Héléna a écrit : ↑14 févr.22, 05:47
Bonjour Tiresias
Juste quelques petites questions afin de mieux vous connaitre: Pourquoi vous être inscrit sur ce forum ?
Bonjour à vous, Héléna.
Merci pour les questions.
Je suis tombé sur ce forum en quête de commentaires sur la traduction de la Bible exécutée par André Chouraqui et publiée chez Desclée de Brouwer. Cet ouvrage m'a toujours paru singulier et de valeur littéraire certaine. Je voulais tout simplement explorer ce qu'en pensait autrui. Le livre comme tel n'est qu'une traduction parmi d'autres qui prennent place dans les tablettes de ma bibliothèque personnelle. Y côtoient la NIV, la NRSV et autres KJV (ainsi que des traductions, aussi bien en anglais qu'en français, des Écritures Saintes des autres grandes religions du monde).
Héléna a écrit : ↑14 févr.22, 05:47
Sur la base de quoi marchez-vous dans ce monde ? Uniquement sur la base de votre conscience ?
Posée ainsi, l'on pourrait possiblement croire que la question repose sur la proposition implicite voulant que la conscience, à elle seule, ne soit un instrument suffisant pour être en relation avec le Sacré. Ce avec quoi je suis en désaccord, tel que je l'explique plus bas.
Déjà étant tout jeune, je me retrouvais souvent insatisfait de ce que l'on me disait être l'Ordre des Choses, de ce que l'on m'offrait comme explications sur la nature de l'univers et sur l'essence d'une certaine réalité dite consensuelle. Encore à l'école secondaire, je cherchais à trouer les apparences. Mes intérêts pour ce boulot de l'esprit m'ont inévitablement mis en contact avec la pensée de celles et ceux qui se sont préoccupés du sujet. Ceci se déroulant dans les années soixante-dix, il était quasiment garanti que j'allais tomber sur des penseurs et interprètes du Nouvel Âge tels Jacques Languirand, Dan Millman, Fritjof Capra, Richard Bach, Alan Watts, et autres Placide Gabourys (avec qui j'ai eu jadis la chance de discuter lors d'une conférence tenue à l'UQaM).
Pour sûr, c'était bien beau tout çà, mais j'avais peine à concilier toutes ces belles idées avec ce que l'on m'avait enseigné en l'Église catholique romaine de ma tendre enfance. (J'avais cessé d'aller à la messe le jour où mes parents m'ont grondé pour avoir ruiné mes habits du dimanche, ayant, comme je l'avais fait, préféré d'aller jouer dans le parc avoisinant le lieu de culte en compagnie de mon petit frère plutôt que de faire encore une fois la statue pieuse, immobilisée par le discours insensé et monotone du monsieur vêtu d'une robe blanche qui ronronnait en avant de la salle. Il faut bien que jeunesse se passe, j'imagine!)
Donc, dis-je bien, à l'âge où mes camarades de classe se vouaient à la musique de l'époque et aux bédés (entre autres abandons à l'amusement), je me penchais sur les propos qui donnaient libre essor à ma soif de sens et à ma quête de vérité. Ce fut une époque charnière de ma vie. Mes lectures m'ont fait découvrir les sciences, la philosophie (occidentale, on s'entend), les arts, la littérature et, en lien avec votre question, les grands textes sacrés du monde. J'ai plongé, et me suis abreuvé, aux sources de nos conceptions du monde et de la réalité. Je m'y occupe encore aujourd'hui, quelques quarante ans plus tard.
Entre le secondaire et le CÉGEP, j'ai voyagé. Au Canada, aux États-Unis, en Europe. J'ai cherché à connaître le monde hors les textes qui en faisaient le portrait. De retour, je suis allé m'installer dans l'ouest canadien. La beauté naturelle de cet environnement a favorisé chez moi le développement d'une pratique spirituelle menant éventuellement à une sorte d'expérience (pour un bref instant au sein d'un insondable infini) que plusieurs pourraient qualifier de conversion religieuse. Mes amis chrétiens affirmaient d'ailleurs à l'époque qu'il s'agissait là d'une seconde naissance, n'aurais-je que voulu plus ardemment inviter leur Seigneur en mon coeur. Mes amis bouddhistes, eux, parlaient de l'atteinte du nirvana. Quoiqu'il en soit, cette métanoia a eue, chez moi, deux effets positifs dont les ondes de choc se font encore ressentir en mon sein: d'une part, j'ai finalement su comprendre que l'Amour (avec un grand A) n'est pas un objet mais bien un état d'être et, d'autre part, j'ai vu ma curiosité envers l'univers (et envers la place que l'humain y occupe) s'attiser de plus belle.
Après avoir retourné les retombées de cet Évènement (tel que j'en suis venu à nommer la chose) comme un caillou poli au sel marin et au soleil, je suis retourné aux études pour essayer de concrétiser mes questionnements. Je suis retourné à Montréal et, à peine ma trentaine entâmée, me suis inscrit au programme en études religieuses à l'Université Concordia avec une spécialisation dans les traditions asiatiques (nommément, l'hindouisme, le bouddhisme et le taoisme, entre autres) de pair avec une mineure en philosophie occidentale. Pendant trois ans, j'ai côtoyé individus et pensées issus d'une Terre plus immense que je ne la supposais auparavant, même en tenant compte de toutes mes lectures à priori. L'effet fut salutaire. Histoire, mythologie, anthropologie, littérature, philosophie, physique, astronomie, biologie, et j'en passe: tous des sujets dont l'étude plus poussée me porte maintenant à être d'avis que la religion est petite... et la Religion est grande. Ce qui importe, à mon oeil, c'est que le dialogue demeure ouvert entre les âmes et entre les esprits en quête de sens.
Héléna a écrit : ↑14 févr.22, 05:47
Vous dites êtes un athée: Est ce que c'est parce que vous refusez de croire en un Dieu Créateur ou bien tout simplement, personne ne vous l'a encore présenté.
Oh, on me l'a souvent présenté--peut-être trop souvent, en toute franchise--ce Dieu Créateur. Peut-être aurais-je moins de mal à le considérer si la présentation de Celui-ci n'était pas le plus souvent sertie d'une comdanation sous-jacente (de la sorte: "Si tu refuses de croire en mon Dieu, tu brûleras en enfer!" Là-dessus, je passe.)
Oui, je me considère athée mais, somme toute, un athée "mou" (c'est-â-dire, pour qui les conversations portant sur le Sacré ont leur place dans l'expérience humaine). Pour reprendre la thèse d'un Christopher Hitchens ou d'un Richard Dawkins, nous sommes toutes et tous des athées, même les chrétiens et les musulmans, quand il est question de l'existence d'un Zeus, d'un Thor, d'un Ahoura Mazda ou d'une Cybèle et être athée ne consiste qu'en le fait de ne croire qu'en un dieu de moins que nos voisins.
J'ai souvent des entretiens avec des croyants qui cherchent â affirmer que les athées "ne croient en rien" et pourtant rien n'est plus faux! Je crois en la beauté et la splendeur du monde naturel; je crois en la merveille qu'est le fait d'être vivant et de se voir berçé avec amour par l'univers qui m'a mis au monde; je crois en la bonté foncière des êtres humains tout aussi énervés fussent-ils par surcroit de douleur et d'anxiété existentielles; je crois en notre capacité, en tant qu'espèce, de pouvoir saisir avec toujours plus d'adresse ce qui d'emblée parait échapper à nos sens et â notre entendement; je crois en bien des choses. Mais les anciennes divinités tribales nées en des ères où le surnaturel était prisé ne sont pas de ce nombre. Brûlerai-je peut-être donc en enfer pour avoir épousé de telles opinions? C'est possible. Si tel est le cas, je me contenterai de reconnaître que tel est l'Ordre des Choses et qu'il serait spirituellement malhonnête de ma part de broncher. Tel Socrate, je boirai fièrement la cigüe!
Au rajout:
Rien de mal à poser des questions simples (même si les réponses à ces questions méritent d'être détaillées) ou de "parler comme une toute petite", Héléna! Bien au contraire! La clarté intellectuelle est une vertu.
Par "bouddhisme philosophique" j'entend les principes psychologiques qui sous-tendent cette religion sans que je ne me sente pour autant être obligé de souscrire à ses mythologies et à pratiquer ses rituels. Ces principes rejoignent d'ailleurs une bonne partie de la pensée occidentale sur l'existence et, le cas échéant, sur la nature et le rôle du Soi. D'une certaine façon, et si on se met à l'écoute de l'univers, l'univers nous adressera la parole. Qui plus est, l'univers sera en mesure d'agir à travers nous. Il ne s'agit que d'accorder à l'égo la place qui lui est propre. L'astronome américain Carl Sagan soutenait que nous sommes de la poussière d'étoiles ayant prise conscience d'elle-même. Je crois dur comme fer en cette vérité.
C'est d'ailleurs cette idée qui m'a attiré vers le monisme védantique dont je parle plus haut. La védanta (dite "advaita" ou non-dualiste), école philosophique de l'Inde ancienne, soutient la thèse voulant que nous ne soyions en quelque sorte que le véhicule (pour ainsi dire) au moyen duquel le Sacré se permet de faire connaissance et de s'entretenir avec lui-même. De rêver le monde, en somme, tout en nous enjoignant de nous prêter à lui comme figurants sur la scène. C'est une vue poétique, certainement, mais c'en est une qui sert à nous aider à discerner le fil commun nous unissant les uns aux autres ainsi qu'à tout ce qui vit et à tout ce qui existe.
La panthéisme, lui, peut se définir comme étant la notion que le Sacré (ou le Divin ou l'Absolu ou Dieu, quelle que soit la manière dont on veut définir le numineux) soit immanent en la réalité. Que l'Ordre des Choses soit essentiellement divin et que l'on puisse apercevoir, si l'on y prête bien attention, le visage et la main du Dîeu intérieur aussi bien sous la roche qui jonche le sol du bosquet que dans le coeur de la Voie Lactée. Pour ne rien dire de l'âme d'autrui (rejoignant ainsi la thèse mise de l'avant dans les écrits védantiques tels les Oupanishads).
Au final, je pourrais plutôt me qualifier d'athée en égard aux religions abrahamaniques (issues comme elles le sont d'un coin du monde où le soleil, ce dieu tout là-haut dans la voûte céleste, avait droit de regard sur la vie et la mort des hommes, et comme plutôt croyant en égard aux spiritualités orientales, juchées comme elles le sont sur l'harmonie entre nature et société et sur la primauté de la vie intérieure.
On dit que Jésus, sur la croix, aurait supplié le Sacré de ne point l'abandonner. Le Bouddha, lui, aurait sur son lit de mort exhorté ses disciples à ne se fier que sur leurs propres lumières, à ne point adhérer aux idées qu'ils n'auront pas eux-mêmes passé au crible de leur propre vécu et de leur propre entendement. Des deux options, je préfère la seconde.
Si vous avez eu la patience, Héléna, de lire cette mini-biographie jusqu'au bout, bravo! Vous méritez la canonisation! J'espère tout de même que sa lecture vous ait été agréable.
En guise de conclusion (et de réponse brève à votre question originale): oui, je marche en ce monde uniquement sur la base de ma conscience. Ceci dit, je m'efforce de faire en sorte que le mur entre ma conscience et la Conscience dite Universelle demeure poreux.
Sur ce, je vous souhaite une belle semaine!