C'est une bonne question et j'ai tenté une réponse (tant bien que mal, de toute évidence). La réplique de ronronladouceur:
Je reviendrai sur le Jacquard cité plus bas. D'abord, Dawkins.ronronladouceur a écrit : ↑15 févr.22, 06:53 En fait, je ne suis pas sûr de t'avoir compris. Ma question visait plus particulièrement le mot ''probablement' de Dawkins qui, à mon sens, en faisait un agnostique (mou, si on veut)...
D'ailleurs un peu dans le même esprit, Albert Jacquart répondait à une question :
- Les sages, scientifiques, religieux ou philosophes ne devraient-ils pas tous être agnostiques, c’est-à-dire s’avouer incapables de répondre à la question des fins dernières et du divin?
- Oh! Agnostiques, je pense qu'au fond ils le sont tous ! Comment voulez-vous savoir en ces matières?
En entretien avec Rowan Williams, archévèque de Cantorbéry et primat de l'Église anglicane, Dawkins aurait affirmé ne pouvoir être certain à 100% de l'inexistence d'un Dieu Créateur lors d'une conférence tenue à Oxford le 23 février 2012 intitulée La nature de l'humanité et la question de son origine première.
Le commentaire lui aura attiré moqueries et railleries de la part de plusieurs membres de la communauté athée (par "communauté" j'entends l'ensemble des athées se disant militants). R. Dawkins serait-il donc un agnostique dans le placard? Un traître de l'athéisme? Un simple bouffon utile pour les endurcis de la non-croyance?
Je ne le pense pas. Dans ma réponse première à ronronladouceur, j'avais fait remarquer que Richard Dawkins est d'abord et avant tout un homme de science et que, en tant que tel, il ne serait pas de mise pour lui de sacrifier la pierre angulaire de la science qu'est le scepticisme au profit d'un dogmatisme peu illuminant. Le sceptique doute, doute qui le mène à poser des questions. Il n'en est aucunement pour le dogmatique qui, lui, affirme avoir trouvé réponse, faisant ainsi fi de toute nécessité de continuer à s'interroger ou à interroger le monde. Il s'agit bien là de deux façons distinctes de concevoir l'acquisition des connaissances. Et de deux objets, de surcroît: connaissances du monde réel pour le biologiste, connaissance des fruits de l'arbre du bien et du mal pour le prélat (objets que le paléontologue américain Stephen Jay Gould avait autrefois nommé "non-overlapping magisteria" c'est-à-dire, des champs d'étude mutuellement exclusifs).
En dépit des affirmations d'un Sam Harris--cet autre penseur furieux féru de l'athéisme contemporain--la science ne peut guère empiéter sur les orteils des moralisateurs pour qui la vie et le monde sont un don de Dieu. En revanche, les soldats de la morale n'ont mot à dire quant à la nature et au fonctionnement du monde réel (puisqu'ils puisent dans d'anciens textes à portée mythologique pour toute évidence).
Bien entendu, la science, comme toute entreprise humaine, n'est pas neutre. L'univers aura tendance à nous répondre en fonction des questions qu'on lui pose, il va de soit. En ce même sens, aucune moralité, qu'elle soit religieuse ou philosophique (ou les deux à la fois) ne peut se targuer d'être objective, étant comme elle l'est, elle aussi, fruit d'une entreprise humaine. Ainsi, les prêtres, les rabbins et les imams ont tort de piler sur les orteils de celles et ceux qui sont en recherche de savoirs conformes à la réalité.
Et Dawkins dans tout çà? Il fait preuve d'une certaine humilité (en dépit de l'aggressivité intellecthelle qu'on lui connait, seul surpassé en cela par l'intarissable Christopher Hitchens). Dawkins, en tant qu'homme de science, dira toujours "tel est l'Ordre des Choses... au mieux de notre connaissance actuelle".Ce bémol est important car il est la source de toute démarche scientifique, démarche qui fera dire à une chercheure: "Comment pouvons-nous approfondir nos connaissances face à tel ou tel objet? Car le doute, aussi infime fusse-t-il, néanmoins demeure". Et c'est là la différence entre un archévèque anglican et un biologiste. Ce premier affirme détenir la vérité alors que le second--pour qui toute certitude est toujours conditiennelle, liée comme elle l'est à la meilleure évidence que l'on détienne--affirmera plutôt que la quête doit continuer. Un scientifique se meut dans des eaux probabilistes, contrairement au religieux pour qui l'Église est un roc immuable (et hop! d'un revers de la main, je balaye les dires de toute personne voulant affirmer que la science soit "une nouvelle religion"). Que Dawkins, tout athée qu'il soit, laisse la porte ouverte à l'idée d'un Dieu Créateur de l'univers n'a rien de bien surprenant. Il est, encore une fois, homme de science. La meilleure évidence, dira-t-il, nous pointe vers la probabilité qu'un tel Être, en fait, n'existe pas.
Passons maintenant à Jacquard (monsieur que j'adore autant pour ses idées que pour son implication sociale).
Il y ici, j'en suis à 99% certain, erreur en incluant scientifiques dans le groupe de celles et ceux qui "devraient s'avouer incapables de répondre à la question" posée. Lesdites fins dernières ainsi que l'appréhension du Divin font déjà objets d'études et ce, depuis longtemps. Bien entendu, si l'on entend par "fins dernières" les apocalypses en tout genre prônées par les croyants et détaillées dans maints écrits religieux, les scientiques auront sûrement intérêt à se taire (sauf peut-être pour ces savantes et ces savants qui font du fait religieux un objet d'études au inscrit sein de l'histoire, de la sociologie, de l'anthropologie, de la psychologje et de la neurologie). Outre ceci, les scientifiques ont les yeux rivés ailleurs que sur les diverses eschatologies liées aux dogmes religieux.Albert Jacquard a écrit :Les sages, scientifiques, religieux ou philosophes ne devraient-ils pas tous être agnostiques, c’est-à-dire s’avouer incapables de répondre à la question des fins dernières et du divin?
Et voici, partant, la différence entre une personne qui se dit agnostique et l'une qui refuse de s'identifier comme telle. L'agnostique dira: "On n'est pas, nous les humains, proprement outillés pour en savoir davantage sur notre place dans l'univers et sur le sort que cet univers nous réserve". La scientifique dira plutôt: "On n'est pas, nous les humains, couramment proprement outillés pour être complètement certains de notre place dans l'univers et du sort que cet univers nous réserve, mais la quête continue de plus belle car il va sans dire que l'univers et la place que l'on y occupe sont foncièrement connaissables". De nier la chose revient à donner ses lettres de noblesse à un obscurantisme où la raison s'hypertrophie.
Bon, je me dis athée, mais tout de même athée mou, en ce sens que je ne suis pas militant pour un sou. J'éprouve un plaisir intellectuel fou à zieuter les millions de façons qu'utilisent les êtres humains désireux de se brancher à l'univers pour donner sens à leur être. Et çà, ça inclut "l'agnose", on s'entend.
Encore aujourd'hui, il fait beau et chaud. Pas un nuage dans le ciel. Je m'en vais me promener au bord de la mer. Peut-être entendrai-je dans le ressac les battements de coeur du Dieu Créateur de l'univers?
C'est possible.