Rendez à César ce qui est à César
Posté : 24 mars17, 18:23
"Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"
Pour beaucoup, il s'agit d'ici d'une parole prononcée par le Christ qui consacre la laïcité. Cette parole de Jésus est rapportée par 3 évangiles synoptiques, ceux de Luc 20[20-26], Marc 12 [13-17] et Matthieu 22 [15-22].
[Extrait biblique]
"S'étant postés en observation, (les scribes et les grands prêtres) envoyèrent à Jésus des indicateurs jouant les justes; ils voulaient le prendre en défaut dans ce qu'il dirait, pour le livrer à l'autorité et au pouvoir du gouverneur. Ils lui posèrent la question: Maître, nous savons que tu parles et enseignes de façon correcte, que tu es impartial et que tu enseignes les chemins de Dieu selon la vérité. Nous est-il permis oui ou non de payer l'impôt à César? Pénétrant leur fourberie, Jésus leur dit: "Faites-moi voir une pièce d'argent. De qui porte-t-elle l'effigie et l'inscription ? Ils répondirent "De César". Il leur dit "Eh bien, rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"
Tous les commentateurs s'unissent à dire que Jésus évite de tomber dans un piège savamment tendu par ses adversaires:
1) S'il répond non à ses adversaires, il peut être dénoncé aux autorités romaines pour incitation à la rébellion.
2) S'il répond oui à ses adversaires, il sera considéré comme un traître collaborant avec les romains qui occupaient la Judée.
La divergence entre les commentateurs apparaît quant à la signification à donner à la phrase "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"
1) Pour beaucoup, cette parole est la preuve indiscutable que Jésus fait la distinction entre le pouvoir temporel profane (ici la loi romaine) et le monde spirituel et de la croyance (loi religieuse)
2) Or une autre interprétation est possible, plus radicale et plus lourde de sens. Cette phrase serait un message révolutionnaire car il énoncerait aux pharisiens et à leurs partisans, que pour pouvoir vous libérer vous même de la domination romaine comme ils le prétendent commencez à vous libérer du denier de César que vous avez dans vos bourses et qui vous lient à son autorité. Autrement dit, boycotter et rejeter l'utilisation de la monnaie romaine, symbole de son pouvoir politique en Judée en la renvoyant à son propriétaire à Rome. Comment vouloir combattre l'occupation romaine, alors que tous, même les plus hostiles à cette occupation, utilisent la monnaie romaine dans tous les actes de la vie quotidienne ?
Interprétation du boycott plus pertinente encore lorsqu'on la confronte à un autre épisode célèbre des évangiles, celui des marchands du temple, où il est dit que Jésus arrivant à Jérusalem : "... trouva dans la cour du temple, des marchands de bœufs, de brebis et de pigeons, ainsi que des changeurs d'argent, installés à leurs comptoirs. Alors il prit des cordes, en fit un fouet, et les chassa tous de l'enceinte sacrée avec les brebis et les bœufs; il jeta par terre l'argent des changeurs et renversa leurs comptoirs" [Evangiles: Jean 2( 13-22)]
Pour bien comprendre ce passage, il est nécessaire de comprendre que les changeurs d'argent étaient utiles pour les juifs car, à l'intérieur du temple de Jérusalem, seul l'argent Juif (considéré comme pur) pouvaient être utilisés dans l'enceinte sacrée pour les diverses obligations rituelles (sacrifices d'animaux...). Tout juif voulant faire des offrandes en sacrifiant une bête et n'ayant pas de monnaies d'origine juive devait changer son denier romain contre des pièces frappées par des juifs, pour pouvoir acheter bovins, ovins et volailles destinés aux sacrifices. "Sur les monnaies, nous avons des données talmudiques assez précises. Au commencement du premier siècle, les monnaies proprement hébraïques dataient du temps des Macchabées. En outre, on se servait de monnaies grecques et de monnaies romaines. Mais l'argent juif pouvait seul être employé dans le temple; de là la nécessité absolue des changeurs: Ceux ci au lieu de se tenir hors des portes, s'installaient sans aucun droit dans la première cour. La denier d'argent montré à Jésus est une pièce romaine car le zouz juif ne portait pas l'image de l'Empereur". [Edmond Louis Stapper, "La Palestine au temps de Jésus-Christ d'après le Nouveau Testament, Paris, p.204]
Ce denier d'argent romain sur lequel se trouvait "l'effigie de César" (image païenne dans la tradition orthodoxe juive" ne pouvait que heurter Jésus voulant rétablir l'orthodoxie d'un culte purement monothéiste. De plus, on apprend que l'inscription "Divus Augustus" signifiant le divin Auguste était inscrit sur les deniers romains, symbole du culte impérial divinisant l'empereur romain.
Jérôme Cottin, théologien, précise: "Depuis Cesar et Auguste, une aura de divinité s'est développée autour de l'Empereur. Celui-ci n'est pas dieu (deus) mais divin "Divus". Cependant, il exprime une volonté grandissante de se faire passer pour un dieu. Auparavant, l'empereur était divinisé par apothéose après sa mort. Une évolution se fait, au terme de laquelle, l'empereur pouvait être divinisé de son vivant. Alors qu'en Occident, il fallait être prudent, le nom et l'histoire d'un empereur jugé indigne pouvant être effacé, en Orient on est très facilement enclin à diviniser l'empereur de son vivant. L'empereur représente les dieux, il est appelé "fils de dieu" ou "proche de dieu". [Jérôme Cottin, Jésus en écriture d'image: première représentation, Edition Labor et Fides, Genève, 1990, P.62]
Dès lors qu'on combine des éléments historiques, religieux, sociopolitiques, on comprend beaucoup mieux la réaction de Jésus devant cette ignominie païenne, en expulsant les changeurs d'argent du temple sacré. La corrélation devient évidente entre cet acte voulant débarrasser la cour du temple les marchands souillant l'enceinte sanctifiée de leurs monnaies païennes et la parole donnée par Jésus aux pharisiens de rendre la monnaie de César à César. Au lieu d'appeler ouvertement et dangereusement à ne pas s'acquitter de l'impôt romain, Jésus en demandant le boycott de cette monnaie fait beaucoup mieux:
1) Il préserve la pureté des transactions liées aux devoirs culturels
2) Il résiste pacifiquement sans créer de rapport défavorable aux juifs
3) Il remet en cause la domination politique et économique de Rome
Telle est l'interprétation la plus vraisemblable de la réponse de Jésus si on la replace dans son contexte historique. Un christ n'a donc pas cautionné la laïcité et ce à qui on voudrait imposer la première interprétation, très répandue, trouveront dans cette explication une réponse argumentée. Quant à ceux qui trouveraient des faiblesses dans cette interprétation, je suis à l'écoute.
Pour beaucoup, il s'agit d'ici d'une parole prononcée par le Christ qui consacre la laïcité. Cette parole de Jésus est rapportée par 3 évangiles synoptiques, ceux de Luc 20[20-26], Marc 12 [13-17] et Matthieu 22 [15-22].
[Extrait biblique]
"S'étant postés en observation, (les scribes et les grands prêtres) envoyèrent à Jésus des indicateurs jouant les justes; ils voulaient le prendre en défaut dans ce qu'il dirait, pour le livrer à l'autorité et au pouvoir du gouverneur. Ils lui posèrent la question: Maître, nous savons que tu parles et enseignes de façon correcte, que tu es impartial et que tu enseignes les chemins de Dieu selon la vérité. Nous est-il permis oui ou non de payer l'impôt à César? Pénétrant leur fourberie, Jésus leur dit: "Faites-moi voir une pièce d'argent. De qui porte-t-elle l'effigie et l'inscription ? Ils répondirent "De César". Il leur dit "Eh bien, rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"
Tous les commentateurs s'unissent à dire que Jésus évite de tomber dans un piège savamment tendu par ses adversaires:
1) S'il répond non à ses adversaires, il peut être dénoncé aux autorités romaines pour incitation à la rébellion.
2) S'il répond oui à ses adversaires, il sera considéré comme un traître collaborant avec les romains qui occupaient la Judée.
La divergence entre les commentateurs apparaît quant à la signification à donner à la phrase "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"
1) Pour beaucoup, cette parole est la preuve indiscutable que Jésus fait la distinction entre le pouvoir temporel profane (ici la loi romaine) et le monde spirituel et de la croyance (loi religieuse)
2) Or une autre interprétation est possible, plus radicale et plus lourde de sens. Cette phrase serait un message révolutionnaire car il énoncerait aux pharisiens et à leurs partisans, que pour pouvoir vous libérer vous même de la domination romaine comme ils le prétendent commencez à vous libérer du denier de César que vous avez dans vos bourses et qui vous lient à son autorité. Autrement dit, boycotter et rejeter l'utilisation de la monnaie romaine, symbole de son pouvoir politique en Judée en la renvoyant à son propriétaire à Rome. Comment vouloir combattre l'occupation romaine, alors que tous, même les plus hostiles à cette occupation, utilisent la monnaie romaine dans tous les actes de la vie quotidienne ?
Interprétation du boycott plus pertinente encore lorsqu'on la confronte à un autre épisode célèbre des évangiles, celui des marchands du temple, où il est dit que Jésus arrivant à Jérusalem : "... trouva dans la cour du temple, des marchands de bœufs, de brebis et de pigeons, ainsi que des changeurs d'argent, installés à leurs comptoirs. Alors il prit des cordes, en fit un fouet, et les chassa tous de l'enceinte sacrée avec les brebis et les bœufs; il jeta par terre l'argent des changeurs et renversa leurs comptoirs" [Evangiles: Jean 2( 13-22)]
Pour bien comprendre ce passage, il est nécessaire de comprendre que les changeurs d'argent étaient utiles pour les juifs car, à l'intérieur du temple de Jérusalem, seul l'argent Juif (considéré comme pur) pouvaient être utilisés dans l'enceinte sacrée pour les diverses obligations rituelles (sacrifices d'animaux...). Tout juif voulant faire des offrandes en sacrifiant une bête et n'ayant pas de monnaies d'origine juive devait changer son denier romain contre des pièces frappées par des juifs, pour pouvoir acheter bovins, ovins et volailles destinés aux sacrifices. "Sur les monnaies, nous avons des données talmudiques assez précises. Au commencement du premier siècle, les monnaies proprement hébraïques dataient du temps des Macchabées. En outre, on se servait de monnaies grecques et de monnaies romaines. Mais l'argent juif pouvait seul être employé dans le temple; de là la nécessité absolue des changeurs: Ceux ci au lieu de se tenir hors des portes, s'installaient sans aucun droit dans la première cour. La denier d'argent montré à Jésus est une pièce romaine car le zouz juif ne portait pas l'image de l'Empereur". [Edmond Louis Stapper, "La Palestine au temps de Jésus-Christ d'après le Nouveau Testament, Paris, p.204]
Ce denier d'argent romain sur lequel se trouvait "l'effigie de César" (image païenne dans la tradition orthodoxe juive" ne pouvait que heurter Jésus voulant rétablir l'orthodoxie d'un culte purement monothéiste. De plus, on apprend que l'inscription "Divus Augustus" signifiant le divin Auguste était inscrit sur les deniers romains, symbole du culte impérial divinisant l'empereur romain.
Jérôme Cottin, théologien, précise: "Depuis Cesar et Auguste, une aura de divinité s'est développée autour de l'Empereur. Celui-ci n'est pas dieu (deus) mais divin "Divus". Cependant, il exprime une volonté grandissante de se faire passer pour un dieu. Auparavant, l'empereur était divinisé par apothéose après sa mort. Une évolution se fait, au terme de laquelle, l'empereur pouvait être divinisé de son vivant. Alors qu'en Occident, il fallait être prudent, le nom et l'histoire d'un empereur jugé indigne pouvant être effacé, en Orient on est très facilement enclin à diviniser l'empereur de son vivant. L'empereur représente les dieux, il est appelé "fils de dieu" ou "proche de dieu". [Jérôme Cottin, Jésus en écriture d'image: première représentation, Edition Labor et Fides, Genève, 1990, P.62]
Dès lors qu'on combine des éléments historiques, religieux, sociopolitiques, on comprend beaucoup mieux la réaction de Jésus devant cette ignominie païenne, en expulsant les changeurs d'argent du temple sacré. La corrélation devient évidente entre cet acte voulant débarrasser la cour du temple les marchands souillant l'enceinte sanctifiée de leurs monnaies païennes et la parole donnée par Jésus aux pharisiens de rendre la monnaie de César à César. Au lieu d'appeler ouvertement et dangereusement à ne pas s'acquitter de l'impôt romain, Jésus en demandant le boycott de cette monnaie fait beaucoup mieux:
1) Il préserve la pureté des transactions liées aux devoirs culturels
2) Il résiste pacifiquement sans créer de rapport défavorable aux juifs
3) Il remet en cause la domination politique et économique de Rome
Telle est l'interprétation la plus vraisemblable de la réponse de Jésus si on la replace dans son contexte historique. Un christ n'a donc pas cautionné la laïcité et ce à qui on voudrait imposer la première interprétation, très répandue, trouveront dans cette explication une réponse argumentée. Quant à ceux qui trouveraient des faiblesses dans cette interprétation, je suis à l'écoute.