
En apparence, rien de plus éloigné que les cultures punk et bouddhistes. Deux livres parus récemment démontrent pourtant le contraire.
Le mardi 13 avril 2004
Photo AP
Punk et bouddhiste, est-ce possible?
Frédéric Perron
collaboration spéciale, La Presse
Après avoir vécu plusieurs années dans les milieux punks, Brad Warner et Noah Levine, deux Américains, se sont convertis au bouddhisme. Avec eux, on constate que la culture punk et le zen sont plus proches qu'il n'y paraît.
Et qu'on peut à la fois aimer la méditation et être un fan de Jackass...
Dans les années 80, Brad Warner a été bassiste dans la formation punk hardcore Zero Defex avant de former le groupe garage psychédélique Demantia 13. C'est à cette époque, autour de 1983, qu'il a commencé à pratiquer le bouddhisme.
«J'étais au collège et je m'intéressais aux philosophies orientales, raconte-t-il. Je voulais suivre un cours d'hindouisme ou de bouddhisme tibétain, mais le seul cours offert traitait du zen, le bouddhisme japonais. Je ne m'intéressais pas au zen du tout, mais j'ai pris le cours quand même. Le premier jour, mon professeur a lu le Sutra du Coeur, un texte bouddhiste. J'ai été profondément ému. J'ai tout de suite su que c'était la bonne philosophie pour moi.»
Selon M. Warner, la culture punk et le bouddhisme partagent une même attitude. «Bien sûr, ça dépend de ce qu'on entend par punk et par bouddhisme. Pour plusieurs personnes, la culture punk repose sur une attitude nihiliste. Malheureusement, bien des gens semblent croire que c'est pareil pour le bouddhisme. Pour moi, ni la culture punk ni le bouddhisme ne sont nihilistes. Ils sont tous deux très positifs et basés sur l'idée de faire quelque chose ici et maintenant.»
«Un gars dans un groupe punk se fout de bien jouer de la guitare ou non, il joue quand même, poursuit-il. Il s'améliorera avec le temps. C'est la même chose pour un vrai bouddhiste. Il ne se préoccupe pas de l'Illumination ou d'une grande récompense à la fin de sa pratique. Il ne fait que méditer, ici et maintenant.»
Originaire de Wadsworth, en Ohio, Brad Warner a réalisé son rêve en déménageant à Tokyo en 1994 afin de travailler pour Tsuburaya Productions. Cette compagnie produit des films de série B comme Ultraman, le genre de film mettant en vedette des gars qui portent des costumes de caoutchouc et détruisent des maquettes de villes en balsa; un succès assuré à Fantasia. D'ailleurs, M. Warner représentera peut-être sa compagnie à l'occasion du prochain festival, qui se tiendra en juillet à Montréal.
Brad Warner pratique toujours le bouddhisme, qu'il enseigne aussi. «La ville de Tokyo est grande, bondée de gens et bruyante, mais dans un sens j'aime ça. Je ne pense pas que le bouddhisme soit réservé à la pratique dans des temples perdus dans les montagnes. On doit le pratiquer dans les grandes villes aussi.»
Il y a quelques mois, M. Warner a lancé le livre Hardcore Zen: Punk Rock, Monster Movies & the Truth about Reality, paru aux éditions Wisdom. Avec beaucoup d'humour et de nombreuses références culturelles, il raconte son expérience et partage sa vision du bouddhisme.
Se libérer de la souffrance
L'histoire de Noah Levine, quoique beaucoup plus sombre, ressemble à celle de Brad Warner. Comme ce dernier, Levine a fréquenté la scène punk hardcore avant de se convertir au bouddhisme, de l'enseigner et de publier un livre. Dans Dharma Punx, paru le printemps dernier aux éditions Harper San Francisco, il raconte le cheminement qui l'a mené au bouddhisme.
Confronté à la violence conjugale dont était victime sa mère face à son compagnon, M. Levine a commencé à avoir des idées suicidaires à cinq ans, à fumer de la marijuana à sept ans et à prendre de l'acide à 11 ans. Son adolescence de punk a été un tourbillon de drogue, d'alcool, de violence et de révolte.
«La rue était devenue pour moi un enfer, raconte Noah Levine. Ma rébellion idéaliste punk n'était devenue rien d'autre qu'une recherche constante de l'oubli. J'avais échangé mon manteau de cuir, mes bottes et mon mohawk pour une pipe à crack, des bouteilles d'alcool et des seringues.»
À plusieurs reprises, il s'est retrouvé au Juvenile Hall de San Francisco, un centre de détention pour jeunes, où il enseigne aujourd'hui le bouddhisme. C'est là qu'un jour il a commencé à méditer, comme lui suggérait depuis longtemps son père, professeur de bouddhisme.
«Mon esprit était rempli de crainte pour le futur et de remords pour le passé, pour toutes ces merdes qui m'ont amené derrière les barreaux, raconte-t-il. C'était l'enfer d'être seul dans cette cellule avec mon esprit torturé. En pratiquant la médiation et en me concentrant sur ma respiration, je suis arrivé à me replacer dans l'instant présent. Je souffrais beaucoup moins en pratiquant la méditation. J'ai commencé à comprendre la satisfaction de se sentir ici et maintenant.»
Selon M. Levine, Bouddha décrit son éveil et son enseignement comme étant à contre-courant. Il s'oppose à la tendance humaine vers l'avidité, la haine et la désillusion. La première Noble Vérité du bouddhisme est de reconnaître que toute existence conditionnée est pleine de souffrance.
«Je pense que ces deux enseignements sont aussi à la base du mouvement punk, affirme M. Levine. Pour moi, la culture punk est une rébellion contre les mensonges et les fausses promesses de la civilisation occidentale. La plupart d'entre nous devenons punks parce que nous souffrons ou parce que nous voyons comment le monde souffre et nous enrageons de constater le manque de réponses et de solutions. Le mouvement punk est notre solution.»
«Malheureusement, poursuit-il, la plupart d'entre nous en restons là, dans la rage et sans chercher de solution. Le bouddhisme ouvre une voie personnelle pour se libérer complètement de la souffrance. La culture punk nous offre seulement de la rage, de la confusion et des gens avec qui se plaindre. On n'atteint jamais la vraie liberté.»
Professeur du département des sciences religieuses de l'UQAM et spécialiste du bouddhisme, Mathieu Boisvert voit lui aussi des similitudes entre la culture punk et le bouddhisme. «Je ne connais pas trop le mouvement punk, mais j'ai l'impression qu'il est enraciné dans une conception d'anarchie, dit M. Boisvert. L'idée du bouddhisme est de se catapulter en dehors de toute structure, de se libérer de nos conditionnements, qu'ils soient sociaux, éducatifs ou autres. En ce sens-là, le bouddhisme peut être perçu comme un mouvement anarchiste.»