Ilibade a écrit :Attention, il y a une différence entre s'adresser au Père au nom de Jésus et s'adresser à Jésus. L'un est cause, l'autre est effet.
Ceci dit, vous avez raison d'évoquer la prière du coeur ou prière de Jésus qui est une technique hésychaste remontant au début du 6° siècle introduite pae Jean Climaque. Cependant, cette technique d'invocation répétitive n'est pas une méthode qui conduit au recueillement ou à la concentration. Dans son introduction aux récits d'un pélerin russe, Jean Laloy précise bien qu'elle peut être "conjuguée avec la pratique des vertus, être éclairée de l'amour de Dieu, et alors elle peut favoriser l'oraison". L'oraison est une attitude de la conscience calme et en paix, dans une quiétude liée à la présence divine. Cette prière n'est donc pas une prière d'intention au Père et elle agit sur le psychique et non sur le pneumatique. Elle est cependant très efficace, surtout lorsqu'elle devient automatique dans le coeur du disciple, pour le maintenir hors des tentations du monde.
La prière à visée de dons spirituels (pneumatique) s'adresse au Père et sans intermédiaire. Elle pourrait aussi s'adresser au saint-Esprit.
Il ne faut pas comprendre la génération éternelle du Fils par le Père dans un esprit philosophique de "cause/effet" ! Le Père s'appelle Père parce qu'il n'y a jamais eu de temps où il n'avait pas de Fils. Tandis qu'en termes de logique philosophique, la cause est antérieure à l'effet. On a toujours utilisé notre pauvre intelligence pour essayer de diminuer le Fils relativement au Père, et cela depuis les gnostiques contemporains de l'Eglise, dont il est question dans les Actes des Apôtres ! L'unité de la Trinité est telle que rien ne se fait sans que les trois soient impliquées, et au lieu de dire Trinité, il faudrait dire plutôt l'Unité Trine ou la Tri-Unité, car il s'agit du même être. Quoi qu'il en soit, la prière monte vers Dieu dans l'Esprit Saint qui est le vecteur des énergies trinitaires. Qu'on prie le Père ou le Fils ou même l'Esprit Saint, c'est l'Unique Dieu qu'on prie. La prière liturgique, et notament l'Eucharistie, a une autre dimension, celle d'être la prière du "corps mystique du Christ". C'est la raison pour laquelle, elle se fait en Christ, et s'adresse au Père. Je crois qu'il ne faut pas chercher des problèmes là où il n'y en a pas.
La Prière du Nom ou prière de Jésus est bien antérieure à Jean Climaque ! Il se peut que Jean Climaque l'ait introduite dans la règle des moines orthodoxes cénobites, mais elle se pratiquait bien avant lui par les anachorètes. Il y a beaucoup d'ouvrages écrits par des russes qui traitent de la question, notamment les livres d'un saint russe du nom d'Ignace Briantchaninov qui attribue même à Saint Antoine (celui d'Egypte et des tentations) la recommandation de prier dans le Nom de Jésus : "N'abandonne pas pas à l'oubli, recommande saint Antoine, le Nom de notre Seigneur Jésus-Christ, mais fixe-le sans cesse dans ton esprit, garde-le dans ton coeur et glorifie-le de tes lèvres, disant : Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi. Et aussi : Seigneur Jésus-Christ, aide-moi. Et encore : Je te glorifie, mon Seigneur Jésus-Christ" (ref. Saint Antoine le Grand, Oeuvres, P.G. 60,1080). Ce qui a débuté avec saint Jean Climaque, c'est plutôt la méthode "hésychaste" comme vous le rappelez.
Cette prière est considérée, par les spirituels orthodoxes comme la prière "déifiante" et on lit, dans les écrits issus de Mont Athos, des témoignages de moines qui, grâce à cette prière et à la pratique des commandements divins, voient la lumière divine. Ce n'est donc pas du tout une prière psychique; elle commence peut-être par l'être quand celui qui la pratique en est là, mais elle en fait un parfait, un "pneumatophore" comme disent les moines orthodoxes. Il faut préciser qu'elle doit être accompagnée de la pratique des commandement et de la parfaite humilité, sinon, je crois que le moine qui la pratique perd tout simplement son temps !