Bonjour Florent,
je suis désolé que vous ayiez mal pris mon "

". Je riais du cocasse de ne rien comprendre malgré tous vos efforts, ce qui vaut mieux que s'arracher les cheveux sur la tête. En aucun cas je ne rirais de votre logique ou de vous, j'ai au contraire un grand respect pour votre travail.
Je suis honoré par votre achat du livre de Garrigou-Lagrange, je vous félicite et vous souhaite une agréable lecture. Moi-même je suis en train de le relire et j'y trouve bien des choses que je n'avais pas comprises la première fois.
Mais venons-en au débat. Puisque vous avez numéroté vos points, j'y répondrai suivant les mêmes numéros.
1) Je conçois fort bien que vous ayiez une définition différente de la mienne, mais j'en vois bien mal les raisons et les conséquences.
2) Que le terme non-être ait pour fond le réel, soit. On n'atteint pas cette notion directement, comme si on pouvait constater le non-être quelque part; mais en abstrayant la notion d'être des choses réelles, on peut "forger" une idée dont le contenu est "être + négation". Parler de néant, c'est parler d'être, soit, mais indirectement: ce qu'on désigne directement par néant, c'est la négation de l'être; nous ne pouvons le concevoir que par rapport à l'être, c'est un fait. "non-être" contient le mot "être"; impossible de penser au néant sans référence à l'être.
J'imagine que nous sommes d'accord ici, du moins, je l'espère.
Je conteste néanmoins que l'idée soit sans consistance ou n'ait pas de sens.
Ce que l'idée de non-être désigne n'est rien de positif, c'est la négation d'un concret; mais l'idée en elle-même est positive en tant qu'elle a ce contenu: la négation d'un concret. Il est impossible à se représenter, sinon en imaginant quelque chose qui est, c'est un fait. Mais nous sommes capables d'abstraction. Le nombre zéro est une idée fort utile et dont on se sert constamment; mais on ne saurait se le représenter ou essayer de penser à ce qu'il contient; il ne contient rien. Si le nombre zéro a une valeur réelle en mathématiques, s'il est tout aussi valable et utile que les autres nombres pouvant se rapporter à des objets concrets, pourquoi le non-être n'aurait-il aucune valeur en métaphysique?
Encore là, ce n'est pas vraiment votre faute, puisque nous héritons d'au moins un siècle de matérialisme et de plusieurs siècles d'empirisme, mais votre critique de la valeur de l'idée de néant a sa racine dans une confusion entre l'imagination, la capacité de se représenter les choses, et l'intelligence, qui fait abstraction des choses et par là les domine. Je suis incapable de me représenter le non-être autrement que par un objet existant, par de l'espace vide, par une immobilité totale; mais l'intelligence ne s'encombre pas de problèmes de représentation. La négation pure est pour l'intelligence un concept parfaitement cohérent.
Vos exemples faisant référence à toute sortes d'objets, réels ou imaginaires, ne me convainquent pas, car à chaque fois la négation de l'existence de ces objets est pour l'intelligence un donné cohérent et positif, quoique l'imagination ne puisse aucunement l'aider. Rien n'empêche l'intelligence de désigner le fait que ces choses n'existent pas par "non-être", et de se servir de la valeur logique de ce terme tant qu'elle le veut. L'impossibilité se trouve du côté de l'imagination, mais je ne vois pas pourquoi elle atteindrait l'intelligence.
Ce qui inintelligible, ce que l'intelligence ne peut même pas penser, c'est ce qui est contradictoire ou absurde, et non ce qu'on ne peut se représenter, ou ce dont le contenu n'est que la négation d'un concret.
3) Ici pour qu'il y ait équivalence en l'Univers et la "valeur nulle" qu'est le néant d'après vous, il faudrait que Dieu fasse réellement passer l'Univers de l'un à l'autre. Votre emploi du terme "médiateur" est révélateur; elle suppose bien concret le passage du néant à l'être. Or un tel passage est tout sauf concret; le néant ne désigne rien de positif d'où l'Univers pourrait sortir; il est une négation pure, justement! D'où il n'y a réellement aucun passage, puisque passage implique deux termes, or le néant, que ce soit votre concept ou le mien, étant pur négatif, ne saurait être pris positivement comme un terme. Ce passage est tout aussi abstrait que l'idée de néant; il n'a pas réellement lieu. On ne peut donc voir Dieu comme celui qui fait passer de l'un à l'autre, comme un médiateur.
Dieu est cause transcendante actuelle de l'Univers. Votre critique est donc aussi peu signifiante que l'idée de passage du néant à l'être sur laquelle elle s'appuie.
Florent51 a écrit :même si vous voulez persister à conserver une valeur épistémologique aux termes "néant" et "non-être" cela ne vous empêche nullement de comprendre le raisonnement de Feuerbach disant dans ce cas (et sans entrer dans la complexité de ce que je dis en m'appuyant sur la formule de Sartre) qu'un univers tiré du "néant" (au sens où vous entendez ce terme) est un univers fragile dont la perpétuation dans l'être, dans le réel ne tient qu'à un caprice de Celui sans quoi il ne serait rien.
Oh, mais ça, la chrétienté n'a pas attendu Feuerbach pour le comprendre. L'Ecclésiaste commence ainsi: "vanité des vanités, tout est vanité". La différence entre la pensée chrétienne et la critique de Feuerbach ne tient pas à la fragilité de l'Univers, mais à qui est Dieu pour elle; elle sait bien, en effet, que Dieu est bon, et qu'être capricieux ne lui convient nullement.
Voyez la distinction que je fais: je ne nie pas la fragilité, la relativité d'un Univers causé par Dieu; de lui-même en effet l'Univers n'est rien et c'est Dieu qui lui donne tout. Simplement je refuse de donner à cette phrase "l'Univers n'est rien" la rigueur métaphysique que vous ou Feuerbach essayeriez de lui donner, en tordant un peu les concepts. Je réfute la torsion qui n'a pour fondement qu'une confusion entre l'image et l'idée; mais je continue à affirmer la fragilité de l'Univers. Fragile, l'Univers n'est pas pour autant une valeur purement négative; toute la valeur que l'Univers a lui est conférée par Dieu, et en tant que conférée par Dieu, elle ne peut être que positive. Il est vain d'essayer de l'associer à une idée abstraite telle que le néant, que ce soit votre définition ou ma définition.
Florent51 a écrit :Lorsque vous terminez votre message précédent par cette phrase : "soit vous utilisez la notion réaliste de néant, et alors vous identifiez l'être au non-être, ce qui est absurde", vous me paraissez faire preuve, excusez-moi de le dire ainsi, sinon d'une mauvaise foi du moins d'une mauvaise volonté à comprendre particulièrement choquante.
Apparemment vous êtes imperméable à la notion de conditionnel

. Je n'ai pas supposé que vous l'utilisiez, mais n'étant pas sûr de comprendre votre pensée, j'envisage tous les cas possibles, y compris les peu probables. Il me semblait en effet peu probable que vous ayiez fait vôtre la notion réaliste de néant; mais je ne vais pas m'empêcher pour autant de la noter parmi les cas de figure possibles! Vous êtes bien chatouilleux, mon ami!
Florent51 a écrit :si "ce qui est" (l'univers) est tiré du "non-être" par un intermédiaire nécessaire entre les deux alors il est clair que sans cette intermédiaire (sans sa volonté) "ce qui est" (l'univers) n'aurait pas été ou, ayant commencé d'exister, n'existerait plus. Et donc en ce sens on peut dire que sans l'intermédiaire nécessaire "l'être reviendrait au non-être".
Dieu n'est pas entre le non-être et l'Univers et il n'est pas médiateur. Il est cause transcendante actuelle. Sans Dieu l'Univers ne serait plus; il serait identique au non-être; mais dans ce cas on ne peut dire que "l'être reviendrait au non-être" puisqu'il n'y aurait plus d'être pour y revenir! L'Univers non-être serait identique au non-être.
C'est vous qui amusez à subtiliser le médiateur lorsque vous envisagez ce cas de figure. Je conteste et la subtilisation et le médiateur.
Cela dit je suis tout à fait d'accord, encore une fois, avec la relativisation de l'Univers et sa fragilité par rapport à Dieu, et votre raisonnement à ce sujet est impeccable. Mais vous allez trop loin en essayant d'associer l'Univers au néant. Même si néant est pris comme "valeur nulle", en donnant l'existence à l'Univers, Dieu, en donnant "positivité" à l'Univers le place à une distance infinie de cette "valeur nulle"; les deux ne sauraient avoir quoi que ce soit de commun, encore moins s'équivaloir tant que Dieu soutient l'Univers dans l'existence. Ainsi, l'Univers existant par Dieu n'est pas équivalent au néant. Si Dieu le lâche, très bien, il retourne au néant, il n'est plus rien; mais tant que Dieu le soutient, comment ne serait-il "rien"? Qu'a-t-il alors de commun avec une "négativité totale"?
Toutes vos explications à ce sujet tournent autour de l'idée que Dieu cesserait soudainement de conserver l'Univers. Or cette cessation, manifstement, n'arrive pas. Elle n'est pas actuelle. Elle est une possibilité, je vous l'accorde pour l'instant. Mais parce que la cessation n'est pas actuelle, on ne saurait actuellement associer l'Univers au néant, "négativité totale" ou "non-être" peu importe. La critique n'a de valeur qu'au regard de la volonté de Dieu: s'il est un être capricieux, la critique porte; s'il est un être bon, non. Si Dieu est bon, la possibilité n'est pas réelle; la critique ne porte pas. Votre raisonnement aboutit toujours à ce "caprice divin"; enlevez-le de l'équation et vous voyez bien que la critique est sans substance. Elle repose sur une possibilité, qui n'est réelle qu'à la condition que Dieu soit un être fort vilain.