Corps et âme

[Clémantine82]

Parler à Marie-Pierre, c'est comme parler au bon Dieu. C'est une religion, et tout réside dans la foi, il ne faut pas attendre de réponses, éventuellement quelques signes et nous serons libres d'interpréter. On ne peut pas attendre de toutes les soignantes, qu'elles aient cette disposition, parce qu'on n'a pas tous la même religion, il y a des gens qui sont croyants, d'autres qui ne le sont pas. Par hasard, ça arrive parfois que quelqu'un continue à parler avec elle, par piété. Mais, on sait tous très bien que Marie-Pierre est déjà auprès des anges, si nous faisons partie de ceux que la foi rend naïfs comme les innocents.

Ou dans les nuages, si nous sommes de ceux dont le pragmatisme est la religion. Ceux qui prennent soin du corps sans rien attendre d'autre, sans espérer un signe ni un retour. Ils sont un peu comme les artisans qui restaurent une chapelle : ils n’ont peut-être pas la foi, mais ils agissent par fidélité envers l’architecte, avec application, minutie, respect. Il ne faut pas les mépriser, car les mathématiques sont une religion comme une autre, et dans l’exactitude de leurs gestes, dans la douceur avec laquelle ils lavent, déplacent, arrangent ce corps, il y a aussi une forme de piété. On ne peut rien reprocher à celui qui croit ce qu’il voit : le silence est cruel, il fait mal, et supposer est un poison dont il faut se protéger si l’on ne veut pas qu’il nous consume.

Je suis de ceux qui plongent dans les yeux de Marie-Pierre comme une bigote fixe la flamme d’un cierge. Croire encore. Envers et contre tout. Chercher l’humain. Rire d’une blague qui n’en est pas une. Quand les fils électriques du cerveau ne laissent plus passer que de brèves étincelles crépitantes, livrant des mots dans le désordre, je m'agite comme une païenne occupée à quelque obscure sorcellerie pour y trouver un signe, un sens, un reste d’âme qui me regarde. Est-ce que c’est ça, croire encore ? Ou bien est-ce déjà le commencement de la mécréance, quand on se met à chercher désespérément un sens.