L’État français ne reconnaissant aucun culte, conformément à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, il n’existe dès lors aucune religion officielle ou reconnue.
De la même manière, puisque le droit français n’en renferme aucune définition, la notion de « secte » reste juridiquement inconnue, comme l’admet Alain Osmont, délégué général de l’ex-Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS devenue Miviludes) : « D’ailleurs, en droit français, le mot secte n’existe pas. Par conséquent, on ne peut pas condamner une association qualifiée de “mouvement à dérive sectaire” par le rapport parlementaire de 1995. On ne peut juger ces associations qu’en fonction d’actes qui seraient susceptibles de nuire à l’ordre public, par exemple
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. »
Les rapports parlementaires
Pourtant, d’aucuns affirment encore régulièrement, et cela à tort, que les témoins de Jéhovah sont officiellement recensés comme « secte » en France, en s’appuyant principalement sur le rapport parlementaire intitulé Les sectes en France
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et rendu public au début de l’année 1996. Primo, les témoins de Jéhovah ne sont pas comptés parmi les 172 « mouvements recensés par la DCRG et répondant à l’un des critères de dangerosité
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» (p. 15), malgré l’ambiguïté entretenue à ce sujet [4]. Ils sont simplement inclus dans les 173 « sectes retenues dans l’étude des renseignements généraux [5] » (p. 60). Secundo, ce rapport n’engage que ses auteurs, en l’occurrence une commission composée de quelques députés seulement [6], et non l’Assemblée nationale dans son ensemble. C’est la raison pour laquelle tant le gouvernement que les juridictions administratives et civiles ont rappelé qu’il ne constitue qu’un document informatif, sans aucune valeur juridique ni normative [7]. Ainsi le ministre de l’Intérieur a-t-il émis cette précision dans une circulaire adressée aux préfets : « Ces rapports parlementaires ne constituent qu’un élément d’information et de proposition, ils ne prétendent pas avoir valeur normative et ne sauraient fonder ni des distinctions entre les associations qualifiées de “sectaires” et celles qui ne le sont pas au regard desdits rapports ni des sanctions quelconques [8]. »
En outre, ce rapport a suscité de vives critiques de la part de sociologues et historiens des religions, de juristes, ainsi que de représentants religieux [9]. D’ailleurs, il faut signaler que les accusations portées contre les témoins de Jéhovah sont toujours formulées au conditionnel, révélant la fiabilité à leur accorder, et font essentiellement référence aux « informations recueillies par [la] commission », ce qui revient à dire en réalité : à la documentation fournie par les associations de lutte contre les sectes. Or, les militants antisectes qui ont été consultés n’ont présenté que des informations sélectionnées et orientées de manière à confirmer leurs prétentions. Par exemple, on peut souligner que la seule décision judiciaire citée dans le rapport, parce que favorable aux thèses développées, et qui met en cause un parent témoin de Jéhovah n’est pas représentative de la jurisprudence concernant ce mouvement (comme nous le démontrerons plus loin), mais révèle plutôt une méconnaissance des croyances et pratiques réelles des fidèles de cette Église. De même, le seul témoignage apporté par un ex-témoin de Jéhovah apparaît marginal et peu convaincant. Il semble donc que ce premier rapport ait d’avantage été un moyen de donner une apparence officielle aux critiques des groupes de pression antisectes qu’un document d’information sérieux et objectif.
Trois ans plus tard, le rapport parlementaire sur Les sectes et l’argent [10] est venu le conforter. Même s’il est également utilisé comme une référence, il n’emporte pas plus de valeur juridique ni normative que le premier. D’ailleurs, on ne peut ignorer qu’il a été rédigé par le député Jean-Pierre Brard, qui a souvent fait preuve de virulence dans ses déclarations à l’encontre des témoins de Jéhovah [11], au point d’être condamné à plusieurs reprises pour diffamation. L’un des arrêts de la Cour de cassation [12] est éloquent au sujet de son attitude :
« Attendu que, pour écarter les moyens de défense des intimés, qui invoquaient l’immunité prévue par l’article 41, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 et le bénéfice de la bonne foi, infirmer le jugement entrepris et dire l’infraction établie, la cour d’appel retient que les propos litigieux, qui insinuent que les Témoins de Jéhovah se livreraient à des activités de type mafieux en relation avec le grand banditisme, ne constituent pas un compte rendu fidèle du rapport de la commission d’enquête précité, lequel ne faisait pas état de “mises en cause précises et significatives” des Témoins de Jéhovah devant les juridictions pénales ; que les juges ajoutent que, s’il était légitime de chercher à informer de jeunes lecteurs sur les différents aspects de la lutte contre les sectes, il appartenait néanmoins à Jean-Pierre X..., expert réputé en la matière, de veiller, dans un entretien “minutieusement préparé”, à ne pas user de termes approximatifs et à ne pas procéder à des amalgames hâtifs ; que les juges concluent que l’intéressé, qui ne s’est pas fondé sur des éléments d’appréciation sérieux, a manqué de mesure dans l’expression de sa pensée ; qu’ils précisent qu’en sa qualité de directeur de la publication, Hakim Y... aurait dû faire apparaître le caractère polémique des propos litigieux, présentés comme objectifs, et permettre à l’association violemment mise en cause de présenter son argumentation ;
« Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions qui lui étaient soumises, lesquelles ne citaient aucun passage du rapport de la commission d’enquête de nature à corroborer les propos critiqués, la cour d’appel a justifié sa décision ; »
On ne s’étonnera donc pas que ce rapport soit particulièrement dirigé contre eux. En réalité, un regard critique permet de s’apercevoir que les faits avérés ne sont pas véritablement défavorables aux témoins de Jéhovah : seule l’interprétation douteuse du rapporteur est tournée contre eux, parce qu’elle repose principalement sur la présomption de leur culpabilité. Aussi peut-on démontrer sans difficulté, à la lumière des faits présentés dans le rapport, que les témoins de Jéhovah ne répondent à aucun des critères proposés caractérisant une secte [13].
Quant au troisième rapport parlementaire, en l’espace de 11 ans, intitulé L’enfance volée - Les mineurs victimes des sectes [14] et rendu public en décembre 2006, il a véritablement focalisé ses travaux sur les témoins de Jéhovah. Pourtant, les auditions publiques de personnes neutres, qui ne sont pas engagées dans la lutte contre les sectes, ont révélé qu’il n’existe aucun élément concret justifiant leur stigmatisation. Divers spécialistes, relayés par les médias, ont dénoncé les méthodes contestables de cette commission parlementaire, tel le sociologue Raphaël Liogier, directeur de l’Observatoire du religieux :
« Toutes les études sociologiques ont prouvé qu’il n’y a pas plus de dérives dans ces groupes-là que dans d’autres groupes qui ne sont pas religieux. Et les parlementaires ou la mission interministérielle n’ont mené aucune enquête sérieuse pour démontrer le contraire. S’ils recensent 40 000 enfants parmi les témoins de Jéhovah, ils en concluent que 40 000 enfants sont en danger. Or, s’il y avait un vrai problème, on observerait des cas de maltraitance, de sous-éducation, etc. On aurait des remontées via les assistantes sociales ou l’Éducation nationale. Je ne dis pas que cela ne peut pas arriver, mais, quand ils existent, ce sont des cas particuliers qui n’ont rien à voir avec le fonctionnement général de la secte. [...]
« Il faut apporter des preuves avant de stigmatiser, et cesser de s’appuyer sur des dénonciations tous azimuts, sans enquêtes à charge et à décharge. Sinon, on plonge dans l’arbitraire, on aboutit à des mesures discriminatoires, et on crée des problèmes de liberté publique plus importants que ceux qu’ils sont censés résoudre [15]. »
Un journaliste de Marianne [16], qui manifeste là une véritable indépendance d’esprit, a réagi face à cet acharnement d’une poignée de parlementaires à vouloir classer les témoins de Jéhovah parmi les sectes. Rappelant que des critiques similaires pourraient être lancées contre n’importe quelle religion établie, il pose une question pleine de bon sens : « Qui provoque le plus de troubles, ces temps-ci, les Témoins de Jéhovah ou bien les papes et imams d’ex-sectes qui ont réussi ? »
Les travaux de ces commissions d’enquête parlementaires successives seront examinés plus en détail dans la seconde partie de cette étude...
Abandon officiel des listes de sectes
Finalement, l’utilisation de telles listes parlementaires de sectes n’apparaîtrait actuellement plus appropriée pour le gouvernement. Une circulaire préparée par le Premier ministre en mai 2005 clarifie la politique gouvernementale :
« L’action menée par le Gouvernement est dictée par le souci de concilier la lutte contre les agissements de certains groupes, qui exploitent la sujétion, physique ou psychologique, dans laquelle se trouvent placés leurs membres, avec le respect des libertés publiques et du principe de laïcité.
« L’expérience a montré qu’une démarche consistant, pour les pouvoirs publics, à qualifier de “secte” tel ou tel groupement et à fonder leur action sur cette seule qualification ne permettrait pas d’assurer efficacement cette conciliation et de fonder solidement en droit les initiatives prises. [...]
« Cette vigilance doit s’exercer en tenant compte de l’évolution du phénomène sectaire, qui rend la liste de mouvements annexée au rapport parlementaire de 1995 de moins en moins pertinente. [...]
« Enfin, [...] le recours à des listes de groupements sera évité au profit de l’utilisation de faisceaux de critères [17]. »
De son côté, Jean-Michel Roulet, président de la Miviludes, estime lui aussi que la liste parlementaire des sectes de 1995 est « complètement caduque » mais « a permis de cerner le phénomène même si c’était de manière parfois erronée et partiellement incomplète [18] ».
La circulaire du ministère de l’Intérieur du 25 février 2008 relative à la lutte contre les dérives sectaires explique qu’il ne s’agit pas dans l’intervention des pouvoirs publics de « stigmatiser des courants de pensée », mais de s’attaquer aux « faits avérés et pénalement répréhensibles », « constitutifs d’une atteinte à l’ordre public, aux biens ou aux personnes ». Et de se référer à la circulaire précitée du Premier ministre, qui « a clairement indiqué la nécessité d’abandonner dans la recherche des dérives sectaires toute référence à des listes, pour privilégier une logique de faits ayant l’avantage d’élargir le champ des investigations sans limiter celles-ci à des groupements préalablement identifiés [19] ».
Quoi qu’il en soit, bien avant ces récents progrès, les témoins de Jéhovah avaient déjà entrepris diverses démarches pour clarifier leur situation légale en France, notamment par rapport au statut cultuel de leurs associations, dans l’intention de se démarquer des mouvements qualifiés de « sectes ». Car, comme le note le professeur Olivier Dord : « Devenir une association cultuelle permet en effet à un groupe “sectaire” d’asseoir de façon définitive sa reconnaissance sociale [20]. »
Régime des cultes en France
En France, la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État prévoit que les différents cultes soient organisés par l’intermédiaire des associations dites cultuelles. Les articles 4 et 5 de la loi du 2 janvier 1907 permettent également de gérer les activités religieuses à l’aide d’une simple association à but non lucratif (loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association), mais cette disposition se montre moins avantageuse que la première. Quant à la religion catholique, qui refusait à l’origine de se soumettre au régime des associations cultuelles, elle bénéficie d’un statut sur mesure : les associations diocésaines, formées suivant la loi de 1901 et l’avis du Conseil d’État du 13 décembre 1923.
En règle générale, le statut d’association cultuelle est perçu comme une reconnaissance implicite de la part de l’État, offrant une certaine légitimité à l’association qui se l’est vu accorder. Mais existe-t-il une forme de « reconnaissance cultuelle [21] » et les témoins de Jéhovah en bénéficient-ils ?
Pour commencer, rappelons que le ministère de l’Intérieur, responsable du Bureau central des cultes, a apporté une mise au point sur ce statut cultuel dans sa circulaire du 20 décembre 1999 [22]. Celle-ci rappelle que le préfet ne peut refuser de recevoir la déclaration d’une association cultuelle ; néanmoins, si l’association poursuit un objet illicite, il peut engager aussitôt après une action en nullité auprès du tribunal de grande instance. Toute association peut donc se déclarer cultuelle, conformément à la loi du 9 décembre 1905. En revanche, selon la même référence :
« Le mot “cultuel” n’acquiert de valeur juridique que si l’association concernée le revendique au regard des avantages fiscaux qu’il confère et de l’acceptation des dons et des legs qu’autorise cette qualification [...]
« C’est pourquoi, l’on utilise dans la terminologie administrative, par abus de langage, le terme “reconnaissance d’association cultuelle”. En réalité, l’autorité administrative décide ponctuellement que telle association présente un caractère cultuel. »
Dès lors, pour qu’une association soit « reconnue cultuelle », il lui faut réclamer à l’administration le bénéfice d’avantages fiscaux réservés aux associations cultuelles, puis obtenir une réponse positive. Pour accorder cette grande capacité juridique, l’administration doit préalablement vérifier que l’association remplit ces trois conditions nécessaires :
- l’existence d’un culte,
- le caractère exclusivement cultuel de son objet,
- et la non-contrariété à l’ordre public de son objet statutaire ainsi que de ses activités effectives.
Un premier arrêt décevant
Les témoins de Jéhovah se sont progressivement efforcés de se conformer au régime cultuel français. Alors que leurs activités religieuses ont longtemps été gérées au niveau national par l’Association internationale des Étudiants de la Bible déclarée en 1930 [23], puis par l’Association les Témoins de Jéhovah (ATJ) enregistrée en 1947 [24], les témoins de Jéhovah ont décidé à la fin des années 1970 de constituer une association cultuelle régie par la loi du 9 décembre 1905 : l’Association chrétienne les Témoins de Jéhovah de France, créée le 17 mai 1979 [25]. Alors qu’une donation des biens de l’ATJ à l’association cultuelle était envisagée pour fusionner les deux, un arrêté ministériel du 13 avril 1982, pris sur avis conforme du Conseil d’État, s’y est opposé. Motif : l’objet de l’association bénéficiaire n’était pas strictement cultuel, puisque comprenant la publication d’ouvrages religieux et la diffusion publique de croyances bibliques par tous moyens. Le 5 juin 1982, l’association a modifié ses statuts pour éliminer toutes les activités liée à l’édition et à la diffusion de publications, désormais réservées à l’ATJ.
Le deuxième examen de la qualité cultuelle de l’association a été exécuté à l’occasion de la demande à l’autorité administrative l’autorisation de recevoir un legs consenti par un sympathisant dans son testament. L’arrêté du Préfet des Hauts-de-Seine, pris le 28 avril 1982, leur a refusé cette capacité et un décret en Conseil d’État du 12 août 1982 est allé dans le même sens. Pour justifier cette décision, il a été soutenu comme argument principal que l’association n’a pas pour objet exclusif l’exercice d’un culte et comme argument secondaire qu’elle encourage des agissements contraires à l’ordre public.
Le 1er février 1985, le Conseil d’État [26] a rejeté le pourvoi des témoins de Jéhovah, concluant de manière laconique que « les activités menées par l’association chrétienne “Les Témoins de Jéhovah de France” sur la base des stipulations de ses statuts en vigueur à la date du décret attaqué ne confèrent pas dans leur ensemble, à l’association, en raison de l’objet ou de la nature de certaines d’entre elles, le caractère d’une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905 ».
Cet arrêt dépassé, vivement critiqué par les spécialistes du droit des cultes [27], est encore utilisé aujourd’hui par des acteurs de la lutte contre les dérives sectaires. Il apparaît judicieux de discuter des points polémiques de cette décision, qui a fait jurisprudence pendant près de 15 ans.
Le professeur Jacques Robert a qualifié cet arrêt d’Assemblée d’« inquiétant », en posant ainsi le problème : « Le Conseil d’État n’a pas cru devoir annuler ce décret, rejetant la requête de l’association sur la base de motivations que nous trouvons quelque peu légères et contestables. Le raisonnement mené par le Conseil d’État ne nous paraît en effet point d’une très grande cohérence et les conclusions auquel il le conduit nous semblent grosses de dangers et de risques pour l’avenir [28]. »
Quant au professeur Pierre Soler-Couteaux, il prend également ses distances en replaçant le débat autour des sectes dans le cadre juridique français : « On en comprend les motivations, on ne peut approuver sans réticence sa solution au regard des principes de notre droit [29]. »
Premièrement, les juges ont évité de cette façon de prendre une position franche, en restant très vagues sur leurs motivations. Ils n’ont pas explicité les activités qu’ils ont retenues comme empêchant de considérer cultuelle l’association requérante, pas plus que les raisons de cette incompatibilité. N’étaient-elles pas strictement cultuelles ? Ou bien nuisaient-elles à l’ordre public ? On ne sait pas. Il n’est même pas possible de s’inspirer des conclusions du commissaire du gouvernement, puisqu’il n’a manifestement pas été suivi par la Haute Juridiction administrative : celui-là estimait que l’association s’avérait bien cultuelle à la date du décret, mais que le refus pouvait se justifier sur la base de ses statuts qui généreraient du trouble à l’ordre public.
Deuxièmement, cette imprécision ne fait que laisser libre court à toutes sortes d’interprétations personnelles, adaptées aux préférences des uns et des autres. La question cruciale dans cette affaire s’énonce ainsi : qu’est-ce qui s’oppose à la qualification cultuelle de l’association conformément à la loi du 9 décembre 1905 ?
Il est parfois affirmé que ce sont les activités d’édition d’ouvrages religieux, qui relèvent du culturel et non du cultuel strict, qui ont amené l’administration à exprimer un déni du statut cultuel. D’une part, le considérant situe clairement la vérification du caractère cultuel à la date du décret. Or, les statuts des associations nationales étaient déjà modifiés, de telle façon que l’Association chrétienne les Témoins de Jéhovah de France ne gérait plus l’édition et la diffusion de publications. Il est donc logique d’en conclure que cet élément peut être écarté. D’autre part, selon la Revue française de droit administratif, il était possible de faire appel à la notion de l’accessoire, même dans le cas d’une activité de nature commerciale représentant l’essentiel des ressources ou dépenses de l’association. C’est le cas lorsque c’est un moyen de subvenir aux besoins du culte. De toute façon, le législateur, par la voix d’Aristide Briand à propos de la loi relative à la séparation des Églises et de l’État, avait clairement défendu la primauté de la solution libérale si l’ordre public n’était pas menacé :
« Le juge saura, grâce à l’article premier, placé en vedette de la réforme, dans quel esprit tous les autres ont été conçus et adoptés. Toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou le doute sur leur exacte application, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur. »
C’est donc en toute logique que les activités menaçant l’ordre public arrivent en premier plan pour justifier la décision de la cour suprême administrative. L’examen du commissaire du gouvernement a retenu deux principaux reproches qui peuvent être portés à l’encontre des témoins de Jéhovah : l’opposition à l’accomplissement des obligations militaires et le refus sélectif des transfusions sanguines pour les enfants.
Le commissaire Francis Delon a écarté sans difficulté la question du service national. En effet, la loi leur permettait d’effectuer un service civil en tant qu’objecteurs de conscience. Si la loi avait prévu une telle possibilité de remplacement, il était impossible d’y voir un trouble à l’ordre public.
En fait, c’est sur le choix thérapeutique des parents, qui mettrait en péril la santé de leurs enfants lorsque le sang serait indispensable, que s’est focalisée toute l’argumentation négative. Après avoir rappelé les mesures d’assistance éducative permettant à l’époque aux médecins de passer outre à la volonté des parents, il a signalé que de telles procédures avaient dû être utilisées à plusieurs reprises. Cette situation porterait donc atteinte à la conception française de la protection de la santé et en conséquence à l’ordre public.
Néanmoins, il a avoué en toute franchise : « L’on nous objectera qu’il est bien malaisé de définir l’ordre public par rapport à une technique médicale par essence évolutive. Il se peut bien qu’un jour, la technique des transfusions sanguines soit abandonnée et regardée comme aussi archaïque que l’est pour nous celle de la saignée si abondamment pratiquée par la médecine du XVIIe siècle. [...] Il nous faut dès lors accepter le risque de prendre une décision qui, dans quelques années, pourra paraître anachronique tant la notion d’ordre public est évolutive [30]. »
Et les choses ont bien évolué quelques années plus tard, comme l’a indiqué Le Monde, à la suite d’un colloque consacré aux témoins de Jéhovah : « Grâce à des thérapeutiques de substitution, le refus des transfusions sanguines, justifié par des impératifs bibliques, ne pose plus dans les hôpitaux, sauf exception, de difficulté majeure [31]. »
De même, il a admis qu’il existe des pratiques qui peuvent être jugées contraires à l’ordre public dans de grandes religions, à qui l’on ne fait pas de procès d’intention. Rapidement il a balayé cette idée, en citant le seul cas de l’excision des filles chez les musulmans, sous prétexte qu’elle est plus liée à la culture qu’à la religion elle-même. Il a oublié d’autres exemples plus appropriés, que n’ont pas manqué de mentionner les commentateurs de l’arrêt : interdiction de l’avortement ou de la contraception chez les catholiques ; circoncision pratiquée dans les communautés juive et musulmane...
Aussi cet arrêt est-il trop polémique pour constituer encore aujourd’hui une référence, qui ne pourrait être remise en cause. Le manque de transparence cache peut-être des motivations peu avouables, car non prévues par le droit, comme s’interroge Jacques Robert dans la Revue de droit public : « Une fois de plus, n’a-t-on pas voulu indirectement frapper une secte qui inquiète par certaines de ses pratiques en la privant de certains de ses moyens de vivre [32] ? »
Fort heureusement, les témoins de Jéhovah ne se sont pas laissé décourager dès ces premiers obstacles. Bien leur a valu, puisque la jurisprudence a fini par évoluer en leur faveur.
Jurisprudence favorable aux témoins de Jéhovah
Dès 1993, le Conseil d’État a prononcé la décharge de la taxe d’habitation sur les édifices de culte appartenant à deux associations locales de cette confession, du fait qu’ils restent ouverts au public. Ils ont justifié cette décision en établissant que leurs activités étaient constitutives de l’exercice public d’un culte et que les locaux étaient exclusivement affectés à cet exercice [33]. Le commissaire du gouvernement avait même précisé dans ses conclusions : « Il reste alors à vérifier [...] si l’on est bien, au cas particulier, en présence d’un culte religieux, au sens de la loi de 1905. Il ne fait aucun doute, à nos yeux, que cette question appelle, en ce qui concerne les témoins de Jéhovah, une réponse affirmative. [...] Et, si le terme de “secte” est parfois employé à leur propos, il ne souligne en réalité que leur caractère de religion minoritaire [34]. »
Afin de permettre à cette jurisprudence de poursuivre son évolution, les témoins de Jéhovah ont décidé ensuite de réclamer l’exonération de la taxe foncière sur leurs salles de réunions cultuelles, qu’ils appellent « salles du Royaume ». L’administration fiscale s’y opposant systématiquement, chaque Église locale a porté l’affaire devant le juge administratif, amené dès lors à se prononcer sur le caractère cultuel de l’association concernée, afin de conclure sur le dégrèvement ou non de cette taxe, en application de l’article 1382 du code général des impôts (CGI).
En octobre 1997, suite à une interrogation de la part d’un tribunal administratif, le Conseil d’État [35] a d’abord rappelé de manière générale les règles de droit sur les conditions que doivent remplir les associations pour revendiquer la qualité cultuelle :
- elles « doivent avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte, c’est-à-dire, au sens de ces dispositions, la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou de certaines pratiques » ;
- elles « ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l’acquisition, la location, la construction, l’aménagement et l’entretien des édifices servant au culte ainsi que l’entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l’exercice du culte » ;
- elles ne peuvent poursuivre des activités qui pourraient porter atteinte à l’ordre public.
Le cadre restreint d’un tel avis ne lui permettait pas de se prononcer sur le cas particulier qui lui était soumis. À cette occasion, le commissaire du gouvernement a expliqué dans ses conclusions que l’ouverture de ce contentieux paraissait clairement motivée, en ce qui concerne les témoins de Jéhovah, par une volonté avant tout de voir leur qualité d’association cultuelle reconnue et ainsi d’être séparés du phénomène sectaire.
Tandis que les juridictions de première et de deuxième instances avaient majoritairement conclu que les associations locales pour le culte des témoins de Jéhovah (ALCTJ) étaient effectivement cultuelles et, de ce fait, avaient accordé le dégrèvement de la taxe foncière sur leurs propriétés affectées au culte [36], le Conseil d’État a maintenu cette jurisprudence. En effet, par deux décisions rendues le 23 juin 2000 [37], la Haute Juridiction administrative a confirmé deux arrêts de la Cour d’appel de Lyon, qui avait jugé que les associations requérantes pouvaient être regardées comme cultuelles et leur avait accordé l’exonération sollicitée. Les juges du Palais Royal ont ainsi conclu « qu’il ne résultait de l’instruction, ni que ladite association ait fait l’objet de poursuites ou d’une dissolution de la part des autorités administratives et judiciaires, ni qu’elle ait incité ses membres à commettre des délits, en particulier celui de non assistance à personne en danger » et que la cour d’appel avait pu juger, à juste titre, que l’activité de l’association considérée ne menaçait pas l’ordre public.
Ces deux arrêts de principe, associés à l’avis d’Assemblée de 1997, établissent désormais une nouvelle jurisprudence, qui rend caduque la solution discutable de 1985 [38] et qui permet de considérer les associations locales et régionales pour le culte des témoins de Jéhovah comme « cultuelles » au sens de la loi du 9 décembre 1905.
Associations cultuelles reconnues
Interrogé par deux parlementaires sur « les perspectives de son action ministérielle s’inspirant de la décision du Conseil d’État », le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie a répondu que l’administration a pris acte de cette décision : « Revenant sur sa jurisprudence du 1er février 1985 (CE, Ass., req. nº 46-488), le conseil d’État a effectivement confirmé deux arrêts de la cour administrative d’appel de Lyon selon lesquels les locaux appartenant à des associations locales pour le culte des témoins de Jéhovah et affectés à l’exercice du culte pouvaient bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue à l’article 1382-4º du code général des impôts (CE 8e et 3e sous-section, 23 juin 2000, req. nº 215 152 et 215 109). L’administration a pris acte de cette décision [39]. »
En conséquence, les associations gérant les lieux de culte des témoins de Jéhovah ont été exonérées de la taxe foncière.
Quelle est la position du ministère de l’Intérieur, qui est également chargé des cultes ? Dans un entretien accordé dans le cadre d’une thèse de doctorat [40], Vianney Sevaistre, chef du Bureau central des cultes [41], a déclaré qu’il a donné le feu vert aux préfectures de toute la France pour l’octroi des avantages fiscaux à toutes les associations locales des témoins de Jéhovah qui en font la demande, en application des deux décisions du Conseil d’État de 2000. Il a ensuite jugé utile de justifier sa position lors d’un colloque organisé sous le thème « Quelle laïcité en Europe ? », qui s’est tenu à Rome les 16 et 17 mai 2002 [42]. Il a expliqué que l’administration a longtemps refusé ce statut aux témoins de Jéhovah sous prétexte que l’ordre public était troublé. Mais les différentes raisons invoquées comme trouble à l’ordre public ont le plus souvent été rejetées par les juridictions administratives et judiciaires :
- La loi ne prévoit aucune sanction pour l’abstention de participer aux élections politiques, qui n’a jamais été considérée comme une atteinte à l’ordre public, le vote n’étant pas obligatoire. Et de rappeler le taux de participation aux dernières élections européennes inférieur à 50 % en France.
- Outre le fait que le service national a été supprimé, le refus d’accomplir le service militaire n’a jamais été assimilé à un trouble à l’ordre public par le juge judiciaire.
- Selon la jurisprudence administrative au sujet de l’opposition aux transfusions sanguines, le trouble à l’ordre public n’a jamais été constaté. Le Conseil d’État a même conclu que le respect de la volonté de la personne, fondée sur des convictions religieuses, est impératif [43].
- En ce qui concerne les mineurs, la jurisprudence a retenu que c’est l’insuffisance des garanties offertes par un couple de témoins de Jéhovah, et non leur appartenance confessionnelle, qui a conduit à ne pas les autoriser à accueillir un enfant.
- Pour le prosélytisme, la Cour de cassation n’a pas retenu la participation des enfants à cette activité comme un motif de retrait de la garde d’un enfant à sa mère, connue comme témoin de Jéhovah.
Après ces mises au point, il a conclu fort logiquement qu’il ne restait aucune raison de refuser ce statut aux témoins de Jéhovah.
Didier Leschi, qui lui a succédé en 2004, a confirmé que ses services se sont finalement mis en conformité avec cette jurisprudence « en accordant systématiquement le bénéfice des dispositions prévues pour les associations cultuelles aux associations des Témoins de Jéhovah [44] », puisqu’il ne dispose d’aucun élément concret justifiant un quelconque trouble à l’ordre public. Un millier de communautés de témoins de Jéhovah, y compris leur représentation nationale [45], ont été habilitées par arrêté préfectoral à recevoir des dons et legs et à délivrer des reçus fiscaux ouvrant droit à des déductions fiscales [46]. Un préfet a quand même tenté de refuser cette capacité juridique à une association locale, au motif que « cette association est susceptible de porter atteinte à l’ordre public dans l’exercice de ses activités directement liées à ses prises de position dans les domaines de la santé publique et de la vie citoyenne ». Mais l’arrêté préfectoral a aussitôt été annulé par le juge administratif [47].
Depuis le 1er janvier 2006, cette « petite reconnaissance » a été supprimée : les associations cultuelles peuvent désormais accepter librement les libéralités sans autorisation préalable de l’administration, suite à la modification de l’article 910 du code civil [48]. Cette dernière garde néanmoins un pouvoir d’opposition a posteriori, si l’organisme ne s’avère pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire. De plus, s’il ressort de l’instruction que l’association n’a pas la capacité juridique à recevoir des libéralités, le juge judiciaire pourra être saisi. Et surtout, pour rassurer les militants antisectes, sont explicitement exclues par la loi les « associations ou fondations dont les activités ou celles de leurs dirigeants sont visées à l’article 1er de la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ».
Pour autant, la position de l’administration n’a pas changé. Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, a répondu au journaliste qui lui demandait si les témoins de Jéhovah sont une religion comme une autre : « C’est une association légale. Elle a pu poser, à un moment donné, des difficultés, notamment au regard de la liberté de soins. Le Conseil d’État a tranché : au regard de la loi, c’est une association cultuelle. Mon rôle, c’est de faire appliquer la loi [49]. » Et un encadré de signaler qu’un millier de communautés de témoins de Jéhovah, tout comme leur représentation nationale, sont ainsi reconnues [50].
Pour ceux qui mettraient encore en doute la reconnaissance cultuelle des témoins de Jéhovah à l’échelle nationale, on peut signaler l’arrêt du 7 septembre 2006 de la Cour d’appel de Versailles [51]. Alors que l’Association Cultuelle les Témoins de Jéhovah de France (ACTJF) était désignée comme l’un des bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie, la famille de la défunte a contesté le caractère cultuel de l’association et par là sa capacité à recevoir un legs. La cour a validé la capacité de l’ACTJF de recevoir le capital d’une assurance vie en tant qu’association cultuelle, en mentionnant la jurisprudence du Conseil d’État du 23 juin 2000 ainsi que l’autorisation préfectorale datée du 9 juillet 2002.
En conséquence de cette reconnaissance cultuelle, les ministres du culte [52] permanents de l’ACTJF et les membres de la Communauté chrétienne des Béthélites ont finalement été affiliés à la Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC), par décision du conseil d’administration de cette dernière du 27 janvier 2003. Ils profitent désormais de ce régime spécial de protection sociale, au même titre que huit autres cultes, grâce à un avis positif de la Commission consultative des cultes réunie le 26 octobre 2001 [53]. Un député engagé dans la lutte contre les sectes ne s’est bien sûr pas retenu d’interpeller le gouvernement à ce sujet. L’occasion pour le ministre de la Santé de confirmer que « l’affiliation au régime des cultes des ministres du culte des témoins de Jéhovah a été effectuée conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables en matière d’affiliation des ministres des cultes et des membres de congrégations et collectivités religieuses, telles que prévues aux articles L. 721-1 et R. 721-1 à R. 721-12 du code de la sécurité sociale [54] ».
Trouble à l’ordre public ?
Les habituels détracteurs des témoins de Jéhovah n’ont pas manqué de prétendre que la position du juge administratif ouvrait la porte à la reconnaissance des sectes. Mais un arrêt de la Haute Juridiction administrative [55] est rapidement venu contredire cette affirmation mal fondée. L’octroi du statut conforme à la loi de 1905 a été refusé à l’Association cultuelle du Vajra triomphant, en raison de troubles avérés à l’ordre public : des procédures pénales engagées contre le fondateur du culte de « l’Aumisme » pour des faits non indépendants des activités cultuelles et la condamnation pour des infractions graves et délibérées à la législation de l’urbanisme de deux autres associations partageant les mêmes références statutaires et rattachées au même culte [56].
Et puis, une circulaire du ministre de l’Intérieur [57] expliquait en 2004 que cette reconnaissance nécessite un examen approfondi du dossier de l’association cultuelle. Avant de se prononcer sur son caractère cultuel, le préfet doit vérifier que l’objet statutaire de l’association est conforme à la loi de 1905 (principalement l’exclusivité cultuelle), que ses recettes sont affectées aux seuls besoins du culte, et surtout que ses activités réelles ne portent pas atteinte à l’ordre public et ne sont pas répréhensibles au regard du code pénal ou plus généralement de la législation. En cas de doute sur ce dernier point, une enquête de police doit être diligentée et la cellule de vigilance contre les dérives sectaires (en liaison avec la Miviludes) du département concerné doit être consultée. Il est même envisageable d’élargir l’examen à d’autres associations du même culte. Manifestement, ces décisions ne sont donc pas prises à la légère...
En dépit de la clarté de la jurisprudence et de la pratique administrative, certains s’obstinent à prétendre que les témoins de Jéhovah ne devraient pas être considérés comme une association cultuelle. Les membres de la dernière commission d’enquête parlementaire sur les sectes et les mineurs citent pour se justifier un courrier conciliant du ministre de la Santé, Xavier Bertrand (un franc-maçon, comme par hasard...), qui affirme que l’action des témoins de Jéhovah serait de nature à troubler l’ordre public, notamment en ce qui concerne leur position religieuse sur l’usage de la transfusion sanguine, et se permet de conclure que cela justifie le refus de la reconnaissance de leur statut cultuel (ce qui ne relève d’ailleurs pas de la compétence de son ministère [58]).
La question de supposées « entraves au service public », à propos de la recherche par les témoins de Jéhovah d’équipes médicales disposées à accepter les refus de transfusion sanguine, a déjà été posée en 2004 par Philippe Vuilque, qui a été justement l’auteur du rapport parlementaire L’enfance volée - Les mineurs victimes des sectes. Le ministre de l’Intérieur avait clairement répondu : « Les décisions des plus hautes instances juridictionnelles n’ont pas retenu le refus de transfusion sanguine des Témoins de Jéhovah comme étant un facteur de trouble à l’ordre public [59]. »
Plus récemment, la circulaire du ministère de l’Intérieur du 25 février 2008 [60] a également répondu à ces accusations en rappelant l’état du droit à ce sujet. Elle rappelle d’abord que la loi du 4 mars 2002 a renforcé les droits du patient majeur à discuter de son traitement et que, selon le Conseil d’État, « le refus de recevoir une transfusion sanguine constitue l’exercice d’une liberté fondamentale ». En ce qui concerne les mineurs, elle se réfère à la même loi, qui recommande de rechercher le consentement du mineur, mais que dans les cas de refus d’un traitement en situation d’urgence « le médecin délivre les soins indispensables ». Elle conclut que le médecin peut donc agir, même en cas d’opposition des parents, sans avoir à demander à l’autorité judiciaire d’ordonner les mesures d’assistance éducative, contrairement à ce que continuent d’affirmer des personnes apparemment mal renseignées. Ces quelques mises au point, qui seront détaillées dans le chapitre suivant, apportées par le ministre de l’Intérieur, le mieux placé pour parler du statut cultuel, prouvent que la question a été examinée par ses services, ainsi que par le juge, et qu’il en découle que le refus de la transfusion sanguine ne génère pas un trouble à l’ordre public.
À l’occasion de leurs assemblées internationales en 2009, qui ont réuni près de 150 000 témoins de Jéhovah en France, le ministère de l’Intérieur et des Cultes a pu confirmer aux journalistes qu’il ne rencontre « aucun problème avec cette congrégation [61] » et par conséquent conclure : « On ne constate aucun trouble à l’ordre public [62] ».
Pour terminer, on remarquera que l’Élysée n’apprécie pas non plus que l’on remette ainsi en cause la politique en matière de relations avec les cultes et reproche en particulier à la Miviludes d’avoir mené une étude comparative sur le statut des témoins de Jéhovah à l’étranger, alors que la question de leur statut en France avait été réglée depuis leur reconnaissance comme association cultuelle par le Conseil d’État. « Une ligne rouge a été franchie », d’après l’entourage du Président de la République [63].
En fin de compte, cette évolution juridique en faveur des témoins de Jéhovah constitue une avancée remarquable qui contribue à l’intégration de cette minorité religieuse dans le paysage cultuel de France. Elle reflète probablement le résultat d’une plus grande connaissance et d’une meilleure compréhension de leur religion. Déjà en 1997, Le Monde notait dans l’analyse d’une décision d’un tribunal administratif : « Le jugement confirme une évolution vers la “normalisation” des Témoins de Jéhovah [64] ». Ainsi, l’administration et la justice ne se laissent pas abuser par les accusations gratuites et non fondées des détracteurs de cette religion chrétienne, qui sont largement réfutées par les faits aisément vérifiables.