Je précise que cet argument a été développé pour la première fois par CS Lewis dans son livre « Mere Christianity »
Pour comprendre ce qu’est la loi morale, il est utile d’examiner la façon dont elle est invoquée chaque jour par quasiment chaque être humain sous des milliers de formes différentes.
Les désaccords sont quotidiens dans la vie ; cela va du reproche banal de la femme reprochant à son mari d’avoir été désagréable avec la vendeuse à la plainte d’un enfant, « ce n’est pas juste », parce qu’il a eu moins de chocolat que les autres. Cela va des discussions éthiques concernant le clonage aux ONG soutenant que les pays riches ont l’obligation morale d’annuler la dette des pays pauvres.
Ce qui est important ici, c’est que dans tous les cas, chaque partie tente de faire appel à un niveau implicite plus élevé. Ce niveau est la loi morale, que l’on pourrait aussi appeler « loi du bon comportement ».
Elle est incontestablement présente dans chacune de ces situations. Et dans le fond, ce qui est réellement débattu dans chaque cas, c’est l’ajustement d’une action ou d’une autre aux sommations de cette loi. Les personnes accusées d’avoir mal agi cherchent à se justifier ou inventent des excuses pour se tirer d’affaire. Mais il ne vient à l’idée de personne de remettre en question l’existence en nous de la loi du bon comportement.
Ainsi le concept de bien et de mal est universel pour l’intégralité des membres de l’espèce humaine, bien que ses applications puissent engendrer de grandes divergences.
Le concept de bien et de mal s’apparente donc à une loi, comme les lois de la gravitation ou de la relativité. Pourtant, force est d’admettre que nous violons cette loi régulièrement.
Cette loi semble s’adresser particulièrement aux êtres humains, bien que certains animaux paraissent parfois faire preuve de moralité. Elle s’apparente donc à la conscience que nous avons du bien et du mal, qui s’accompagne du développement du langage, de la conscience de soi et de la capacité à imaginer l’avenir.
Alors cette notion du bien et du mal est-elle une qualité intrinsèque à l’être humain, ou uniquement un comportement consécutif aux traditions culturelles ?
Certains diront qu’étant donné la grande diversité des comportements en fonction des cultures, une loi morale commune ne peut exister. Mais il suffit de consulter « L’encyclopédie de la religion et de l’éthique » pour constater l’écrasante unanimité de la loi morale chez l’homme : de « L’hymne » babylonien à Samos, des lois de Manu, du « Livre des morts » jusqu’aux « Analectes », des stoïciens aux platoniciens en passant par les Aborigènes et les Peaux-Rouges, on retrouve toujours les mêmes dénonciations d’oppression, de meurtres, de trahison et de mensonge ; on retrouve les mêmes ordonnances à faire preuve de gentillesse envers les personnes âgées, les jeunes et les faibles, à faire preuve d’impartialité et d’honnêteté.
Le constat de l’existence de la loi morale est en opposition avec la vision moderne qui soutient, elle, qu’il n’existe aucun bien ou mal absolu et que toutes les décisions éthiques sont relatives. Mais cela pose un gros problème : s’il n’y a pas de vérité absolue, la vision moderne ne peut être vraie. Si le bien et le mal n’existent pas, pourquoi plaider en faveur de l’éthique ?
Un exemple majeur de la force de la loi morale est la pulsion altruiste, la voix de la conscience nous appelant à aider les autres, même si nous n’en retirons aucun bénéfice. L’altruisme, c’est le véritable don de soi, totalement désintéressé et ne possédant pas la moindre motivation secondaire.
Lorsque nous sommes confrontés à ce genre d’amour et de générosité, nous ne pouvons qu’être remplis de déférence et de respect. Mère Teresa a toujours compté parmi les personnes les plus admirées de notre époque.
L’altruisme véritable présente un défi majeur au darwinisme d’ailleurs. Il ne peut être justifié par la nécessité de la perpétuation des gènes individuels de la cupidité. Bien au contraire : il peut inciter certains humains à faire des sacrifices pouvant conduire à la mort, sans en retirer aucun bénéfice.
Et pourtant, en prêtant l’oreille à cette voix intérieure que nous appelons parfois la conscience, nous savons que la motivation à pratiquer ce type d’amour existe en chacun de nous, malgré les efforts répétitifs que nous déployons en vue de l’ignorer.
E.O. Wilson, le pape de la sociobiologie, a tenté d’expliquer ce type de comportement en expliquant que celui qui pratique l’altruisme en retire des bénéfices reproductifs indirects. Mais cela pose trop de problèmes :
- l’une des hypothèses stipule que la répétition chez l’homme d’un comportement altruiste serait reconnue comme un attribut positif dans la sélection d’un compagnon. Mais cette hypothèse est en conflit direct avec les observations sur les primates qui révèlent l’inverse : un singe mâle nouvellement dominant va pratiquer l’infanticide afin de dégager la voie pour sa propre progéniture.
- L’autre hypothèse consiste en général à comparer l’altruisme humain avec celui des fourmis, en ce sens qu’un comportement altruiste avantagerait tout le groupe. Mais chez les fourmis on explique facilement ces comportements par le fait que les gènes motivant la fourmi travailleuse sont exactement les mêmes que ceux qui seront transmis par leur mère à ses frères et sœurs qu’elle contribue à engendrer. Cette connexion génétique ne s’applique pas aux populations plus complexes comme les humains. L’évolutionnisme s’accorde à considérer que la sélection opère sur l’individu, et non sur le groupe.
Le comportement « programmé » de la fourmi travailleuse diffère donc fondamentalement de la voix intime me poussant à sauter dans la rivière pour sauver un inconnu qui se noie, même si je suis mauvais nageur et que je puisse en mourir.
De plus, l’argument sociobiologique défendant l’idée d’un bienfait sur le groupe du fait du comportement altruiste d’un de ses membres semblerait appeler une réponse inverse, à savoir faire preuve d’hostilité envers les personnes extérieure au groupe. L’attitude de Mère Theresa dément ce genre d’attitude, l’altruisme peut m’amener à sauver la vie de mon ennemi.
Alors, si la présence de la loi morale chez l’homme ne peut s’expliquer comme un artéfact culturel ou un dérivé évolutionniste, comment pouvons-nous justifier son existence ?
Ainsi, l’existence de la loi morale est, à l’instar du libre-arbitre, une manifestation possible de la présence de « Dieu » en nous, car inexplicable autrement.S’il existait un pouvoir déterminant en-dehors de l’univers, il ne pourrait se manifester à nous sous la forme d’un des éléments se trouvant à l’intérieur de l’univers (pas plus que l’architecte d’une maison ne pourrait être un mur ou un escalier ou une cheminée de ladite maison).
La seule façon dont nous pourrions nous attendre à ce qu’il se présente à nous serait depuis l’intérieur de nous-mêmes, telle une influence ou une ordonnance tentant de nous inciter à nous comporter d’une certaine façon. Or, il s’agit exactement de ce que nous pouvons trouver à l’intérieur de nous-mêmes. Cela ne devrait-il pas assurément éveiller nos soupçons ?
C.S. Lewis, « Mere Christianity »