Troubaadour a écrit :
La compréhension de ces notions est aussi un enjeu idéologique important pour la république (française) et la laïcité.
Un candidat à l'élection présidentielle a dit que l'ISlam est incompatible avec la république du fait de ces 3 piliers. Je ne partage pas les opinions de ce gugus, et dans ma tete j'etais sec de réponse ne connaissant pas assez bien ces 3 notions.
Je cherche juste à mieux comprendre ses notions. Je ne cherche pas à savoir en quoi elles sont bonnes ou néfastes pour la république mais à comprendre ce qu'elles signifient.
A premiere vue d'apres Erriep ces notions sont floues et peu directives laissant libre cours à l'interprétation. Est ce exact ?
Le problème,
Troubadour, est qu'il n'existe pas d'organisation religieuse centralisée en islam sunnite, mais seulement des
élites religieuses traditionnelles détentrices d'une certaine légitimité et plus ou moins institutionnalisées en fonction du pays auxquel elles se rattachent, lesquelles rentrent en concurrence avec d'autres types de producteurs de biens symboliques comme les
nouveaux intellectuels musulmans (souvent beaucoup plus progressistes et sensible aux problématiques islamiques contemporaines, pensons à Tariq Ramadan, Nasr Abu Zeyd, Abdolkarim Soroush, Asghar Ali Engineer).
Les universités d'al-Azhar, en Egypte, de la Zitouna, en Tunisie, d'al-Qarawiyin, au Maroc, jouirent pendant longtemps d'une autorité en matière juridico-religieuse qui dépassait largement les frontières de leur royaume ou de leur province : légitimation du pouvoir, insufflation d'une certaine éthique, enseignement, organisation du droit etc. Ce n'est pas guère le cas, aujourd'hui, pour les deux dernières, mais les sheykh-s azharis, en dépit de leur contrôle par le pouvoir égyptien, restent très influents dans le monde musulman.
En parallèle, les
grands savants salafistes, officiellement rattachés au clergé saoudien (tendance sheikhiste) ou plus autonomes (tendance djihadiste), bénéficient de la montée en puissance de l'Arabie Saoudite et sont de plus en plus présents, notamment sur la toile, pour diffuser leur idéologie rigoriste.
Il faut aussi prendre en compte les
"clercs" locaux (imams, recteurs) et le
tissu associatif islamique qui sont généralement plus en prises avec la réalité, notamment dans les pays où les musulmans sont minoritaires, et facilitent l'adaptation de la pratique musulmane aux réalités locales.
Bref, la pensée religieuse musulmane est très éclatée et souvent en décalage très vif avec le contexte et le vécu des musulmans "lambda". Ce serait une très grande erreur de penser que les musulmans, notamment en France, vivent et pratiquent leur religion selon les canons de l'orthodoxie sunnite : de facto, la plupart d'entre eux se retrouvent dans une situation d'atomisation du champ religieux (les parents ont transmis la foi et certaines valeurs religieuses, mais leur conception de l'islam paraît souvent entachée de superstitutions, indissociable des schémas culturels maghrébins et trop peu réflexive) encourageant un cheminement spirituel personnel. Une fraction est attirée par le néo-communautarisme et le radicalisme salafistes ou tablighi, tandis que la majorité compose avec les codes culturels et politiques majoritaires, vivant l'islam sur un mode très personnalisant (à toi ta religion, à moi la mienne), plus ou moins irrigué de pensée religieuse et plus ou moins laïcisé.
Le bricolage personnel est la norme, et la plupart des musulmans connaissent d'ailleurs très mal la dogmatique et la théologie islamiques. Comme souvent dans ces cas là, on observe tout à la fois une dissolution de la pratique religieuse minoritaire dans le contexte majoritaire et un retour aux sources scripturaires souvent dramatiquement dépourvu de médiations critiques vis à vis du texte sacré.
Ils se contentent d'observer quelques grands préceptes et règles de comportement : respect du Ramadan, prière(s) quotidienne(s), nourriture halal, lecture ou récitation régulière de versets coraniques, pas de sexualité hors-mariage, grandes fêtes religieuses, avec une assez grande variabilité dans le degré d'assuidité, de compromis et d'hypocrisie.
Ne te fies d'aileurs jamais aux péroraisons virtuelles.. tu as l'impression de te trouver devant une armée de petits oulémas moralisateurs, mais dans la vie réelle, les choses sont généralement très différentes. Il faut aussi prendre conscience que fort peu de musulmans s'autorisent à remettre en cause ce qu'ils croient être les règles "intangibles" de l'islam, quand bien même leur conduite serait en tout point opposée (ce qui n'est pas rare, étant donné, notamment, la ventilation sociologique de la population musulmane)