B.de Give :
Je crois être de nouveau l'interprète de l'assemblée en remerciant le Vénérable pour son exposé qui unit deux qualités rarement réunies : d'un côté une connaissance doctrinale assurée, très remarquable, l'essentiel du Théravâda et du Zen, et l'autre, des confidences personnelles, à certains moments, comme cette méditation au cours du ruisseau et cette croissance des bambous qui sont certainement pour nous des expériences illuminantes.
Je ferai cette remarque personnelle : j'ai vécu six ans à Sri-lanka sans connaître très bien le Bouddhisme Théravâda, et je m'attendais à quelque chose, disons le mot, d'assez sec. Souvent les livres sur le Bouddhisme primitif peuvent être très clairs, mais un peu raides ! Il est certain que nous n'avons pas du tout eu cette impression-là aujourd'hui. Une fois que ce Bouddhisme est vécu, je crois qu'il est fort différent de la doctrine purement abstraite. D'autre part il me semble qu'il est un peu rare aussi, du moins dans nos pays, de rencontrer un pratiquant qui joigne ces deux disciplines du Théravâda ou du Zen. On a souvent l'un ou l'autre, si bien que nous avons assisté à une conférence peu fréquente. Et lorsque nous aurons les actes du colloque nous devons, comme le disait le Vénérable, lire lentement. Le Théravâda est très minutieux dans les analyses, les subdivisions, et le Vénérable lui-même l'a fait, on saute certaines subdivisions qui ne sont pas assimilables à l'audition directe.
J'ai une question personnelle : Il y a ce texte qui vient du Bouddha lui-même : S'il n'y avait pas un non-né, un non-créé. . .il n'y aurait pas non plus de possibilité d'échapper à l'impermanence. Vous savez que lorsque les chrétiens lisent ce texte, ils sont extrêmement émus car derrière ce non-né, ce non-créé qui est la source de tout, ils mettent le nom de Dieu. Vous connaissez cette interprétation.
Vénérable Thich Thiên Châu :
Hier je vous ai raconté une histoire, vous n'étiez pas là, qui m'est arrivée en Allemagne récemment. Il y avait une querelle pour savoir si les bouddhistes croyaient en Dieu ou non. Et j'ai répondu que le bouddhiste croit en Dieu, si le Dieu auquel il croit est impersonnel ; Dieu est pour les bouddhistes impersonnel. Ce que le texte exprime clairement : le Bouddha dit qu'il y a un non-né, c'est l'infini, c'est la vérité, c'est difficile à réaliser . . . c'est clair; Je pense que c'est la vérité absolue, et cela tout le monde l'accepte. Que fait-on maintenant ? Il faut que chaque religion, selon sa tradition, perfectionne sa pratique, c'est bien. Il faut échanger les espérances, les points de vue. Récemment il y a eu des querelles religieuses même en Inde. Ils se tuent les uns les autres pour des choses ordinaires, mondaines, secondaires ; on ne saisit pas les choses essentielles comme la vérité absolue. Je suis ému aussi que des chrétiens et des bouddhistes se réunissent ici pour discuter des choses qu'on a pendant longtemps cachées, on s'est tu, on ne discutait pas. C'est pour moi quelque chose de merveilleux. Je dis qu'il y a quelque chose comme le non-né, Dieu dans votre vocabulaire, Dharma dans le mien, Dieu impersonnel, c'est la réalité absolue. Si on lit les textes et les paroles de sages comme Bouddha, on trouve des choses semblables. Mais si on s'oriente vers l'extérieur, on trouve les différences, et on se querelle, et cela ne va pas pour nous qui sommes religieux.
Intervenante :
Lorsque vous parlez de la respiration entre l'expiration et l'inspiration, à ce moment où on est vide, ce moment rapide où on est là où on pourrait toujours être, ce moment sans pensée qui nous amène peut-être un jour au Nirvâna. . . Entre l'expiration et l'inspiration il y a un moment vide. . .
Vénérable Thich Thiên Châu :
Je n'ai pas lu tout le texte complet. On respire au commencement pour arriver à la concentration par l'attention au souffle, et après en expirant et en inspirant on médite sur quelque chose, on approfondit la réalité comme l'impermanence, l'insubstantialité et la souffrance. On arrive à la réalité des choses. La respiration et la concentration seules ne font pas la méditation, notamment la méditation Zen.
Intervenante :
C'est un appui, qui un jour n'aura plus besoin d'être ?
Vénérable Thich Thiên Châu :
Par exemple, si Lama Denis veut construire une micro centrale hydro-électrique ici, il devra amener l'eau dans un tube, puis la faire passer dans une turbine et c'est la force de l'eau qui donnera de l'électricité : c'est la concentration. On utilise donc la force de l'eau pour qu'elle donne de l'électricité. Tel est notre mental avec ses deux aspects : d'abord la concentration sur le mental libère de la force, il faut ensuite utiliser cette force pour arriver à l'éveil. Il ne faut pas mettre l'eau dans le tube, puis la laisser couler, sans qu'elle donne un résultat. Cela ne se conçoit pas ainsi. Il y a deux aspects dans la méditation, la tranquilité et la sagesse.
Père Louis Verdeyen :
Vénérable, vous avez fait la distinction entre la doctrine du Bouddha lui-même et les écoles postérieures. D'une certaine manière nous avons cela dans le christianisme aussi, il y a les écritures canoniques et la tradition postérieure et il y a toute une conception du développement de la doctrine. Est-ce que cela existe dans le Bouddhisme?
Vénérable Thich Thiên Châu :
J'ai dit qu'il y avait à ce jour trois sortes de Bouddhisme ; il y a le Bouddhisme originel enseigné par Bouddha lui-même, pratiqué au temps de Bouddha ; puis une autre sorte de Bouddhisme développé mais limité, lié aux textes et à la tradition ; la troisième est le Bouddhisme largement développé aujourd'hui, qu'on appelle Mahayana où l'on trouve au moins dix, quinze écoles de zen. Le développement existe dans le Bouddhisme. Il y a des orthodoxes qui condamnent le Bouddhisme développé. Je ne pense pas que ce soit hérétique, le Bouddhisme a voulu s'adapter aux circonstances, à la vie culturelle, à la civilisation de chaque peuple. Mais je pense que tous les bouddhistes reconnaissent les quatre nobles vérités, l'existence du Nirvâna, la vacuité. . .
Intervenant :
La vierge existe-t-elle dans le Bouddhisme ?
Vénérable Thich Thiên Châu :
Dans le Bouddhisme originel il n'y a pas de vierge, mais devant les sentiments religieux, devant la nécessité est apparu Avalokitéshvara, devenu Kouan-Yin en Chine et Kwannon au Japon, Tara au Tibet, sous forme féminine. C'est un bodhisattva qui pense toujours à aider les êtres. Je pense que c'est une manifestation de sentiments. Au commencement le Bouddhisme était un peu sec, le Bouddha était un sage très sévère ! C'est pour cela qu'il faut avoir des saints comme Avalokitéshvara, Tara, pour stimuler les sentiments religieux, pour stimuler l'aspiration des êtres. C'est pour cela que dans le Bouddhisme développé il y a des statues, on ne pouvait pas trouver ces sortes de statues en Inde, Avalokitéshvara en Inde avait une forme masculine. Alors qu'en Chine, au Japon et au Viêt-nam il y a des Bodhisattvas de la compassion sous une forme féminine.
Conférence faite à Insitut Karmaling (France)1984 et à Instituto di science Religiose in Trento (Italie) 1987 par Vénérable Thich Thiên Châu, Docteur-ès-lettres
Thich Thiên Châu